2007 Colloque à la Faculté des Lettres et Langues de l'Université de Metz,
à l'Ile du Saulcy,
les 16 et 17 novembre 2007.
Dans Le cadre "Image de l'amérindien dans la littérature et les arts",
le 16 novembre de 18 H à 19h30. Amphithéâtre 2
Table ronde autour de "Something's wrong" dijo el Indio Huenchuyán», texte de Roberto Gac
et de l'œuvre du peintre péruvien Herman Braun-Vega.
À propos de l'Indien Huenchuyán.
(Entretien avec Alejandro Canseco-Jerez *, le 7 octobre 2007)
Canseco-Jerez : Roberto Gac, comment vous est venue l’idée d’écrire une nouvelle autour d’un Indien Mapuche ?
Roberto Gac : Peut-être parce que j’ai passé mon enfance à Temuco, ville considérée comme la capitale de l’Araucanie. J’y rencontrais, tous les jours, en allant à l’école ou en accompagnant ma mère faire les courses, de nombreux indiens qui venaient au marché de la ville. Ils étaient habillés de leurs costumes traditionnels et les femmes parées de leurs bijoux en cuivre et en argent. Ils avaient l’air très digne, très sérieux. Ils me faisaient un peu peur…
CJ: L’Indien Huenchuyán a pourtant l’air très drôle…
RG : C’est vrai. Mais au fond il est très digne, très sérieux. Sa drôlerie est comme celle de tous les Indiens… et des Chiliens qui ont sans doute hérité de leur caractère. Vous savez, au Chili, nous passons notre temps à plaisanter, à rigoler… tout en étant très sérieux au fond. C’est une façon de faire face à la pesanteur de la vie ordinaire.
CJ : Mais le personnage lui-même a-t-il réellement existé ?
RG : Oui et non. Il m’a été inspiré par le cas de quelques Mapuches que j’ai rencontrés au Pénitencier de Santiago, où je travaillais comme stagiaire de l'Institut de Criminologie. À l’époque, je préparais mon Doctorat en Médecine et je devais présenter une thèse. Ayant choisi la Psychiatrie comme spécialité, je me suis intéressé au Complexe d’Œdipe, l’un des concepts fondateurs de la psychanalyse freudienne. Parmi des centaines de criminels enfermés dans le pénitencier, il y en avait dix qui avaient tué leur père, non pas dans leur Inconscient, mais dans la réalité. J’ai donc étudié chacun de ces cas (entretiens, anamnèse, tests psychologiques, etc.) pour en faire ma thèse « Données sur la psychopathologie du parricide », que vous pouvez trouver à la bibliothèque de la Faculté de Médecine de l’Université Catholique de Santiago. Elle est nettement moins drôle que la nouvelle !
CJ : Je veux bien vous croire ! Mais revenons à votre personnage. L’Indien a une façon très particulière de vivre sa sexualité. Est-ce le cas de tous les Mapuches ?
RG : Bien sûr que non ! Je vous rappelle que « Something is wrong’ dit l’Indien Huenchuyán » est une nouvelle, une œuvre de fiction. Elle a une réalité en soi, celle de la fiction, laquelle, comme je la définis dans mon intertexte « La Société des Hommes Célestes », n’est ni vraie ni fausse. Elle est, tout simplement. Donc, on ne peut pas faire de transpositions hâtives entre la vie quotidienne des Indiens et la vie fictionnelle. Cela dit, dans les résultats psychométriques détaillés de ma thèse, j’ai relevé une constante : la bisexualité très accentuée chez ces parricides. D’autre part, il faut tenir compte du fait que les Mapuches ne sont pas très catholiques ! Ils ont leur propre religion où le sentiment de culpabilité, si cher au judéo-christianisme, n’existe pas de la même façon. Sur ce point, ils sont beaucoup plus proches des Grecs de l’Antiquité que de nous. Et c’est peut-être pour cela que le Marquis de Sade leur rend hommage comme étant l’un des « peuples sages de la planète ». D’ailleurs, c’est en lisant « La philosophie dans le boudoir » de Sade, où il fait cette référence étonnante au Chili, que l’idée m’est venue d’écrire cette nouvelle.
CJ: Croyez-vous que les Mapuches d’aujourd’hui seraient contents de l’image « sadienne » que vous donnez de leurs coutumes amoureuses ?
RG : Je ne sais pas. En tout cas, la richesse de leur langue me semble refléter la richesse de leur sexualité. Bien entendu, cela se prête à discussion. Le mapudungun est une langue encore peu systématisée. Il y a au moins trois variantes. M'inspirant de Balzac et de ses Contes drolatiques dans lesquels il invente un lexique ressemblant au français ancien, cette imprécision m'a permis de plaisanter avec les mots. D’ailleurs, j'ai fait la même chose avec l'allemand dans ma nouvelle Herpès Théologal, parsemée de néologismes. Dans la version originale de Something's wrong, dit l'Indien Huenchuyán, le texte du récit en espagnol est encadré par la citation en français du Marquis de Sade du début et l’article du journal en anglais de la fin. Le français et l'anglais jouent le rôle des bœufs qui tirent la charrette de l'Indien, et l'espagnol celui du véhicule qui charrie le mapudungun dans une sorte de métaphore linguistique. Mais, j’insiste, « Something's wrong, dit l'Indien Huenchuyán » est une œuvre de fiction et non un essai sémiologique, anthropologique ou sociologique !
CJ : D’accord. Mais ne craignez-vous pas les réactions des comités de défense des Indiens, sans parler des protestations des féministes d'aujourd'hui ? Huenchuyán est plutôt "macho".
RG : Je suis le premier à défendre les Indiens, pour lesquels j’ai un profond respect. Huenchuyán n’est pas n’importe qui. En fin de compte, c’est un homme exceptionnel, non seulement parce qu’il sait parler l’anglais (rires), mais aussi parce qu’il est modeste, travailleur, loyal, bon chef de famille, bon élève, philosophe à sa façon et même artiste-peintre! Si tous les Indiens étaient comme lui, alors Sade avait parfaitement raison : le peuple mapuche est l'un des peuples sages de la planète. Quant au féminisme, je vous rappelle que Huenchuyán aime profondément Frésia et il se bat, couteau en main, pour la protéger, elle et son fils. Huenchuyán est féministe à sa façon.
CJ : Dans « La Guérison », l’un de vos livres publiés à Paris, le protagoniste est déjà un Indien…
RG : Effectivement. Dans « La Guérison », le protagoniste est un Mapuche qui, suite à une rupture amoureuse, devient fou. Il se prend pour Dante Alighieri réincarné, avec le devoir d’écrire une nouvelle Divine Comédie, un peu comme Pierre Ménard, l’"auteur" du Quichotte, dans la nouvelle de Borges. Le défi est considérable… Vous voyez, je me fais une haute idée de mes compatriotes d’enfance auxquels je souhaite, du fond du cœur, de récupérer bientôt les terres dont ils ont été dépossédés par les Huincas !
Canseco-Jerez : Roberto Gac, comment vous est venue l’idée d’écrire une nouvelle autour d’un Indien Mapuche ?
Roberto Gac : Peut-être parce que j’ai passé mon enfance à Temuco, ville considérée comme la capitale de l’Araucanie. J’y rencontrais, tous les jours, en allant à l’école ou en accompagnant ma mère faire les courses, de nombreux indiens qui venaient au marché de la ville. Ils étaient habillés de leurs costumes traditionnels et les femmes parées de leurs bijoux en cuivre et en argent. Ils avaient l’air très digne, très sérieux. Ils me faisaient un peu peur…
CJ: L’Indien Huenchuyán a pourtant l’air très drôle…
RG : C’est vrai. Mais au fond il est très digne, très sérieux. Sa drôlerie est comme celle de tous les Indiens… et des Chiliens qui ont sans doute hérité de leur caractère. Vous savez, au Chili, nous passons notre temps à plaisanter, à rigoler… tout en étant très sérieux au fond. C’est une façon de faire face à la pesanteur de la vie ordinaire.
CJ : Mais le personnage lui-même a-t-il réellement existé ?
RG : Oui et non. Il m’a été inspiré par le cas de quelques Mapuches que j’ai rencontrés au Pénitencier de Santiago, où je travaillais comme stagiaire de l'Institut de Criminologie. À l’époque, je préparais mon Doctorat en Médecine et je devais présenter une thèse. Ayant choisi la Psychiatrie comme spécialité, je me suis intéressé au Complexe d’Œdipe, l’un des concepts fondateurs de la psychanalyse freudienne. Parmi des centaines de criminels enfermés dans le pénitencier, il y en avait dix qui avaient tué leur père, non pas dans leur Inconscient, mais dans la réalité. J’ai donc étudié chacun de ces cas (entretiens, anamnèse, tests psychologiques, etc.) pour en faire ma thèse « Données sur la psychopathologie du parricide », que vous pouvez trouver à la bibliothèque de la Faculté de Médecine de l’Université Catholique de Santiago. Elle est nettement moins drôle que la nouvelle !
CJ : Je veux bien vous croire ! Mais revenons à votre personnage. L’Indien a une façon très particulière de vivre sa sexualité. Est-ce le cas de tous les Mapuches ?
RG : Bien sûr que non ! Je vous rappelle que « Something is wrong’ dit l’Indien Huenchuyán » est une nouvelle, une œuvre de fiction. Elle a une réalité en soi, celle de la fiction, laquelle, comme je la définis dans mon intertexte « La Société des Hommes Célestes », n’est ni vraie ni fausse. Elle est, tout simplement. Donc, on ne peut pas faire de transpositions hâtives entre la vie quotidienne des Indiens et la vie fictionnelle. Cela dit, dans les résultats psychométriques détaillés de ma thèse, j’ai relevé une constante : la bisexualité très accentuée chez ces parricides. D’autre part, il faut tenir compte du fait que les Mapuches ne sont pas très catholiques ! Ils ont leur propre religion où le sentiment de culpabilité, si cher au judéo-christianisme, n’existe pas de la même façon. Sur ce point, ils sont beaucoup plus proches des Grecs de l’Antiquité que de nous. Et c’est peut-être pour cela que le Marquis de Sade leur rend hommage comme étant l’un des « peuples sages de la planète ». D’ailleurs, c’est en lisant « La philosophie dans le boudoir » de Sade, où il fait cette référence étonnante au Chili, que l’idée m’est venue d’écrire cette nouvelle.
CJ: Croyez-vous que les Mapuches d’aujourd’hui seraient contents de l’image « sadienne » que vous donnez de leurs coutumes amoureuses ?
RG : Je ne sais pas. En tout cas, la richesse de leur langue me semble refléter la richesse de leur sexualité. Bien entendu, cela se prête à discussion. Le mapudungun est une langue encore peu systématisée. Il y a au moins trois variantes. M'inspirant de Balzac et de ses Contes drolatiques dans lesquels il invente un lexique ressemblant au français ancien, cette imprécision m'a permis de plaisanter avec les mots. D’ailleurs, j'ai fait la même chose avec l'allemand dans ma nouvelle Herpès Théologal, parsemée de néologismes. Dans la version originale de Something's wrong, dit l'Indien Huenchuyán, le texte du récit en espagnol est encadré par la citation en français du Marquis de Sade du début et l’article du journal en anglais de la fin. Le français et l'anglais jouent le rôle des bœufs qui tirent la charrette de l'Indien, et l'espagnol celui du véhicule qui charrie le mapudungun dans une sorte de métaphore linguistique. Mais, j’insiste, « Something's wrong, dit l'Indien Huenchuyán » est une œuvre de fiction et non un essai sémiologique, anthropologique ou sociologique !
CJ : D’accord. Mais ne craignez-vous pas les réactions des comités de défense des Indiens, sans parler des protestations des féministes d'aujourd'hui ? Huenchuyán est plutôt "macho".
RG : Je suis le premier à défendre les Indiens, pour lesquels j’ai un profond respect. Huenchuyán n’est pas n’importe qui. En fin de compte, c’est un homme exceptionnel, non seulement parce qu’il sait parler l’anglais (rires), mais aussi parce qu’il est modeste, travailleur, loyal, bon chef de famille, bon élève, philosophe à sa façon et même artiste-peintre! Si tous les Indiens étaient comme lui, alors Sade avait parfaitement raison : le peuple mapuche est l'un des peuples sages de la planète. Quant au féminisme, je vous rappelle que Huenchuyán aime profondément Frésia et il se bat, couteau en main, pour la protéger, elle et son fils. Huenchuyán est féministe à sa façon.
CJ : Dans « La Guérison », l’un de vos livres publiés à Paris, le protagoniste est déjà un Indien…
RG : Effectivement. Dans « La Guérison », le protagoniste est un Mapuche qui, suite à une rupture amoureuse, devient fou. Il se prend pour Dante Alighieri réincarné, avec le devoir d’écrire une nouvelle Divine Comédie, un peu comme Pierre Ménard, l’"auteur" du Quichotte, dans la nouvelle de Borges. Le défi est considérable… Vous voyez, je me fais une haute idée de mes compatriotes d’enfance auxquels je souhaite, du fond du cœur, de récupérer bientôt les terres dont ils ont été dépossédés par les Huincas !