"Nous devons nous rendre multilingues, donc rendre nos textes multilingues... Imaginons un roman par lettres dans lequel certains correspondants écriraient en japonais, d'autres en français ou en anglais. Ceux qui connaîtraient les deux ou trois langues pourraient lire la totalité. Pour les autres, il faudrait des traductions différenciées. Notre situation linguistique implique une transformation prochaine radicale de tous les genres littéraires..."
 Michel Butor, Improvisations sur Michel Butor - L'écriture en transformation, La Différence, 1993.

Portrait de Roberto Gac par Braun-Vega, 2009 Portrait de Roberto Gac par Braun-Vega, 2009
    La première version de La Guérison  (« La Curación », Coya, Chili, 1967 – Paris, 1972) n’a jamais été publiée, sauf comme fac-similé du manuscrit en espagnol. Le texte, monolingue et fermé, fut rédigé suivant les codes du roman conventionnel. La deuxième version (Éditions de la Différence, Paris 2000), plurilingue, ouverte et post-romanesque, est écrite en intertextualité explicite avec la Divine Comédie. Le lecteur "monolingue" peut accéder à l'intégralité de La Guérison en faisant appel à De l'éloquence en langue d'oïl, petit glossaire conseillé par Michel Butor, où les textes écrits dans des langues autres que le français sont traduits en "langue d'oïl"...  telle qu'elle est parlée dans la France du début du troisième millénaire.

Aux versions « papier » de La Guérison, s’ajoute maintenant, grâce aux progrès de la technologie, la version électronique (Kindle, 2021). Cette version coïncide, chronologiquement, avec la commémoration du 7ème centenaire de la mort de Dante Alighieri (Florence 1265, Ravenne, 1321).  Le glossaire conseillé par Michel Butor n’est plus nécessaire en tant que livre séparé, puisque maintenant le lecteur peut accéder -par un simple « clic »- directement aux traductions, incorporées à la masse globale de l’ouvrage. La révolution cybernétique, l’écriture et la lecture électroniques ouvrent les portes au développement de l’Intertexte plurilingue. Le dépassement du roman comme genre littéraire monolingue, qui prit son essor grâce à l’invention de l’imprimerie, est donc techniquement matérialisé et esthétiquement accompli. Le lecteur d’aujourd’hui dispose, d’ailleurs, des facilités de lecture apportées par les nouvelles technologies (liens hypertextuels, police et couleurs des caractères, etc.), y compris la plus importante : s’introduire, s’il le veut, dans la structure même de la narration pour, éventuellement, la modifier et lui donner la forme qu’il voudra. La lecture-écriture, impossible dans le roman conventionnel, fermé au lecteur qui veut écrire (« le vrai lecteur », selon Roland Barthes) devient une réalité.

            Évidemment, le « monde des lettres », y compris celui de l’édition, s'en trouve profondément bouleversé. Du roman on passe à l’Intertexte. Et de l’édition on passe à l’« éditorialisation », concept et modalité de publication développé par l’équipe de Sens Public avec l’appui de l’Université de Montréal. La Divine Comédie, qui servit de pont entre l’épopée et le roman, sert d’appui -sept siècles après sa création- au passage du roman à un nouveau genre narratif, l’Intertexte. Dante Alighieri est, littérairement, toujours vivant. 

 

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