ANALYSE DU DISCOURS DE VARGAS LLOSA À L'ACADÉMIE FRANÇAISE

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(V
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L’élection à l’Académie Française du romancier péruvien, auteur quasi nonagénaire d'une dernière nouvelle "Los Vientos", Les Pets, où il raconte ses pétarades (humides et incoercibles en dépit de son Prix Nobel de Littérature), candidat admis parmi les Immortels bien qu’il ne sache pas écrire dans la langue du Cardinal de Richelieu, scelle tristement le déclin de la littérature française, perçu partout dans le monde... sauf en France. Voici une analyse, plutôt coprologique, de son discours sous la Coupole.



La cérémonie d’admission de Vargas Llosa à l’Académie Française eut lieu tandis que je rédigeais la version en espagnol de mon pamphlet, « Autant en emportent les vents ». Son discours m’inspira un épilogue, peut-être superflu, mais intéressant du point de vue du marché littéraire. Pour commencer, les doutes à propos de l’origine commerciale de la distinction octroyée au romancier péruvien sont dissipés par une curieuse entorse au protocole académique : l’épée traditionnelle attribuée au nouveau membre ne lui fut pas présentée sous la Coupole, mais chez son éditeur, Monsieur Gallimard, lors d’un dîner privé. Celui-ci se félicita pour cette brillante opération éditoriale (avec roi inclus, même si Juan Carlos 1er  ne savait pas très bien s’il se trouvait à Paris au bord de la Seine ou à Saragosse au bord de l’Ebro), opération marketing qui  laissa définitivement établi devant le Tout Paris qui est le maître du monde littéraire français. Or, cet évènement est aussi l’illustration flagrante de la décadence de la littérature française, déclin reconnu dans le monde entier, sauf en France, où les médias s’efforcent de le minimiser et de l’occulter. L’admission de Mario Vargas Llosa dans l’institution fondée par le cardinal de Richelieu est le sceau qui certifie cette triste réalité.

Rappelons que Madame Aurélie Filipetti, Ministre de la Culture sous la présidence de François Hollande, eut l’intelligence de déclarer -en faisant ondoyer sa longue chevelure à la Schopenhauer- que la littérature est, d’abord, l’œuvre de l’éditeur et non pas de l’écrivain (déclaration qui aurait laissé sans voix les écrivains du célèbre Cénacle balzacien des Illusions Perdues). Monsieur Gallimard, avec sa cupidité et son instinct de domination (ex æquo avec Monsieur Bolloré & Co), vient de confirmer cette niaiserie étourdissante. De son côté, Varguitas ajoute, comme élément esthétique d'une théorie littéraire tout à fait parisienne, sa conviction de la suprématie du roman, même dans l’Au-delà, dont il serait, dans notre lugubre vie terrestre, l’augure du Paradis.

Passons rapidement sur la qualité linguistique de son discours sous la Coupole. La première partie a été traduite dans un français médiocre (Bensoussan, traducteur gallimardesque de Vargas Llosa, l’a-t-il encore une fois trahi?). La deuxième, dédiée à l’éloge de Michel Serres, fut écrite dans un français plus régulier, manifestement à la charge d’un ghost writer spécialiste de l’épistémologue. Totalement incognito, bien entendu. Le lecteur amateur des liens philologiques amusants saura apprécier la suite du discours (www.académie française), où Varguitas émet plusieurs balourdises qui font soupçonner le début d'une démence sénile. Par exemple :

"Le roman sauvera la démocratie ou s’abîmera avec elle et disparaîtra".

Ce n’est pas du tout le résultat que ses propres romans produisent au Pérou, bien au contraire. Depuis la publication de La ville et les chiens en 1963, la démocratie péruvienne ne fait que s’abîmer et se décomposer. Les présidents de la république vont tous rapidement en prison à cause de leur corruption, incarcérés par leurs coreligionnaires du Congrès, encore plus corrompus qu’eux. Aujourd’hui Varguitas, fier d’avoir été élu à l’Académie Française, a envoyé son meilleur appui à la police et aux militaires qui répriment à la mitraillette les indiens, les paysans, les ouvriers, les fonctionnaires et les étudiants qui s’opposent au coup d’État camouflé contre Pedro Castillo, le modeste mais charismatique maître d’école, élu pourtant démocratiquement  Président du Pérou («personnage incompétent et ignorant » selon le romancier et la bourgeoisie de Lima). Varguitas ferait mieux d’arrêter d’écrire des romans.

Ou bien:

"On n’a jamais rien inventé de mieux jusqu’à présent que le roman pour maintenir vivant le rêve d’une société meilleure."

Le roman permet peut-être de rêver, mais il ne change rien dans la réalité. Même The Grapes of Wrath, l’émouvant roman de John Steinbeck, « criminal communist » qui raconte l’histoire des paysans de l’Oklahoma dépouillés de leurs terres par des banques et obligés par la suite d’émigrer en Californie. Ce roman n’a malheureusement rien changé. Les mêmes banques et les entreprises agricoles de jadis exploitent aujourd’hui les émigrés mexicains. Seule, la nationalité des exploités a changé. Le roman ne peut pas remplacer  l’inéluctable et nécessaire transformation socialiste de la société capitaliste, évolution ardemment souhaitée par Steinbeck.

Ou encore :

"Et le songe de Dieu et de l’autre vie est toujours là (…) C’est là que sera toujours le roman, pour nous donner espoir, nous accorder un dernier souffle à l’instant ultime (…) Nous sommes nombreux à penser à l’autre vie comme à une résurrection de la littérature."

Si nous ajoutons à ces « perles » de la “pensée agnostique” dont se revendique Vargas Llosa, son admiration pour Flaubert en tant qu’inventeur (d’après lui) du “narrateur invisible”, c’est-à dire, du romancier en tant que « suppléant de Dieu » ("suplantador de Dios", qualité qu’il lui accorde dans son livre Histoire d’un déicide) ou, mieux encore, du romancier carrément comme Dieu Tout Puissant qui crée la seule « réalité réelle », celle du roman, nous pourrions diagnostiquer un délire en processus de systématisation. (« Le roman comme délire, le délire comme roman », serait plus approprié comme formule).

"Tout le roman moderne est intimement affecté par cette découverte de Flaubert et c’est, sans doute, la plus importante incorporation de cette voix anonyme – celle de ce Dieu qui ne se laisse pas voir – dans les histoires que racontent ses contemporains."

Varguitas (illiterate novelist), pour lequel le romancier moderne serait une sorte de deus ex-machina de sa propre narration, oublie la polyphonie de Dostoïevski, jumeau chronologique de Flaubert (tous deux sont nés et morts presque en même temps). Et il ignore la monophonie à la Tolstoï, le créateur de la Madame Bovary russe, Anna Karénine, où l’auteur-narrateur joue un rôle essentiel, à l’instar du narrateur de La Sonate à Kreutzer. (Pour sûr, toutes ces considérations ne l'empêchent nullement de piétiner ses propres axiomes romanesques dans son dernier roman -Tiempos Recios- où l'auteur Vargas Llosa descend en corps et âme dans le texte pour s'entretenir avec la protagoniste-narratrice "Miss Guatemala". Comprenne qui pourra !)

Grâce à ses affirmations romanesques (pour ne pas dire « grotesques »), nous pouvons mieux comprendre les raisons pour lesquelles Varguitas se divinise lui-même : en tant que Romancier Suprême, il ne peut être que Dieu! Raison suffisante pour pousser ses disciples romanciers à demander au Pape Francisco au moins sa canonisation comme « San Mario Vargas Llosa », seul prix littéraire qui lui manque. Obstacle : le Pape argentin (« rojo », « comunista », pour les lecteurs du journal franquiste ABC) est imperméable aux pressions de l’US Publicity Agency. 1
Dans son discours, Varguitas apporte quand même quelques vérités de La Palice, surtout en ce qui concerne la liberté de la littérature :

"La littérature a besoin de la liberté pour exister, et quand celle-ci n’existe pas, elle recourt à la clandestinité pour la rendre possible…"

C’est dans une certaine mesure ce qui arrive à l’autoédition, bannie par un establishment qui ne reconnaît pas d’autre liberté que celle qui lui convient économiquement et idéologiquement. On pourrait pousser la comparaison jusqu’aux samizdats qui circulaient dans la clandestinité à l’époque stalinienne en URSS.

Or, sans s’apercevoir de la contradiction, figure rhétorique habituelle chez Varguitas, il lance un appel éhonté à la critique pour qu’elle exerce son pouvoir de censure et empêche les romanciers de s’égarer:

"D’où la nécessité d’une critique, comme celle des dix-huit, dix-neuf et vingtième siècles en France, qui remette sur la bonne voie ceux qui se sont égarés, et signale le chemin aux autres (…) Et c’est ce que doit être la critique : signaler le chemin…"

Nathalie Sarraute et Roland Barthes s’indigneraient en écoutant cet appel non à la critique authentique, mais à la censure exercée par les éditeurs et la critique commerciale. L’authentique critique littéraire (un art et une science en soi à l’intérieur de la littérature) analyse un texte, mais sans l’encadrer dans une morale pharisienne. Un pamphlet peut être « moraliste » car il dénonce les dérives et les injustices de la société, mais la critique littéraire n’a rien à voir avec la morale. Le discours de Vargas Llosa, « défenseur de la liberté » d’après le cliché inlassablement répété par la presse bourgeoise, est péniblement contradictoire et très dangereux du point de vue de la liberté de création.
Puis, comme cerise sur le gâteau de sa pitoyable harangue romanesque, il ajoute une pincée d’islamophobie et une autre d’hypocrite considération envers la femme que Varguitas (« mucho macho ») écrase scandaleusement dans la réalité :

"Inutile de dire que nous ne devons pas ménager nos efforts tant qu’existent encore des dictatures ou des tyrannies, tant que sont commises, au nom d’une doctrine ou d’une foi religieuse, tant d’exactions contre la femme (…)."

Son ex-épouse et ses ex-concubines sauront apprécier autant de gentillesse conseillée par les convenances académiques.
 
Illustration 2

(Varguitas et sa pétarade à l'Académie Française)

 

Avant de finir mon discours pamphlétaire (l’allocution de Varguitas dura plus d’une heure au milieu des bâillements, des regards d’ennui et de dégoût des académiciens à cause des « vents » incoercibles de leur nouveau confrère, debout au milieu des fauteuils abandonnés par quelques Immortels pour fuir la pétarade), il est nécessaire de jeter un coup d’œil aux paramètres historiques qui constituent la base de l’œuvre du romancier .

Pour Vargas Llosa la littérature française se réduit et se concentre au XIXe siècle : Victor Hugo, Flaubert, Balzac, Zola sont ses références les plus fréquentes. Le XXe siècle n’existe pas. Bien entendu, Proust et la Recherche non plus : Varguitas s’avoue incapable de lire l’une des œuvres parmi les plus décisives de l’histoire de la littérature narrative, car elle amorce la fin du roman comme genre littéraire. Tous les grands mouvements de l’avant-garde française n’existent pas non plus pour lui : ni les surréalistes de Breton, ni les romanciers du Nouveau Roman, ni ceux de Tel Quel, même pas ceux de l’Oulipo ou ceux de la Nouvelle Fiction n’entrent dans son spectre, incroyablement étriqué. Vargas Llosa (« écrivain médiocre pour des lecteurs médiocres », disais-je dans mon pamphlet) s’y connaît peut-être en « novelería », surtout en « novelería del pasado », mais il s’y connaît très peu en littérature contemporaine. Harcelé par la peur de la mort, il se « démerde » (c’est le cas de le dire) pour imaginer une apogée du roman dans l’Au-delà, salut de tous les mortels (sauf pour les indiens analphabètes, bien sûr), mais il est incapable de concevoir l’évolution de la littérature narrative à l’époque cybernétique.

Dans son discours, exhibant un « modernisme » très galvaudé, il tente la comparaison entre la littérature et le cinéma, entre la télévision comme divertissement et le roman ( aujourd’hui devenu presque un simple réservoir d’histoires pour l’industrie audiovisuelle). Il aurait pu faire mention de la supériorité du film de Roman Polanski « The Ghost Writer » sur le roman éponyme de Robert Harris qui l’inspira, supériorité esthétique que le propre Harris reconnut. Cependant, cela l’aurait poussé dangereusement à parler des manœuvres tentaculaires de la CIA à laquelle (qui oserait encore le nier ?) il appartient depuis sa jeunesse. John Le Carré était beaucoup plus honnête (et meilleur romancier) que son collègue péruvien, car il avoua son appartenance au Secret Intelligence Service, l’équivalent britannique de la CIA, qu’il finira par abandonner et critiquer courageusement. Soit dit en passant : si la CIA se débrouilla pour installer en Angleterre un Prime Minister à sa convenance (Tony Blair, d'après Polanski et Robert Harris), fabriquer un Prix Nobel de Littérature pour manipuler le marché littéraire et le monde de la culture fut une affaire beaucoup plus facile.

Vargas Llosa, s’il s’intéresse à la TV, ne fait pas la moindre allusion au phénomène crucial du nouveau millénaire : l’invention de l’écriture électronique et l’avènement d’Internet, phénomènes aussi importants que l’invention de l’imprimerie. Ces inventions technologiques ouvrent la porte à une sortie définitive du roman, genre de plus en plus dévitalisé et obsolète. Alors, comment prendre au sérieux son admission à l’Académie Française ? Comment ne pas voir une énorme fraude culturelle dans l’attribution du prix Nobel qui lui fut octroyé en 2010 ? Quelque chose sent le pourri dans ce monde, nous rappelle Shakespeare, pas seulement les « vents » du romancier, mais aussi l’appareil édito-littéraire de notre société.

1 Sketch : On sait que le très catholique Cardinal de Richelieu, qui se débrouilla pour trouver en Enfer un petit boulot comme gardien de l’abîme où finissent, sans exception, tous les Académiciens, se prépare pour l’arrivée de Varguitas (ancien élève des Frères des Écoles Chrétiennes de la congrégation de Saint Jean-Baptiste de La Salle et des Frères Maristes de la congrégation du Bienheureux Marcellin Champagnat) et le traîner, en le tirant par les oreilles, jusqu’au tableau noir où il devra, pour l’éternité, écrire et répéter la phrase « Je dois apprendre à écrire le français ». Sans fautes. 

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