Le Mystérieux Correspondant / El Remitente Misterioso

LA VIE NOUVELLE DE MARCEL PROUST / LA NUEVA VIDA DE MARCEL PROUST

 (À propos du Mystérieux Correspondant)

 

En cette année fertile en événements proustiens, les Éditions de Fallois viennent de publier, sous la direction de Luc Fraisse, un recueil de nouvelles inédites de Marcel Proust, Le Mystérieux Correspondant. Il s’agit de neuf courts récits écrits vers 1896, l’année de la publication de Les Plaisirs et les Jours, premier livre de l’écrivain, qui réunit des textes dont les inédits en faisaient vraisemblablement partie, avant d’être écartés par l'auteur. Un seul parmi eux, celui qui donne son titre au recueil, est achevé, les autres étant restés incomplets.

Luc Fraisse, spécialiste de l’œuvre de Proust, perçut la qualité esthétique de ces fragments, longtemps conservés dans les archives de Bernard de Fallois (décédé en 2018), lui-même grand amateur, collectionneur et éditeur des écrits proustiens. Appuyé par Dominique Goust, le directeur des Éditions de Fallois, il prit la décision de les analyser scientifiquement et d’offrir les résultats de sa recherche à un public le plus large possible, au-delà des cercles universitaires (rappelons que Luc Fraisse est aussi professeur de littérature à l’Université de Strasbourg). Il étudia donc chacun des textes, recherchant notamment les liens décelables avec les nouvelles de Les Plaisirs et les Jours, mais aussi avec Contre Sainte-Beuve et À la Recherche du Temps Perdu, comme il le signale dans l’essai qui ferme le recueil : Aux sources de la Recherche du temps perdu.

Ce qui frappe dans la lecture des neuf textes proposés, inachevés ou pas, c’est leur qualité poétique vivante. Depuis la première ligne jusqu’à la dernière, il y a une vie qui jaillit et qui cherche à trouver une forme à travers l’écriture. Le lecteur sait, bien entendu, qu’il s’agit de Marcel Proust et qu’il est devant les premières manifestations de son génie. Pour peu qu’il soit attentif au déroulement des récits (certes, parfois maladroits car insuffisamment travaillés, et pour cause), il ne pourra qu’apprécier le suspens des situations, le mystère caché derrière les personnages, la tristesse ou le plaisir transmis par l’anecdote racontée. La vibration vitale émanant des textes, leur transparence et leur ingénuité, les rendent charmants en dépit de leur inachèvement. Ou, peut-être, grâce à cet inachèvement. Qui n’est pas touché par les premiers dessins, esquisses ou tableaux encore peu habiles de Picasso adolescent ? Son génie est déjà là, phénomène d’autant plus palpable lorsqu’on connaît la suite de sa production picturale. Douter donc de l’intérêt esthétique de ses écrits de jeunesse serait une appréciation plus proche de la pusillanimité que d’une lecture réellement attentive, laquelle, d’ailleurs, doit être raisonnablement généreuse si l’on tient compte de l’âge de l’écrivain.

Le premier récit -Pauline S.-, histoire d’une dame atteinte d’un cancer inguérissable, contient une attendrissante méditation sur la mort, sujet sur lequel le très jeune Proust reviendra souvent. Dans le deuxième -Le Mystérieux Correspondant-, à l’intrigue à la fois savoureuse et délicate, il est question d’un amour incompris entre deux femmes, dont l’inassouvissement provoquera la mort par mélancolie de l’une et le sentiment tardif de culpabilité et de désespoir de l’autre.  Ce récit, parfaitement accompli, est suivi du fragment d’une digression, beaucoup plus « hard » (pour utiliser ici un mot de la pornographie internaute) et proche des phantasmes « gay » (« elle aimait les artilleurs dont il faut longtemps -ah ! si longtemps- pour déboucler le ceinturon »). Le troisième -Souvenir d’un capitaine- évoque indubitablement l’homosexualité masculine, même si l’anecdote de l’ancien officier aristocratique et de son éblouissement pour un modeste brigadier de garde, n’ira pas plus loin que le sentiment d’un désir éclair et frustré.  Dans le quatrième texte -Jacques Lefelde (l’étranger)- le lecteur découvre une narration brusquement interrompue et plutôt décevante, appesantie par des données invraisemblables. L’anecdote a lieu dans le Bois de Boulogne où le narrateur observe de loin un ami qui se promène seul au bord du lac, à l’attente hypothétique d’une personne qui ne se montre jamais. Le promeneur a l’allure d’un amoureux comme d’autres arpenteurs du lieu, hommes ou femmes à la recherche d’un plaisir furtif et rapide, mais, comme il l’avouera plus tard au narrateur, il n’est amoureux que de la beauté du lac. C’est peu crédible. La cinquième nouvelle -Aux enfers- est une plaisante élucubration philosophique truffée de quelques rappels de la Bible autour des qualités et des défauts de la femme. Sodome et Gomorrhe et l’homosexualité s’insinuent derrière ce texte amusant qui cependant pourrait éveiller le courroux des féministes d’aujourd’hui. Le titre du texte suivant -Après la 8ème symphonie de Beethoven- annonce une extase que, de prime abord, le lecteur peut-être n’éprouvera pas. Il n’y a pas d’anecdote à proprement parler, ni suspens ni récit dans le sens habituel du mot. S’agit-il d’une lettre adressée à l’être aimé, à un poète, ou d’une courte méditation schopenhauerienne sur la musique ?  Le génie de Proust le pousse à décrire, plus qu’un phénomène purement esthétique, reconnaissable par tout mélomane, le « corps subtil » connu par les maîtres ésotériques sous le nom de « corps astral ». Mais le jeune Proust n’a pas encore entièrement conscience de la portée de sa description. En revanche, La conscience de l’aimer déploie, en deux courtes pages, la certitude douloureuse d’un amour impossible, remplacé par les caresses exclusives, intimes et solitaires d’un chat-écureuil qui glisse entre la fantaisie et  les mains de l’amoureux dépité. Le don des fées, la huitième et la plus longue des nouvelles inachevées, rappelle gracieusement les contes de fées pour enfants, tout en jouant avec la figure du génie bienfaiteur des artistes qui nous rendent la vie moins morne, plus supportable, liste dont Proust s’exclut en toute modestie doutant de l’immense lumière que son propre génie allait répandre sur l’esprit de notre époque. Il s’enferme et se protège derrière un mur de métaphores sur les malheurs et les misères de l’amour humain et il écoute avec humilité les prophéties d’une fée sur sa destinée, où sa maladie physique deviendra une source d’illumination. C’est ainsi qu’il avait aimé conclut symboliquement le recueil, bref texte qui est une sorte de deo gratias de Proust pour avoir compris que -à l’instar des oiseaux chanteurs dont la destinée la plus haute est de chanter- son propre salut viendrait de sa vocation artistique, de son écriture.

Voici donc une lecture possible de ce recueil de textes abandonnés, trouvés dans le désordre, mais soigneusement et poétiquement ordonnés par son architecte-éditeur. Pourquoi Proust décida-t-il de les laisser de côté au moment de la rédaction finale de Les Plaisirs et les Jours ? Pour Luc Fraisse, une des raisons serait l’homosexualité ouvertement exhibée dans quelques situations vécues par les personnages. Proust, conscient de l’hypocrisie de l’époque sur le sujet, aurait préféré éviter que son premier livre fût l’objet de la malveillance de la critique et du public. Cette hypothèse très plausible est, d’ailleurs, étayée par un fait historique immédiatement contemporain de la rédaction des nouvelles : la condamnation en 1895 à deux ans de travaux forcés de l’un des plus grands écrivains de la fin du 19e siècle, Oscar Wilde, dénoncé par la bourgeoisie anglaise pour son homosexualité. Proust connaissait et admirait à sa façon Oscar Wilde et, sans doute, il eut peur de la dangereuse bêtise de la société de son temps. Il avait un peu plus de vingt ans et son choix de discrétion était, de toute évidence, judicieux. Cette discrétion devint moins nécessaire à la fin de sa vie et de son œuvre. Le Proust de Sodome et Gomorrhe, lauréat du prix Goncourt 1919 décerné au deuxième tome de la Recherche, À l’ombre des jeunes filles en fleurs, avait beaucoup moins à craindre de la société de la Belle Époque. Ajoutons que, comme tous les grands génies, il avait déjà l’intuition de sa mort prochaine, en 1922. Il n’avait plus rien à perdre, et la suite des événements lui donna raison, puisqu’il mourut avant la parution de Sodome et Gomorrhe. Au fond, peut-être ne voulut-il pas se trouver dans le monde du Faubourg Saint Germain obligé de s'excuser pour ses préférences sexuelles !

Fait curieux, d’éminents proustologues parisiens mettent en doute non seulement l'originalité et la pertinence des inédits, mais aussi le génie de Proust dans sa jeunesse. Il ne serait, affirment-ils, qu’un génie « tardif ». Ils se permettent même d’avancer, avec une précision d’horloger, l’âge du début de sa génialité : 42 ans. Cette précision superfétatoire est probablement le résultat d’un regard romanesque, conventionnel et obsolète, dans l’analyse de la Recherche et d’une approche freudienne trop facile et inopérante qui déforme la perception de la psychologie révolutionnaire du « moi » mise en œuvre par Proust. Ces insuffisances empêchent de comprendre, entre autres, les caractéristiques du génie. Kurt Schneider, psychiatre allemand postfreudien qui définit la « psychopathie » comme une « façon d’être » et non comme une maladie acquise, situe la personnalité du génie au premier rang dans son émouvante (et, certes, discutable) liste « Die psychopathischen Persönlichkeiten», liste qui inclut aussi, en queue du peloton, le criminel. La constellation de gènes qui accompagnent la naissance de tout être humain, qu’il le veuille ou pas, sont à la base du génie. Fernando Pessoa, poète incontestablement génial, assure dans son Faust, en dépit de son athéisme, que « le talent est un don de Dieu » et que pour cette raison il ne devrait jamais être source de jalousie de la part de celui qui n’en possède pas. Beethoven, l’auteur de la 8ème symphonie, était-il jaloux de Mozart et de sa 40ème symphonie? Et Mozart, était-il un génie uniquement à partir de Don Giovanni et non pas dans son enfance ?

 Passons.

Le méticuleux appareil scientifique et poétique (dans le sens défini par Roman Jakobson, qui savait déceler le "poétique" dans maints aspects de la création humaine) forgé par Luc Fraisse pour mettre en rapport les écrits du jeune Proust et ceux de sa maturité, permet d’apprécier dans sa véritable dimension le génie vivant et évolutif de l’écrivain. À la recherche du temps perdu, fleuve majestueux de la littérature universelle, ne peut pas être admiré dans sa véritable envergure si on le sépare de ses sources. Mais il y a encore un autre aspect poétique dans l’édition des nouvelles inédites de Proust : la forme même du livre rappelle celle de la Vita Nuova de Dante Alighieri, où le poète explique, parfois très longuement, ce qu’il voulut dire dans ses poèmes de jeunesse. « L’explication comme poésie, la poésie comme explication », disait aussi Lautréamont dans ses Poésies, toutes en prose, qui accompagnent les Chants de Maldoror.

Pour ne pas laisser inachevée à son tour cette note de lecture, il faut signaler que le livre publié par Dominique Goust et l’équipe des Éditions de Fallois (considérées comme une "petite maison" dans le très hautain milieu germanopratin de Paris) inclut un supplément de fac-similés de quelques manuscrits inédits. Dominique Goust, en faisant le pari d’appuyer Luc Fraisse dans son exploration des sources de l’œuvre proustienne, exploration admirable qui confirme que le temps retrouvé par Marcel Proust ouvre la voie à une vita nuova de la littérature, a obtenu un succès mondial. Le Mystérieux correspondant commence à être traduit dans de nombreuses langues. Peut-on espérer chez les proustologues du monde entier, y compris en France, la fin de la jalousie ? Proust, dont le sens de l'humour était vraiment génial, rirait aux éclats !


 

LA NUEVA VIDA DE PROUST

(A propósito de El Remitente Misterioso )

                                                                                                                    

Éditions de Fallois ha publicado, bajo la dirección de Luc Fraisse, una colección de cuentos inéditos de Marcel Proust, El Remitente Misterioso (Le Mystérieux Correspondant). Son nueve relatos escritos hacia 1896, año de la publicación del primer libro del escritor -Los placeres y los días (Le Plaisir et les Jours)- que reúne textos de los que probablemente formaron parte los inéditos, antes de ser descartados por el autor. Sólo uno de ellos, el que da título a la colección, fue terminado.

Luc Fraisse, especialista de la obra de Proust, percibió la calidad estética de estos fragmentos, conservados durante mucho tiempo en los archivos de Bernard de Fallois (fallecido en 2018), gran aficionado y coleccionista de manuscritos proustianos. Apoyado por Dominique Goust, director de Éditions de Fallois, tomó la decisión de analizarlos científicamente y ofrecer los resultados de su investigación al público más amplio posible, más allá de los círculos universitarios (Luc Fraisse es profesor de literatura en la Universidad de Estrasburgo). Estudió cada uno de los textos, buscando en particular vínculos detectables con los cuentos de Los Placeres y los días, pero también con Contra Sainte-Beuve (Contre Sainte-Beuve) y En búsqueda del tiempo perdido (A la Recherche du Temps Perdu), como lo señala en el ensayo que cierra el libro : Las fuentes de la Búsqueda del Tiempo Perdido (Aux Sources de la Recherche du Temps Perdu).

Lo que llama la atención en la lectura de los nueve textos propuestos, inacabados o no, es su viva calidad poética. Desde la primera línea hasta la última, hay una vida que brota y busca encontrar su forma a través de la escritura. El lector sabe, por supuesto, que se trata de Marcel Proust y que se encuentra ante las primeras manifestaciones de su genialidad. Si sigue con atención el desarrollo de las historias (cierto, a veces abruptas porque no fueron suficientemente trabajadas), no puede sino apreciar el suspenso de las situaciones, el misterio que se esconde detrás de los personajes, la tristeza o el   placer transmitidos por la historia contada. La vibración vital que emana de los relatos, su transparencia y su ingenio, los hacen encantadores a pesar de su incompletud. O, quizás, gracias a esta incompletud. ¿A quién no conmueven los primeros dibujos, bocetos o pinturas de Picasso adolescente, todavía poco hábil? Su genialidad ya está ahí, fenómeno por cierto aún más apreciable si se conoce el resto de su producción pictórica. Dudar del interés estético de los escritos juveniles de Proust sería una apreciación más cercana a la pusilanimidad que a una lectura realmente atenta, la cual, además, debe ser razonablemente generosa si se tiene en cuenta la edad de su autor.

El primer cuento -Pauline S.- es la historia de una mujer que padece un cáncer incurable. El relato conlleva una meditación sobre la muerte, tema al cual volvería a menudo Proust en los comienzos de su juventud. El segundo texto -El Remitente Misterioso- cuenta un amor incomprendido entre dos mujeres, cuya frustración provocará la muerte por melancolía de una de ellas y el tardío sentimiento de culpa y desesperación de la otra. A este texto, perfectamente logrado, le sigue un fragmento de una divagación mucho más "hard" (para usar aquí una palabra de la pornografía Internet) y cercana a las fantasías "gays" ("le gustaban los artilleros a los que les lleva un largo tiempo -¡ah tanto tiempo!- para desabrocharse el cinturón”). El tercer relato -Recuerdo de un capitán (Souvenir d’un Capitaine)- evoca también la homosexualidad, aunque la anécdota del ex oficial aristocrático y su deslumbramiento por un modesto cabo de guardia no irá más allá de la sensación de un deseo relámpago y frustrado. En el cuarto relato -Jacques Lefelde (el extranjero) (Jacques Lefelde (l’étranger)- el lector descubre una historia bruscamente interrumpida y decepcionante, cargada de datos inverosímiles. La anécdota se desarrolla en el Bois de Boulogne donde el narrador observa de lejos a un amigo que camina solitario por el lago, esperando a alguien que nunca aparece. El caminante parece un “habitué” del mítico lugar donde hombres y mujeres se pasean en busca de un placer furtivo y rápido, pero, como le confiesa al narrador, sólo está enamorado de la belleza del lago. Difícil de creer. El quinto cuento -En el infierno (Aux enfers)- es una divertida elucubración filosófica en torno a las cualidades y defectos de la mujer, salpicada de algunas referencias a la Biblia. Sodoma y Gomorra (Sodome et Gomorrhe) y la homosexualidad se insinúan detrás de este relato más bien jocoso que, sin embargo, podría despertar la ira de las feministas de hoy. El título del siguiente texto -Después de la octava sinfonía de Beethoven (Après l’huitième symphonie de Beethoven)- anuncia un éxtasis que, a primera vista, el lector puede no experimentar. No hay anécdota en sentido estricto, ni suspenso ni narración en el sentido habitual de la palabra. ¿Es una carta dirigida a un ser querido, a un poeta o una breve meditación a la Schopenhauer sobre la música? El genio de Proust lo empuja a describir, más que un fenómeno puramente estético, reconocible por cualquier melómano, el “cuerpo sutil” conocido por los maestros esotéricos con el nombre de “cuerpo astral”. Pero Proust, todavía muy joven, no es plenamente consciente del alcance de su descripción. En cambio La consciencia de amarlo (La conscience de l’aimer) despliega con claridad, en dos breves páginas, la dolorosa certeza de un amor imposible, reemplazada por las caricias íntimas y solitarias de un gato-ardilla que se desliza entre la fantasía y las manos del decepcionado amante. El regalo de las hadas (Le don des fées), el octavo y más largo de los cuentos inacabados, recuerda con gracia los cuentos de hadas, al tiempo que juega con la imagen del genio benefactor de los artistas que nos hacen la vida menos aburrida, más llevadera, una lista de la que Proust modestamente se excluye dudando de la inmensa luz que su propio genio iba a derramar sobre el espíritu de nuestro tiempo. El protagonista se encierra y se protege tras un muro de metáforas sobre las desgracias del amor humano y escucha con humildad las profecías de un hada sobre su propio destino, donde la enfermedad se convertirá en fuente de iluminación. Fue así que había amado (C’est ainsi qu’il avait aimé) concluye simbólicamente la colección, un breve relato que es una especie de deo gratias de Proust por haber comprendido que -al igual que los pájaros cantores, cuyo destino más hermoso es cantar- su propia salvación vendría de su vocación artística, de su escritura.

He aquí entonces una lectura posible de esta colección de textos abandonados, encontrados en desorden, antes de ser cuidadosa y poéticamente ordenados por su arquitecto-editor. ¿Por qué Proust decidió dejarlos de lado al escribir Los placeres y los días? Para Luc Fraisse una de las razones sería la homosexualidad abiertamente exhibida en algunas situaciones vividas por los personajes. Proust, consciente de la hipocresía de la época sobre el tema, hubiera preferido evitar que su primer libro fuera objeto de la malevolencia de la crítica y del público. Esta hipótesis está respaldada por un hecho histórico inmediatamente contemporáneo a la escritura de los cuentos: la condena en 1895 a dos años de trabajos forzados de uno de los más grandes escritores de finales del siglo XIX, Oscar Wilde, denunciado y martirizado por la burguesía inglesa a causa de su homosexualidad. Proust conoció y admiró a su manera a Oscar Wilde y, sin duda, temía la peligrosa estupidez de la sociedad de su tiempo. Tenía poco más de veinte años y su discreción fue obviamente sensata. Esta discreción se hizo menos necesaria al final de su vida y de su obra. El Proust de Sodoma y Gomorra, ganador del Premio Goncourt de 1919 otorgado a A l’ombre des jeunes filles en fleur ( A la sombra de las jóvenes en flor) segundo tomo de En busca del tiempo perdido, tenía mucho menos que temer de la sociedad de la Belle Époque. Añadamos que, como todos los grandes genios, presentía su muerte próxima. No tenía nada que perder. La secuencia de los hechos le dio la razón, pues murió en 1922, antes de la publicación de Sodoma y Gomorra : quizás no quería encontrarse en el mundo sofisticado y snob del Faubourg Saint Germain obligado a disculparse por sus preferencias sexuales.

Curiosamente, eminentes “proustólogos” parisinos cuestionan no sólo la originalidad y la actualidad de estos textos hasta ahora inéditos, sino también la genialidad del escritor en su juventud. Proust sería, según ellos, sólo un genio “tardío”. Incluso se permiten adelantar, con precisión de relojeros, la edad del comienzo de su genialidad: 42 años. Esta precisión risible es probablemente el resultado de un punto de vista novelesco, convencional y obsoleto, en el análisis de la Recherche y de un enfoque freudiano que distorsiona la percepción revolucionaria de la psicología del "yo" desplegada por Proust. Deficiencias que impiden comprender, entre otras cosas, las características del genio. Kurt Schneider, psiquiatra alemán post-freudiano que define la psicopatía como una "forma de ser" y no como una enfermedad adquirida, sitúa la personalidad del genio en lo más alto de su conmovedora (y, por cierto, cuestionable) lista de psicópatas -Die psychopathischen Persönlichkeiten- , lista que también incluye al criminal. La constelación de genes que acompaña el nacimiento de todo ser humano, se lo quiera o no, son la base del genio. Fernando Pessoa, poeta indiscutiblemente genial, asegura en su Fausto, a pesar de su ateísmo, que “el talento es un don de Dios” y que por eso nunca debería ser motivo de celos por parte de quien no lo posee. Beethoven, el autor de la octava sinfonía , ¿estaba celoso de Mozart y de su sinfonía Nº 40? Mozart, ¿fue un genio solo a partir Don Giovanni y no en su infancia?

Pasemos...

El minucioso aparato científico y poético (en el sentido definido por Roman Jakobson, que supo detectar "lo poético" en diversos aspectos de la creación humana) forjado por Luc Fraisse para relacionar los escritos del joven Proust con los de su madurez, permite apreciar en su verdadera dimensión el genio vivo y en evolución del escritor. En busca del tiempo perdido, majestuoso río de la literatura universal, no puede ser admirado en su verdadera dimensión si lo separamos de sus fuentes. Pero hay todavía otro aspecto poético en la edición de los cuentos inéditos de Proust : la forma de la colección recuerda la estructura de la Vita Nuova de Dante Alighieri, donde el poeta explica, a veces con mucha largueza, lo que quiso decir en su juventud. “La explicación como poesía, la poesía como explicación”, decía Lautréamont en sus Poesías, todas en prosa, que acompañan a los Cantos de Maldoror.

Para no dejar a su vez inconclusa esta nota de lectura, conviene señalar que el libro editado por Dominique Goust y el equipo de Éditions de Fallois (considerada una "petite maison" en el muy altivo “milieu germanopratin” de París) incluye un suplemento de facsímiles de algunos manuscritos y documentos (cartas, fotografías, dibujos). Dominique Goust, al apoyar a Luc Fraisse en su exploración de las fuentes de la obra de Proust, exploración admirable que confirma que el tiempo redescubierto por Marcel Proust abre el camino a una vita nuova de la literatura, ha alcanzado un éxito mundial. El Remitente Misterioso  comienza a ser traducido a muchos idiomas. ¿Podemos esperar de los “proustólogos” de todo el mundo, incluso de Francia, el fin de los celos ? Proust (autor del cuento epónimo, La fin de la jalousie), cuyo sentido del humor era verdaderamente genial, reiría a carcajadas.

 

 

 

 
 
 
 
 

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