EXTRAIT 1
Alejandro Canseco-Jerez :
Si nous sommes ici aujourd'hui, c'est parce qu'il existe une très ancienne tradition de liens entre la littérature chilienne et la France,
à travers l'exil d'abord, mais aussi avec l'émigration. Cette tradition remonte au XVIIe siècle et je n'en ferai pas l'historique; cela serait
trop long! Mais nous avons tous en mémoire les passages en France d'Alberto Blest Gana, le premier romancier moderne chilien, celui qui voulait être le Balzac de la société chilienne,
de Vincente Huidobro, de Gabriela Mistral, qui y bâtira son prix Nobel... Nous nous souvenons aussi de l'exil de Neruda et de toute la génération plus récente des trente dernières années.
Pour revenir au présent, j'ai l'honneur de vous présenter deux écrivains majeurs de la littérature chilienne qui sont peu connus pour l'instant. Il s'agit de deux écrivains issus de la
même génération, qui ont eu la même formation. Tous deux sont docteurs en médecine et tous deux ont suivi une formation en philosophie. Ils ont une écriture sans complexe et sans
complaisance, qui a
la particularité d'écarter le pittoresque, l'anecdotique, le pathétique et l'exotique. C'est très intéressant qu'ils soient là car l'un d'eux a construit son œuvre à
l'extérieur du Chili, l'autre uniquement à l'intérieur.
Nous allons donc essayer de confronter ces deux expériences, de les faire dialoguer dans deux œuvres qui, vous le verrez, sont très spéciales.
Francisco Rivas, vous avez été ambassadeur du Chili au Canada. Vous faites activement de la politique. Vous êtes également éditeur, professeur de médecine, praticien. Vous avez cédé la
totalité de vos manuscrits à un fonds universitaire de Poitiers. En 1974, juste après le coup d'État, vous êtes venu en France pour faire un stage de quatre mois à l'hôpital Sainte-Anne.
Vous avez beaucoup écrit, entre autres EL Pulmon del general, Martes triste, La Historia extraviada et j'en passe..., et un livre tout à fait particulier:
EL informe Mancini. El informe Mancini est un livre qui n'est pas issu de la tradition littéraire chilienne, c'est une fiction politique, une fiction historique.
C'est l'histoire de Jesus Mancini qui se propose de dénoncer et de détruire un projet de militarisation continentale. L'histoire se passe au cours d'une guerre civile au Chili.
Le pays est occupé et divisé en deux. Un de ces personnages, vous nous en direz vous-même un peu plus, poursuit aussi sa mission à l'étranger, en France, en Italie,
en Espagne. Il y a là une succession d'anachronismes et de doubles récits. On y trouve des indices, des informations, des personnages de la réalité - les noms de Contreras,
de Pinochet, de Castro, de Somoza...- et néanmoins, la réalité est complètement effacée. Alors, la question est la suivante: sachant que la fiction historique est presque
inexistante dans la littérature chilienne, quelle est la part de vérité et de fiction dans cette histoire? Où établissez-vous la frontière entre les deux? Et finalement,
est-ce que cette frontière est importante ou non?
Francisco Rivas: Pour répondre à votre question, je voudrais commencer par dire que jusqu'en 1973, on disait que le Chili était le paradis de la démocratie en Amérique
latine. Ce qui était absolument faux. Déjà en 1891 le Chili avait connu une grande guerre civile, avec des milliers de morts, un gouvernement déchu et un président qui s'est finalement
suicidé: le président Balmaceda. Au cours du XXe siècle, il y a eu aussi quelques
coups d'État, dont un qui a démantelé la première république socialiste d'Amérique latine: la république socialiste de 1932. Malheureusement, cette république
n'a duré que sept jours. Quoi qu'il en soit cela démontre bien que le Chili n'a jamais été le paradis de la démocratie comme nous le croyons. C'est pourtant ce que
nous pensions jusqu'en 1973 quand, comme tout le monde le sait, une fois le coup d'État établi, le gouvernement de Pinochet a imposé une des dictatures les plus dures
et brutales du continent. D'une certaine manière, c'est ce qui m'a poussé à écrire et, au fond, c'est aussi l'origine de la thématique du livre dont vous parliez,
EL informe Mancini, à savoir: une guerre civile au Chili. Pourquoi pas? Bien entendu, dans le livre, et il est probable qu'aucun d'entre vous ne l'a lu, ce
sont les gentils qui gagnent, c'est-à-dire que c'est Pinochet qui perd dans mon roman. Quelle est la part de fiction? Totale, parce qu'il n'y a jamais eu de guerre
civile au Chili après 1973. Une population sans défense a été massacrée et soumise par la force militaire. Il n'y a jamais eu de guerre civile au Chili après Pinochet.
En écrivant ce livre, peut-être d'une manière irresponsable, j'ai voulu qu'il y ait
une guerre civile, pour qu'il existe au moins un face-à-face équilibré, plutôt qu'une tuerie unilatérale. Jusque-là tout est fiction, obéissant sans doute à ce que
l'on appellerait en anglais un wishfull thinking, un simple vœu. J'ai voulu une guerre civile pour la gagner et pour que ce triomphe ait une signification réelle dans
cette époque-là. Ce ne fut pas le cas, malheureusement. À cette époque-là, j'étais convaincu qu'on ne pouvait vaincre Pinochet que par les armes, qu'il n'y avait pas
d'autre solution. Voilà pour la part de fiction dans le roman. Pour finir de répondre à la question, les personnages, à l'exception du protagoniste, sont réels mais sont
introduits dans un contexte de fiction qui n'a pas eu lieu.
EXTRAIT 2
Alejandro Canseco-Jerez : Bon, Roberto Gac, vous êtes psychiatre. Vous avez abandonné votre métier il y a fort longtemps et vous vous êtes consacré depuis 1968 à la
littérature. Vous avez travaillé pendant une courte période comme médecin (dans la mine de cuivre El Teniente), avec un salaire de cadre supérieur mirobolant, puis vous partez aux États-Unis et vous passez par l'Espagne, par l'Italie, ensuite vous venez en France... Vous avez publié, aux
Éditions de la Différence, Portrait d'un psychiatre incinéré, et votre dernier roman est La Guérison, publié chez le même éditeur. Comme je pense que notre auditoire n'a pas
encore lu ce livre, en voici le résumé: Il s'agit d'un médecin métis, un Araucano du Sud du Chili, qui tombe follement amoureux d'une Américaine. Celle-ci l'abandonne, le
quitte et repart aux États-Unis. Il devient fou et est interné dans un hôpital psychiatrique où il commence à écrire, dans la peau de Dante, une nouvelle Divine Comédie.
Alors là, vous êtes très iconoclaste: vous présentez Béatrice comme une sotte qui ne serait même pas vierge... Il s'agit aussi d'un double récit volontairement anachronique.
Je sais que vous n'aimez pas trop la formule, mais peut-on parler de fiction historique? Et pourquoi Dante? Pourquoi l'Indien de Temuco? Est-ce une parodie à la façon de Borges avec son
Pierre Ménard? Où voulez-vous en venir avec votre proposition?
Roberto Gac: La question est assez précise, ma réponse le sera beaucoup moins. Mais, avant de continuer, je voudrais dire que j'étais très ému quand j'ai su que j'allais rencontrer
Francisco Rivas, qui a suivi la même formation que moi au Chili. On a
étudié pratiquement aux mêmes endroits, à la faculté de médecine, puis à la faculté de philosophie. Il est resté au Chili, moi, je suis venu en France et nous sommes devenus
écrivains chacun de notre côté. Mais Francisco, lui, devint également professeur de neurochirurgie, professeur de philosophie et haut dirigeant du parti socialiste chilien. Donc, Francisco
est un homme multiple, capable de faire beaucoup de choses. C'est un homme exemplaire parce que c'est grâce à des gens comme lui, qui sont restés au Chili après le coup d'État de Pinochet,
que notre pays a pu résister à la dictature et redevenir une démocratie. Pour moi, Francisco, c'est un honneur d'être avec toi ce soir. D'autre part, le médiateur de cette réunion
-Alejandro- vient du sud du Chili, de la ville de Temuco, là où j'ai passé mon enfance. Notre rencontre a été le point de départ d'une nouvelle amitié. Bien. J'essayerai maintenant de
répondre le mieux possible à la question posée. Commençons par la fiction et Dante. Je suis exilé et dans mon exil j'ai deux modèles. L'un est Dante, exilé politique, et l'autre est James Joyce,
exilé culturel. Je suis
plutôt un exilé culturel comme
James Joyce. J'ai quitté le Chili en
1968, à l'époque où la Démocratie Chrétienne était au pouvoir, quand le Chili était encore relativement tranquille, même s'il y avait déjà eu une tragédie, sous le mandat de Frei,
le président démocrate-chrétien. Cela eut lieu au cours d'une grève dans une mine de cuivre au nord du pays, réprimée brutalement par Pinochet, qui venait d'être promu général de l'armée.
J'ai quitté le Chili peu de temps après. Et j'étais déjà en France, quand s'est produit cet événement extraordinaire pour l'Amérique latine, et même pour le monde : l'Unité Populaire chilienne, cette tentative pour arriver au socialisme, non pas par la force et les armes, mais par la démocratie elle même. Puis, survint le coup d'État de Pinochet. Et, lorsque j'ai voulu rentrer au Chili pour collaborer avec l'Unité Populaire, c'était déjà trop tard. Chose étrange, si j'ai commencé ma vie en Europe comme exilé culturel, je me suis retrouvé alors, dans une certaine mesure, exilé politique. Je reviens à mes deux modèles, Dante et Joyce. Pourquoi Dante? Dante est
un personnage fondamental dans
l'histoire de la littérature, dans l'histoire de la civilisation européenne et son œuvre, La Divine Comédie,
est le poème axial de la chrétienté, l'œuvre la plus parfaite de la littérature occidentale, selon Jorge Luis Borges et James Joyce. Le travail de Dante m'intriguait énormément.
]'ai eu la possibilité de me rendre en Italie, d'apprendre l'italien et d'étudier l'œuvre de Dante en italien. C'est très important de lire un écrivain dans sa propre langue. On peut ainsi
saisir des nuances qu'on ne peut pas saisir dans une simple traduction, même quand elle est très bonne. La Divine Comédie nous transmet aujourd'hui, sept siècles après sa création,
un message encore parfaitement vivant. Joyce, puisqu'on parle de lui et de Dante en même temps, a travaillé sur L'Odyssée. Il écrivit son Ulysses en intertextualité avec
le poème d'Homère, c'est-à-dire qu'il
écrivit son chef-d'œuvre en s'appuyant textuellement sur L'Odyssée. Je me suis demandé pourquoi il avait préféré Homère, laissant de côté Dante. C'est curieux qu'un homme comme
Joyce, qui connaissait une dizaine de langues, mais non le grec ancien, ait choisi de travailler avec Homère et non pas avec Dante, en italien, langue qu'il connaissait très bien puisqu'il
parlait l'italien à table avec ses enfants, pendant son exil à Trieste. Il y avait donc là un mystère. Alors, je découvre que travailler
en intertextualité avec La Divine Comédie implique une critique approfondie du catholicisme et, du même coup, une critique de la société capitaliste, parce qu'il y a
un rapport très étroit entre le catholicisme et la société capitaliste. Joyce fut élève des Jésuites. Moi-même, je fus élève de la Congrégation de La Salle et puis des Frères
Maristes. Les plus dangereux de tous sont les Jésuites, qui laissent des traces définitives dans la tête des enfants! (Rire) Cela explique, en partie au moins, pourquoi Joyce
est resté avec un blocage psychologique et idéologique terrible, pourquoi il n'a pas pu travailler avec La Divine Comédie. Moi, qui avais été éduqué par la Congrégation
de La Salle d'une façon moins rigide (Rire), j'en ai eu la possibilité. Et j'ai découvert que La Divine Comédie est un poème extraordinairement critique de la
civilisation chrétienne, critique toujours valable aujourd'hui.
Mon livre -La Guérison -
est écrit en intertextualité avec l'œuvre de Dante. L'histoire, comme vous l'avez rappelé, est celle d'un pauvre Indien qui devient fou après avoir été abandonné par une superbe Américaine. Il se sent si petit, si peu de chose, que dans sa folie, dans sa paranoïa, il va se prendre pour Dante, ce qui est déjà beaucoup mieux d'un point de vue
social (Rires)... Poussé par son délire, il veut réécrire une Divine Comédie, un peu comme Pierre Ménard
voulait réécrire le Quichotte. En effet,
Borges m'a aussi guidé dans cette aventure scripturaire. Évidemment,
écrire une nouvelle Comédie est très
compliqué, parce que l'œuvre de Dante est extrêmement difficile. J'ai consacré de nombreuses années
à mettre en rapport mon texte
avec la Divine Comédie. La vie de Dante, les données historiques sur sa vie, tiennent sur dix pages, pas plus. On sait très peu de choses sur Dante, mais des choses très précises.
On connaît la liste exhaustive de ses dettes, par exemple. On connaît quelques dates, comme la date de son mariage. Dante s'est marié à l'âge de douze ans avec Gemma Donati, qui avait alors
sept ans. Un mariage arrangé par leurs parents. Bien sûr, il n'y a pas eu, comme on dit, «consommation». Il n'y a pas eu pénétration, en tout cas, pas à cet
âge-là! (Rires) On trouve ce genre de renseignements cocasses sur lui et aussi sur la courte période où il est arrivé à la tête du Gouvernement de Florence. Bon. La Guérison est
beaucoup plus
épaisse que dix pages! Comment
ai-je transformé ces dix pages de données historiques concrètes dans
une fiction ? En fait, La Guérison est
une sorte d'autobiographie fictive de Dante. Dante était lui-même très autobiographique. Dans son
œuvre de jeunesse, La Vita Nuova,
il raconte un peu son enfance, son adolescence, ses premières amours. Dans la Divine Comédie, il est le protagoniste principal du poème. C'est la première fois dans l'histoire de la littérature qu'un
auteur devient le protagoniste de son propre récit. Ce faisant, il va établir un pont entre l'épopée médiévale et le roman moderne. Or, si par le truchement de la fiction il visite l'Enfer,
le Purgatoire, et le Ciel, il va parallèlement décrire la société
de son temps et son propre rapport avec cette société. J'ai utilisé toutes ces données, celles de son œuvre, plus les données historiques. Voilà pour
La Guérison. Mais ce livre n'est pas
un simple roman historique. Pas du tout. C'est ce que j'appelle un Intertexte.
EXTRAIT 3
Roberto Gac : Pourquoi suis-je venu en France? Pourquoi est-ce que je me suis exilé quand j'avais la voie ouverte comme médecin au Chili, puis aux ÉtatsUnis, où j'aurais pu devenir professeur de
psychiatrie à la Menninger School of Psychiatry? Eh bien, je ne voulais pas être psychiatre, tout simplement, je voulais m'éloigner de la pratique médicale, même si la médecine est une
profession noble et
nécessaire. Je voulais écrire. C'était mon ambition depuis l'adolescence. Donc, je me suis d'abord éloigné du Chili, de ma famille chilienne et de ma maman chilienne - et les
mamans chiliennes, je vous assure, c'est quelque chose! (Rires)- pour travailler à New York. Lorsqu'on est docteur au Chili, il faut rester docteur pour toujours si maman est à côté!
À New York, j'étais loin et là, je me suis dis: "Je suis libre, j'ai l'argent que j'ai gagné, je vais faire de ma vie ce que je veux." C'est-à-dire, quitter tout, partir en
Europe et commencer
à écrire. Mon projet d'écriture au départ était très ambitieux, mais l'ambition est nécessaire pour commencer à écrire (García Márquez dit que lorsqu'on commence à écrire, si on ne se prend
pas au moins pour Cervantès, ça ne vaut pas la peine de se mettre à écrire) et puis la réalité se charge de mettre les choses
à leur place. Avec l'ambition qui
était la mienne, je voulais changer le mécanisme du roman. Je trouvais que, autant le roman français, le roman russe et le roman anglais du XIX siècle étaient merveilleux,
autant le roman du XXe siècle était
devenu un genre littéraire dévitalisé.
Je me suis mis à la recherche d'une nouvelle forme de littérature narrative, une nouvelle façon de raconter,
en m'appuyant sur Joyce et sa technique intertextuelle, mais aussi sur Dante qui était, déjà à son époque, un auteur intertextuel puisqu'il travaille La Divine Comédie
en rapport avec L'Enéide, l'œuvre de Virgile. On peut dire que la littérature a toujours
été intertextuelle, en tout cas, la littérature authentique. Je suis venu chercher en Europe une nourriture culturelle, que je n'avais pas au Chili.
À l'âge de vingt-cinq ans, au Chili, je n'avais pu voir, en tout et pour tout, que
cinq tableaux originaux de Picasso dans une exposition itinérante qui avait traversé les grandes capitales de l'Amérique latine. C'est tout ce que j'avais vu comme peinture originale d'un
grand maître. Pourtant au Chili, il y a une vraie culture.Tout ce qui concerne l'éducation était, avant Pinochet, d'un très haut niveau. La faculté de médecine où j'ai étudié,
était considérée comme l'une des meilleures d'Amérique latine. Notre faculté de philosophie était aussi très réputée, au point que Heidegger lui-même s'intéressait à ce qui s'y passait. Nos
universités étaient donc d'un très bon niveau. Alors, je suis venu en France à la recherche d'une nourriture culturelle, non sur un plan scientifique ou philosophique, mais sur un plan
artistique. Je suis venu en France parce que Paris est
pour les écrivains latino-américains, la Mecque de la littérature. Et comme je voulais développer une nouvelle façon de raconter, une nouvelle technique narrative, il me fallait
venir là où les choses se passaient vraiment, c'est-à-dire à Paris, où il y avait eu le mouvement surréaliste, le Nouveau Roman et le Roman Tel Quel. C'était le lieu où je devais me
rendre. Je ne regrette pas mon choix. Mais il fallait me libérer de toute contrainte. C'est pour cela que j'ai dû renoncer à la pratique médicale, pour consacrer la totalité de
mes énergies à cette tentative de dépassement du roman comme genre littéraire...
Alejandro Canseco-Jerez:
Roberto Gac a une particularité, une
spécificité assez étonnante, c'est que son livre est tout à fait transgressif: il est écrit aussi bien en français, en espagnol, en italien, qu'en latin et en mapuche. Il établit même une
poétique multi ou pluri-linguistique. Vous écrivez:
« Le français joue le rôle de la langue populaire, l'espagnol celui de la langue de la folie (Don Quichotte) et simultanément le rôle de la psychothérapie (Sancho Panza), l'anglais le
rôle de la langue vénale des businessmen, tandis que le latin et le mapuche jouent le rôle des acteurs comiques. Finalement, l'italien joue le rôle de la langue la plus noble et poétique de
toutes, la langue maternelle. »
Pour lire ce livre il faut s'aider d'un glossaire - un deuxième volume- qui l'accompagne où il y a toutes les traductions du texte. Alors ici, on pose un autre drame, pas vraiment un drame
mais une autre problématique de l'exil ou du départ : le choix de la langue. C'est
une question à laquelle beaucoup déjà ont été confrontés. Les écrivains comme César Moro, comme Alfredo Gangocena, comme Vincente Huidobro, comme Biancotti. Tous ont répondu
d'une façon ou d'une autre. Mais là, vous donnez une
réponse dans laquelle on voit
apparaître Babylone. Pouvez-vous nous expliquer votre poétique des langues?
Roberto Gac: En écoutant Alejandro, on dirait que cette complication est insoluble, et que j'écris pour que personne ne me lise!
En vérité, dans La Guérison il y a
un récit de base qui est écrit en français. C'est l'autobiographie fictive de Dante. Cela se lit facilement, mais, effectivement, il y a les autres langues qui se mêlent au français.
La Guérison n'est pas un roman, c'est un Intertexte. Le livre est publié sous la rubrique « roman » parce que mon
éditeur - Joachim Vital - m'a dit:
"Écoute, si on publie ton livre avec le mot "Intertexte" sur la couverture, tu vas le trouver chez le libraire dans le rayon informatique.
Un peu comme cela est arrivé à Breton, à New
York, avec Les Champs magnétiques,
livre qui a été mis dans le rayon Electricity". Un Intertexte,
c'est un jeu de textes qui s'entrecroisent. Aujourd'hui, ça coïncide avec l'évolution de la technique. L'écriture a toujours un rapport avec l'évolution de la technique. On est
passé de l'épopée en vers, de l'époque de Dante, au roman en prose de Rabelais, grâce à l'invention de l'imprimerie. Après Gutenberg, on peut imprimer de grandes masses textuelles, alors on
fait plus aisément de la prose. Aujourd'hui, nous sommes à l'époque de l'informatique et des ordinateurs, d'Internet, où se croisent tous types de textes. J'ai
travaillé à La Guérison pendant plus
de vingt ans. Quand j'ai débuté, les ordinateurs commençaient à peine à arriver sur le marché. Or, la technique intertextuelle est grandement facilitée par l'informatique et l'ordinateur.
Mon livre a en effet une apparence très compliquée, avec toutes ses langues, plurilinguisme qui obligea l'éditeur à accompagner l'œuvre d'une sorte de glossaire contenant les traductions.
Eh bien, lorsque le livre électronique s'imposera sur le livre en papier, la lecture de La Guérison sera plus aisée. Oui, un jour le livre électronique sera chose courante et on pourra disposer d'une véritable bibliothèque dans un petit support. Une touche suffira pour passer d'une langue à une autre. Les textes pourront être traduits
simultanément, la lecture se fera dans la langue que l'on voudra. Il faut tenir compte du fait que nous nous trouvons en Europe. Et l'Europe va vers son intégration, aussi bien
économique que politique, culturelle et linguistique. Parler plusieurs langues devient un phénomène de plus en plus courant. J'ai des enfants qui sont trilingues. Ils parlent le français,
le castillan et même le catalan, parce que nous allons en vacances en Espagne, du côté de la Catalogne. On avance, qu'on le veuille ou non, vers le « polyglottisme ». C'est une donnée
actuelle de la vie sociale et la littérature est toujours un reflet de la vie, donc mon jeu plurilingue
n'est pas capricieux, c'est simplement que l'évolution même de l'écriture
pousse au multilinguisme. Vous vous rappelez certainement le tableau de classification des éléments chimiques de Mendeleïev. Le savant russe avait ménagé des places vides correspondant à
des corps inconnus, dont il pouvait prévoir les propriétés en attendant le jour de leur découverte. Et ce fut le cas. Michel Butor a écrit un essai, il y a quinze ou vingt ans, où il avait
annoncé qu'un jour on écrirait un roman en plusieurs langues. Il avait défini, à ce moment-là, La Guérison.J'ai envoyé le manuscrit à Michel Butor, qui
m'a répondu immédiatement et m'a aidé à publier ce livre que personne,
évidemment, ne voulait éditer... sauf
La Différence.
EXTRAIT 4
Alejandro Canseco-Jerez : Alors, je vais enchaîner avec la deuxième question, qui va te permettre de conclure la première. Tu fais preuve d'une magnifique érudition et ce
n'est pas moi qui le dit parce que je ne suis pas spécialiste de la culture italienne mais, dans les coupures de presse, on te loue, on dit que tu connais parfaitement cette époque-là et
c'est vrai que lorsqu'on lit tes livres, on a la même sensation que quand on a lu Le Nom de la rose d'Umberto Ecco: tu te promènes dans les couloirs de cette histoire, dans tous ses
moindres recoins d'une manière très précise. Comment as-tu construit le livre? Quelles recherches as-tu faites? Es-tu allé en Italie? Dans des bibliothèques?
Roberto Gac: Flaubert, avant d'écrire, travaillait énormément dans les bibliothèques. Il se déplaçait souvent. J'ai eu la chance de pouvoir aller en Italie, de vivre à
Florence. Depuis mon enfance, j'aime étudier. Alors, j'ai beaucoup lu et j'ai pris beaucoup de notes. Et puis, tout ce que j'avais dans la tête finit par
ressurgir à travers mon écriture. C'est assez mystérieux. J'ai essayé de suivre le processus intérieur de la création scripturaire, mais c'est extraordinairement mystérieux.Toutes
les données sont dans ton esprit et soudain « ça » commence à sortir. Cette érudition dont tu parles vient du fait que j'ai une bonne mémoire. J'ai été fabriqué comme ça par mes parents. J'ai une
bonne mémoire et cet ordinateur que nous avons dans la tête a enregistré beaucoup de données. Mais je voudrais dire encore que Dante est une figure magnifiquement européenne.
François Busnel, l'assistant de Patrick Poivre-d'Arvor sur TF1 dans Vol de nuit, également critique littéraire dans les DNA à Strasbourg, a lu La Guérison et
s'est rendu compte qu'en travaillant en intertextualité avec l'œuvre de Dante (qui est aussi plurilingue, car il intègre même des poèmes de troubadours provençaux en langue d'oc),
j'ai
écrit,en quelque sorte, le premier "roman européen".
EXTRAIT 5
Alejandro Canseco-Jerez : Bien. Francisco Rivas, toi non plus, tu ne fais pas dans la facilité et là, je préviens les lecteurs que c'est pourtant passionnant...
Ce qui est formidable dans ces deux ouvrages c'est qu'il y a vraiment énormément d'informations et que ce n'est pas aride.
Francisco Rivas : En y réfléchissant, le roman El Informe Mancini a peut-être été une tentative
pour changer la réalité, pour rendre possible les probabilités que je souhaitais en tant qu'individu : faire
que la guerre civile ait lieu en me transformant en démiurge. Et en finir avec la dictature de Pinochet. Les spécialistes en littérature disent qu'il existe des écrivains
qui ont changé le cours de l'histoire. Moi, hélas!, je n'ai rien changé. Pas avec ce livre-là, en tout cas....
Alejandro Canseco-Jerez : Et pour la nouvelle génération ?
Francisco Rivas : Ah! Pour la nouvelle génération! Je crois que pour les jeunes chiliens, lire El Informe Mancini est un cauchemard!
Mais, malheureusement pour eux, à partir de l'année prochaine, mon livre fera parti des lectures obligatoires à l'école.
Alejandro Canseco-Jerez : Une dernière petite question avant de passer à un autre sujet. Avez-vous le sentiment de faire partie d'une génération?
Et quelle est d'après vous, la place que vous avez aujourd'hui dans la littérature chilienne?
Francisco Rivas : Je considère qu'en ce moment je n'ai aucune place dans la littérarure chilienne. Aucune. Mes livres ne sont pas lus, malheureusement, ou fort peu, mais ils
se lisent dans les cercles universitaires, ce qui est une satisfaction.
Alejandro Canseco-Jerez : Et c'est un bon symptôme ?
Francisco Rivas : Oui. Je gagne ma vie avec un métier que j'aime beaucoup, la neurochirurgie. Mais j'aurais voulu me consacrer exclusivement à la littérature, voilà pourquoi
j'envie mon ami Gac, dans le bon sens du terme bien sûr (Rires). Mais
je n'appartiens à aucune génération d'écrivains, parce que je déteste les
écrivains en général. Je ne sais pas pourquoi. Pas tous, bien sûr.
Dans les métiers que nous exerçons, les cercles professionnels spécifiques ont certaines caractéristiques. L'une d'entre elles est la vanité. Et la jalousie. C'est ce que nous appelons au
Chili le chaqueterismo, je ne sais pas comment le dire en français... Je reconnais le chaqueterismo chez les médecins, les hommes politiques mais surtout chez les écrivains...
et pour eux il n'y a pas de limites. En fait, il y a de grands écrivains
qui sont très généreux et qui sont de grands amis; vous, Alejandro Canseco-Jerez et Roberto Gac en faites partie évidemment.
Roberto Gac : Je crois que nous sommes de la même génération, car nous ne sommes pas beaucoup lus, ni l'un ni l'autre. Et je pense la même chose que Francisco sur les
écrivains.
EXTRAIT 6
Alejandro Canseco-Jerez : Eh bien, nous allons aborder le dernier sujet qui rejoint l'intervention de Yassin Hussin qui va venir se joindre à nous.
Depuis hier, une question revient sans cesse -c'est la thématique de ces rencontres-, la question de l'exil. Y a-t-il une littérature de l'exil? J'écouterais vos réponses
avec beaucoup d'intérêt, mais auparavant je crois qu'il faut clarifier certaines choses parce que je crains que l'exil ne devienne parfois plutôt une métaphore qu'autre chose.
On a du mal
à discerner entre l'exil, l'émigration ou simplement les choix individuels de vie. L'exil, il ne faut pas l'oublier, est un support juridique dans lequel la personne ne peut pas rester
dans son pays et ne peut pas y revenir. La différence avec l'émigration, c'est que celui qui part, ne revient jamais. Mais il y a une troisième catégorie proposée par Deleuze,
c'est le statut de nomade. Le nomade, c'est celui qui part mais ne bouge jamais; c'est celui qui se déplace à la quête de l'eau, de pâturage, en cherchant son élément. Et je pense que
cette dimension est très importante pour les artistes, surtout pour les artistes d'Amérique latine, qui ont toujours pour la plupart vécu en France, à l'étranger, sans parler
nécessairement d'exil. Un exemple : pendant
la Deuxième Guerre mondiale en
France, la plupart des artistes, des
écrivains, des créateurs sont partis. Pourquoi sont-ils partis? Parce qu'ils cherchaient les conditions favorables
à leurs créations. Il y en a un parmi d'autres qui n'est pas parti, c'est Picasso. Pourquoi? Parce qu'il ne pouvait pas rentrer en Espagne, que les États-Unis ne l'intéressaient pas
et que c'était à Paris qu'il pouvait créer. Je crois que la motivation fondamentale est avant tout celle-là et je crois que Yassin Hussin a souligné très pertinemment la différence en
disant que quand il a pu
revenir en Irak, il n'était plus exilé;
mais qu'était-il au juste? Citoyen, mais d'où? Je vais donc recentrer la question : pensez-vous qu'il y ait une littérature de l'exil? Et pour approfondir ce qu'a dit Roberto :
quand tu dis que tu viens en France par choix culturel, comment te sens-tu par rapport à cette histoire d'exil, d'émigration, de nomadisme?
Roberto Gac : Si Dante ne s'était pas exilé, il n'aurait jamais pu écrire La Divine Comédie, car ses affaires comme citoyen dans
la cité de Florence étaient tellement prenantes, qu'il n'avait pas
le temps d'écrire. Mais à partir du moment où il a
été chassé de Florence, il s'est trouvé
libre de pouvoir écrire. L'exil peut
être très positif pour un écrivain. Littérature d'exil? Presque toute l'œuvre de Dante, en tout cas La Divine Comédie, est une réponse à ta question. C'est également le cas de Joyce.
Il a presque tout écrit en dehors de l'Irlande... Beckett aussi! Mais d'autres écrivains ne s'exilent pas du tout: Proust, par exemple, ne s'est jamais exilé, à part un court séjour en Angleterre.
L'important -tu le dis très bien- c'est de trouver l'endroit où sont réunis les moyens de la création, une certaine ambiance, une atmosphère particulière.
Dans mon cas, comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire, il était très important que je vienne en France, parce que, en voulant modifier le roman comme technique narrative, il me fallait venir là
où les choses se passent ou se sont passées. Je ne pouvais pas faire à Santiago du Chili ce que je me proposais . Je devais venir en France, car c'est ici que le roman a été remis en question,
d'abord par les surréalistes, ensuite par les
écrivains du Nouveau Roman, puis par ceux du Roman Tel Quel. Pour moi l'exil est un outil, un instrument de travail. Je suis très reconnaissant
à la France pour tout ce que j'y ai trouvé, pour toute l'aide qu'elle m'a apportée. Je ne parle pas d'une aide
institutionnelle, mais simplement de la possibilité qui m'a été offerte par les gens de parler leur langue, par exemple. J'ai vraiment trouvé ici ce que je voulais d'un point de vue
culturel. Pourtant, même si aujourd'hui je suis Français, même si ma famille, du côté paternel,
est d'origine française, je reste profondément Chilien. L'affection que j'ai pour le pays qui m'a accueilli est énorme, mais mes racines sont toujours chiliennes. J'ai donc une double
nationalité. J'ai un passeport français mais quand je vais au Chili, c'est avec mon passeport chilien. Dans mon cœur et mon esprit tout se mélange. L'exil m'est parfois très douloureux,
notamment quand je pense à Santiago, ville magnifique, ou à Temuco, la ville où j'ai passé mon enfance et qui est pour moi un bijou. La vie au Chili est devenue à nouveau très agréable parce
que les gens y sont de nouveau libres. Ce qui me manque aussi, c'est la Cordillère des Andes, et la nourriture chilienne et l'humour chilien...Tout cela me manque beaucoup. Mais en France,
j'ai tout ce dont j'ai besoin pour ma création littéraire dans le sens que je voulais lui donner. C'est ça, dans mon cas personnelle, ma "littérature d'exil"
EXTRAIT 7
Public : Vous avez dit que Dante était l'un des premiers grands écrivains européens. Mais il a été très influencé par les poètes provençaux et les troubadours, qui eux-mêmes ont
été influencés par la poésie arabomusulmane; ce qui fait que Dante est le premier grand écrivain européen et aussi celui qui a établi la relation entre la littérature européenne et la littérature musulmane.
Roberto Gac : Excellent rappel, tout à fait juste! Or, j'ai voulu dire que Dante était « européiste ». Dante, politiquement, a voulu l'intégration de l'Europe et il a lutté
pour cela. D'autre part, La Divine Comédie est un poème syncrétique. Dante s'appuie à la fois sur le christianisme, le judaïsme et l'islam. La Kabbale et Le Livre de l'Échelle
de Mahomet ont une importance décisive dans la
structure du poème dantesque.
EXTRAIT 8
Public : Peut-on vraiment interroger la littérature à partir des postulats dans lesquels ce qui sépare la fiction
de la réalité n'est qu'une question de probabilités, c'est-à-dire qu'on l'a abordé, par l'absurde, par l'impossibilité, etc.
Roberto Gac : Voilà! Nous sommes en plein dans le problème de la littérature et de la fiction, de la réalité et de l'irréalité. Comment comprendre la fiction? C'est quoi la réalité? L'irréalité? La fiction? Pour moi, la réponse est pratique. La fiction, c'est un outil de travail. La fiction peut être aussi efficace en sciences qu'en philosophie, en littérature comme dans la vie ordinaire. Mais comment la définir? D'abord, c'est un mécanisme psychique. On est tout le temps en train de se raconter des histoires dans la tête, n'est-ce pas? En ce moment, tout le monde écoute, mais nous continuons à bavarder dans notre intimité, à nous raconter des histoires dans nos têtes. La fiction est constamment en train d'opérer en nous. Alors que se passe-t-il? D'où vient la fiction?
C'est évidemment un mécanisme intellectuel. C'est l'intellect qui fonctionne automatiquement. Ce récit que nous avons dans la tête, dépend de ce que l'on pourrait appeler le «centre intellectuel». Mais parfois cette fiction a des charges émotionnelles très violentes, et on se raconte des histoires atroces. On imagine la mort de ses enfants,
on pense à des tas de catastrophes, etc. La fiction de l'intérieur est souvent chargée d'émotions négatives, rarement d'émotions positives. Alors, l'écriture permet de sortir de cette
fiction "intérieure", chaotique et obscure, et de la transformer en fiction littéraire.
Dans un laboratoire on peut utiliser la fiction pour aider à l'expérimentation. C'est un outil de connaissance, un instrument de programmation et d'invention. En littérature, la fiction me permet d'explorer les choses, de les comprendre autrement. Par exemple, quitter la pratique de la psychiatrie aux États-Unis eut des répercussions
économiques graves pour moi. Comme psychiatre, je pouvais gagner beaucoup d'argent, ce qui fut le cas, notamment au Chili, où mon salaire en dollars comme psychiatre de la Kennecott Copper Co.
et de El Teniente était dix fois le salaire d'un ouvrier de la mine de cuivre, pourtant l'ouvrier le mieux payé du Chili. Quitter la pratique médicale m'a donc posé des problèmes d'ordre financier, mais aussi d'ordre moral. Parce que la médecine est une profession ouverte
à l'Autre, qui apporte quelque chose à l'Autre, tandis qu'écrire oblige à un certain isolement. J'étais donc assailli par le doute et, au bout d'un an, j'ai décidé de me raconter par écrit ce qu'aurait pu être ma vie en tant que psychiatre aux États-Unis. Dans cette fiction, je me suis donné toutes les chances de réussite, et j'ai
travaillé sur ce matériau comme si j'avais été dans un laboratoire. J'ai placé mon ego là, au centre de cette
"irréalité". Je me suis identifié avec le protagoniste du Portrait d'un Psychiatre Incinéré, psychiatre qui va non seulement réussir aux États-Unis, mais qui va aussi établir une nouvelle conception de la psyché, une nouvelle psychiatrie, et qui va finalement fonder un institut, une
école de psychiatrie au Chili. Cette histoire totalement irréelle, je me la suis racontée par écrit pour savoir si, oui ou non, je m'étais trompé dans mon choix. Eh bien, arrivé à la fin de cette
fiction, ma certitude était claire : je ne voulais absolument pas
être psychiatre. Ce qui m'intéressait, comme activité essentielle, c'était l'écriture. Voilà pour moi le jeu entre le réel et la fiction. La question est trop complexe et j'y réponds comme je peux, en mettant l'accent sur l'utilisation de la fiction comme un outil de connaissance. Ayant probablement eu la même formation que mon ami Francisco Rivas, faculté de médecine d'un côté, faculté de philosophie de l'autre, j'ai mis tout cela au service de la création littéraire, d'une littérature que je voudrais d'une aussi grande valeur que la science ou la philosophie. Au Chili, on voyait la littérature dépérir,
à l'exception de celle créée par les
grands poètes, comme Neruda o Parra. La littérature qui nous arrivait de l'étranger nous semblait une littérature dévitalisée. Et la chose qui m'apparaissait comme essentielle pour la revitaliser, c'était non seulement de développer une nouvelle façon de raconter, mais aussi une nouvelle approche de la fiction. C'est la fiction comme outil de recherche et de connaissance qui permettra d'arriver à une écriture, à une littérature qui apportera quelque chose d'aussi valable que la science ou la philosophie. C'est tout ce que je peux répondre, d'une façon assez confuse certes, mais la question est aussi difficile qu'essentielle.
Alejandro Canseco-Jerez: Bien. Nous nous arrêterons là-dessus.