Chantal

Chantal

Cher Monsieur,

Merci infiniment pour avoir eu le courage de dire la vérité aux Françaises et aux Français dans votre livre sur l’Apocalypse : le roman se trouve en danger de mort et il finira par disparaître définitivement si on ne renverse pas tout de suite le cours des évènements. C’est exactement ce que je dis depuis très longtemps déjà, mais puisque je ne suis qu’un indien araucan dans les terres du Roi Soleil, personne n’a voulu m’écouter. Même vous.....


RÉVOLUTION DANS LE MONDE DE L’ÉDITION LITTÉRAIRE

L’un des éléments qui permet de reconnaître un processus révolutionnaire est le changement du centre de gravité des évènements en question. Dans le monde de l’édition, le développement des nouvelles technologies électroniques est en train de changer, entre autres, le centre de gravité de l’édition littéraire traditionnelle. Rappelons-nous du fonctionnement des maisons qui ont fait leurs preuves tout au long du XXe siècle, telles Gallimard, Flammarion, Grasset, etc. Un auteur envoie son manuscrit à l’une de ces maisons réputées pour leur sérieux. Dans le meilleur des cas, si le manuscrit n’est pas laissé de côté après une succincte et parfois capricieuse première révision, il passe sous les yeux d’un lecteur “professionnel” puis, si celui-ci croit y trouver une valeur littéraire, il passe sous les yeux d’un deuxième et, s’il n’y a pas d’accord entre eux, il passera sous les yeux d’un troisième, processus qui peut durer des mois, voire des années. Ensuite, un comité de lecture est appelé à se prononcer sur l’intérêt de sa publication compte-tenu du prestige de l’éditeur, de l’état du marché et du prix de l’opération. Rien de plus sensé dans un monde où une maison d’édition est une entreprise comme une autre et que, comme telle, elle doit réussir économiquement ou périr.

      
      Boris Vian, dont la vie a été l’objet d’un film récemment programmé à la télévision française, fit l’expérience paradoxale de cette situation. Dans un premier temps, l’un de ses manuscrits fut chaleureusement accepté par le comité de lecture de Gallimard, dirigé par Raymond Queneau. Quel bonheur pour le jeune écrivain de se voir ainsi reconnu tout au début de sa carrière littéraire, d’autant plus qu’on lui fit miroiter l’attribution du prix “La Pléiade”, créé par Monsieur Gaston Gallimard lui-même afin de mettre en relief une œuvre prometteuse. Las ! En dépit de l’appui et des promesses de Queneau, le prix fut accordé, sous le regard angélique de M. Gallimard, à un autre écrivain, moins talentueux mais beaucoup plus en phase avec les goûts et les valeurs d’une société française encore convalescente du pétainisme. La souffrance de Boris Vian fut en rapport avec ses immenses ambitions, traîtreusement déçues. Alors, rêvant toujours d’un grand succès, il eut l’inspiration d’écrire J’irai cracher sur vos tombes, roman qui allait lui apporter un certain rayonnement international et aussi de l’argent. Malheureusement pour son image de créateur, il avait caché son nom derrière un pseudonyme -Vernon Sullivan-, écrivain américain fictif dont il prétendait être le traducteur. A partir de là, Vian sera poussé à signer sous ce pseudonyme d’autres livres écrits dans la même perspective de réussite commerciale, tout en rageant de voir refusés ses textes signés sous son propre nom et qu’il considérait comme les plus réussis d’un point de vue esthétique. Nenni, lui faisait savoir Monsieur Gaston, toujours souriant et angélique (d’après le téléfilm), se lavant les mains dans les eaux baptismales de son comité de lecture, payé sur ses propres deniers. La suite de cette histoire est bien connue : Boris Vian, apprécié par Gallimard surtout en sa qualité de traducteur de romans de la très rentable Série Noire, se laissa mourir peu à peu de colère et de désespérance, victime de quelques infarctus bien compréhensibles. Heureusement que la postérité rendra justice à l’écrivain, réinstallé -des années après sa mort et sous son nom véritable- au centre de ses œuvres complètes publiés dans la très luxueuse Bibliothèque de la Pléiade… chez Gallimard. Tout est bien qui finit bien, surtout pour l’éditeur, gagnant sur les deux tableaux : d’abord du vivant de l’écrivain, grâce à la série noire de ses traductions mêlées à ses pépins judiciaires hautement médiatiques et bien exploités, ensuite sur le plan très chic (mais un peu tard pour le pauvre auteur déjà enterré) de sa collection de luxe. Boris Vian doit se retourner dans sa tombe et je me demande s’il n’aurait pas envie d’aller cracher 6 rue Sébastien Bottin, nouvellement rebaptisée rue Gaston Gallimard en honneur de Monsieur.*
 
            Le cas de Claude Faraggi et de Monsieur Flammarion est moins connu, mais tout aussi significatif en ce qui concerne les rapports entre auteurs et éditeurs. Faraggi, après de graves déconvenues avec messieurs-dames Gallimard, fut repêché par Françoise Verny pour le compte de Monsieur Flammarion Charles-Henri. Nommé capitaine d’une équipe de “nègres” occupés à réécrire les manuscrits commandés aux “romanciers à succès” de la maison, Claude (pour moi, sorte de Baudelaire contemporain égaré dans les eaux malodorantes du roman du XXe siècle), mourut à l’âge de 49 ans tôt le matin, au moment de préparer son café dans le studio qu’il louait rue St. Jacques, laissant dans son ordinateur le texte inachevé du Sourire des Parques. L’ouvrage étant sous contrat chez Flammarion, j’eus à peine le temps, aidé par Jeanne S., sa dernière compagne, de faire une copie du manuscrit. Pour sûr, Flammarion publia le livre, mais en l’amputant de la deuxième partie, où Claude prévoit et décrit, avec une terrible intuition, sa propre mort. “Texte pas assez travaillé, incomplet, etc. ”, voici les arguments avancés par l’éditrice-en-chef de Flammarion, qui savait mener maternellement par la main ses auteurs et calmer leurs angoisses de “créateurs en panne” en leur offrant tout type de bonbons au nom de Charles-Henri. En vérité, Claude Faraggi, écœuré par ce qu’il observait dans le monde de l’édition parisienne, tentait dans l’épaisseur de son récit une critique de celle-ci, critique effacée par l’éditeur propriétaire des droits de l’auteur si opportunément décédé.
 
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*Il est édifiant de rappeler le rôle joué par le romancier Pierre Assouline (aujourd'hui membre du jury Goncourt) dans ce baptême. Juif orthodoxe et sioniste autoproclamé, il fut envoyé, en tant qu'employé de la maison Gallimard, quémander à la mairie de Paris le changement de nom de la rue Sébastien Bottin. Il s'acquitta volontiers de sa tâche en fermant les yeux sur le passé collaborationniste de Monsieur Gaston, qui sous l'Occupation (il vaut mieux se rappeler qu'oublier) déclarait que sa maison était "une maison aryenne, aux capitaux purement aryens". Comprenne le juif orthodoxe qui pourra!
L’édition familiale

 
De l’importance pour un auteur « étranger » de bien respecter les préséances du milieu germanopratin à Paris.
 
            Passons à un cas plus récent, celui de l’écrivain russe Andreï Makine lequel, en dépit de sa nationalité et de sa langue maternelle, se permettait d’envoyer aux éditeurs du faubourg St. Germain ses manuscrits rédigés directement en français. Comme je le dénonce dans mon Manifeste pour une nouvelle littérature (Salon du Livre 2005, Sens Public), me faisant écho des confidences du romancier lui-même, ses manuscrits étaient systématiquement non lus et refusés, quoique accompagnés de superbes lettres d’encouragements. Finalement, un des éditeurs du Faubourg, palabré par l'ami d'un ami, s’intéressa à le publier, tout en lui exigeant de réécrire son texte en russe pour le faire traduire ensuite par “quelqu’un de la maison”. Ces préséances dûment respectées, Makine allait devenir quelques années plus tard prix Goncourt et prix Médicis. Tout est bien qui finit bien, encore une fois, d’autant plus que Makine, applaudi par le romancier et critique Dominique Fernández, accepta de ne plus faire de polémiques sur les mœurs littéraires parisiennes, contrairement à un autre écrivain venu lui aussi du froid stalinien, le Tchèque Milan Kundera. Celui-ci, après avoir été porté aux nues par le milieu germanopratin lorsqu’il jouait le rôle d’écrivain-martyr-communiste-dissident, fut condamné à l’ostracisme pour avoir osé critiquer -au sommet de sa célébrité parisienne et romanesque- ce même milieu qui l’avait si chaudement accueilli… sans arrières pensées idéologiques, bien sûr. 
  
 
Les rois anglo-saxons.  
 
            Quittons la France et allons aux USA, où les éditeurs ont été de tous temps les rois de la littérature. Le cas de Raymond Carver, écrivain dont j’ai eu vent au Literary Workshop de l’université de Iowa (d’où je me suis échappé avant d’être noyé, comme lui, dans les flots du Kentucky’s bourbon), est sans doute un cas extrême. Nouvelliste de génie, ses textes étaient mutilés et déformés par l’éditeur newyorkais Gordon Lish lequel, prenant la place de l’écrivain qu’il aurait voulu être, coupait parfois la moitié d’une nouvelle ou en changeait le titre selon ses caprices, plongeant le pauvre auteur dans le désespoir et dans l’alcool qui finirait par le tuer. Le cas du best-seller Douglas Kennedy, auteur de plusieurs “thrillers psychologiques” vendus à des centaines de milliers d’exemplaires, est aussi démonstratif. Son agent littéraire lui transmit le message de ses éditeurs américains : en dépit de sa qualité de best-seller, ils refuseraient de nouvelles publications de ses polars si l’auteur ne se conformait pas aux principes et valeurs des néo-cons favorables à Bush et à l’invasion de l’Irak. Le souvenir de “samizdats” soviétiques étant encore frais, l’auteur préféra publier en Grande Bretagne où les maisons d’édition font preuve de plus de tolérance, tout en étant aussi avides d’argent qu’outremer. Pour preuve, le romancier John Banville, promu meilleur-écrivain-de-langue-anglaise-de-tous-les-temps par ses propres éditeurs, fut encouragé à produire des polars plus rentables que ses premiers romans “sérieux”, prenant au passage le pseudonyme non de James Joyce ou de William Shakespeare, mais celui de “Mr. Benjamin Black”.
 
 
Et les rois espagnols…
 
            D’ailleurs, les auteurs métamorphosés en “thriller writers” sous la pression des éditeurs sont maintenant légion partout dans le monde. En Espagne, par exemple, Vásquez Montalbán, Mendoza ou Guelbenzu se sont chacun inventé un inspecteur de police style Sherlock Holmes pour s’assurer de meilleurs revenus et cela en piétinant allègrement sur leurs velléités poétiques. Toujours en Espagne, le propriétaire des “Editions Anagrama” et créateur du prix littéraire qui porte humblement son propre nom “Herralde”, fut tout heureux de l’accorder –après l’avoir fait patienter pendant des années- à mon compatriote Roberto Bolaño, auteur du meilleur “existential thriller” du marché actuel, Détectives Sauvages. Bolaño mourut peu après à l’âge de 50 ans d’une cirrhose du foie consécutive à sa période toxicomane et je me demande s’il n’aurait pas vécu plus longtemps si Herralde lui avait octroyé son Grand Prix quelques années plus tôt, lorsque Bolaño vivait presque dans la misère. Pour sûr, maintenant que le romancier chilien est mort, son très habile et lucide éditeur est en train de publier avec un grand succès commercial tous les manuscrits de Bolaño qu’il avait dédaigné de son vivant. A tout seigneur, tout honneur! D’après les critiques espagnols (en attendant peut-être de devenir eux aussi des romanciers récompensés par Anagrama), “el Señor Herralde” a le courage de ne pas faire la sieste les dimanches après la paella du midi, pour se consacrer (comme en témoignent les somptueuses photos qui accompagnent les articles qui lui sont consacrés dans les suppléments littéraires du Royaume, coupe de cognac à la main et gros cigare entre les lèvres), à la correction de manuscrits “bruts” envoyés par les auteurs pour les transformer, grâce à son génie personnel, en des merveilleux bijoux de la littérature universelle. 
 
 
Les multinationales à l’affût.
 
            Laissons de côté le petit monde des maisons familiales et allons vers les grandes multinationales de l’édition mondiale qui menacent de manger, justement, ses pauvres familles qui cherchent à faire honnêtement de l’argent avec la littérature, comme d’autres le font avec les cosmétiques. André Schiffrin, fils de Jacques Schiffrin, le fondateur de la Bibliothèque de la Pléiade dans les années 30 (à l'approche des troupes nazies sur Paris il fut lâchement viré par son associé, Monsieur Gaston Gallimard, fier de ses choix aryens, dans une lettre d’une ligne et cela pour des raisons de judaïsme de son "ami"), son fils André donc assista à New York à l’avalement de la prestigieuse Random House par Bertelsmann S.A. Le mécanisme est simple: d’abord on achète rubis sur l’ongle une maison bien assise dans le marché, en promettant à tout le monde de respecter les auteurs déjà publiés puis, après un délai plus au moins court, on commence à exiger -comme n’importe quelle banque d’affaires- des profits minimums en hausse de 10, 15 ou 20% sur l’année précédente. Tout livre qui n’apporte pas ces gains est éliminé du catalogue et, bien sûr, on n’engage plus aucun auteur dont l’œuvre ne promette un succès commercial rapide et juteux. Exit donc les écrivains hautement littéraires et place aux best-sellers de pacotille. Certes, la contradiction étant présente partout, André Schiffrin a la naïveté de croire que le problème serait résolu si on revenait au XXe siècle et au système d’édition paternaliste de la Moche Époque, celle des éditeurs collaborateurs du régime hitlérien style…Gallimard, Grasset, Flammarion, Hachette et j’en passe. (Certes, ils collaboraient avec les nazis uniquement, d’après eux, pour avoir du papier, ce qui leur permettait de publier, en plus des écrivains adeptes au régime hitlérien, quelques auteurs plus ou moins résistants, gagnant intelligemment, comme d’habitude, sur tous les tableaux).
 
 
 
Moby Dick à la chasse.
 
            Les écrivains latino-américains et espagnols pourraient croire à un “juste milieu” entre ces deux options -paternaliste et multinationale- option représentée par “el Señor Lara”, fondateur de Planeta et maintenant propriétaire d’une cinquantaine de maisons d’éditions éparpillées en Europe et dans les Amériques. Ses entreprises sont destinées, selon ses dires d’éditeur pétri d’altruisme culturel, à assurer la promotion planétaire des lettres hispaniques. A cet effet il a créé plusieurs prix littéraires richement pourvus en euros et en dollars, auxquels peuvent prétendre tous les écrivains de langue espagnole, rassurés par la présence dans le jury de quelques célébrités du show-biz littéraire. Mais “el Señor Lara”, sorte de Moby Dick de l’édition hispanique, utilise ces jurys comme rideau d’eau pour cacher ses véritables appétits. En vérité, il donne ses prix à qui il veut, geste en apparence non condamnable puisqu’il s’agit, tous comptes faits, de son argent. Le romancier argentin et professeur de littérature à l’université de Princeton -Ricardo Piglia- bénéficia ainsi des centaines de milliers de dollars du prix Planeta, malgré son statut d’employé de Planeta SA, donnée qui allait en principe contre le règlement du concours. Quelques dizaines d’écrivains ayant participé à la joute littéraire se rebiffèrent et assignèrent l’éditeur et le lauréat frauduleux devant les tribunaux de Buenos Aires, sans pour autant empêcher que Piglia n’empoche les dollars en question, avant de partir aux États-Unis pour enseigner aux étudiants de Princeton ce qu’il faut faire pour réussir en littérature contemporaine : devenir cadre-dynamique d’une maison d’édition importante. C’est, précisément, ce que depuis longtemps ont compris à Paris des grandzécrivains qui ont accepté de brider leur conscience sous le statut “employés de la maison”. Je préfère ne pas les nommer, tellement ils sont nombreux. Or, pour revenir à Piglia, il faut reconnaître que son cas est moins scandaleux que celui de Vargas Llosa, prix Nobel de littérature 2010, couronne au-dessous de tout soupçon depuis que l’extrême droite suédoise veille discrètement sur l’Académie du Roi de Suède.
 
            Comme je le raconte dans l’un de mes pamphlets -Vargas Llosa, le néo-pinochetisme et Karl Popper-, “el Señor Lara”, voulant frapper un grand coup, décida d’augmenter le montant de son Grand Prix le dotant d’un chiffre plus proche du Nobel. Pour sûr, des centaines d’écrivains latino-américains et espagnols prirent naïvement la peine d’envoyer les copies de leurs manuscrits, sans savoir que le nouveau prix avait été préalablement négocié en catimini entre Lara et Vargas Llosa. Or, malheur pour “el Señor Lara”, Varguitas -qui avait épousé jadis sa tante, puis sa cousine germaine- était entretemps tombé amoureux d’une petite-nièce et n’eut pas la force de finir son roman dans les délais prévus. Le prix revint à un triste romancier de rechange qui ne savait pas si remercier Dieu ou “el Señor Lara” de tant d’argent tombé du ciel ! Les choses s’arrangèrent l’année suivante lorsque Varguitas pondit, en toute médiocrité, son énième “plus-grand-chef-d’œuvre-du-siècle”. Tout est bien qui finit bien, une fois encore, et les critiques de El País Neoliberal et du reste de la presse espagnole, respirèrent soulagés. Fort de sa réussite et conseillé par Varguitas en personne, le Señor Lara créa un nouveau prix -Casa de América- destiné à contrecarrer le très prestigieux prix -Casa de las Américas- décerné à La Havane, de façon à mieux contrôler le marché du livre latino-américain menacé par les “rojos”. Bien entendu, pour obtenir les 300.000 dollars de cette nouvelle récompense planétaire, il vaut mieux suivre l’exemple d’un anticastriste opportuniste et viscéral comme l’écrivain chilien Jorge Edwards, représentant à Paris de l’actuel régime néo-pinochetiste installé à Santiago, et lauréat du prix en 2008.
 
 
Un vrai conte de fées
 
            A la fin du deuxième millénaire la situation de la littérature -devenue une marchandise comme une autre et réduite à une fonction de simple divertissement ou de fournisseuse de scenarii pour le cinéma- semblait donc sans issue et les écrivains condamnés à être les perpétuels serviteurs d’un système où les Seigneurs sont les éditeurs, lorsqu’il advint la révolution technologique déclenchée par Internet. S’appuyant sur cette nouvelle technologie, un groupe d’écrivains américains, fatigués de voir leurs manuscrits rejetés pour des raisons commerciales ou idéologiques sans rapport avec leur véritable valeur littéraire, et le fruit de leur travail pillé par d’innombrables intermédiaires, conçurent, au début des années 2000, un mécanisme de self publishing à la portée de n’importe quel auteur. Ce fut le point de départ de Create Space (2007-2009) et de plusieurs autres sociétés éditrices semblables à travers le monde. En 2005, au Salon du livre de Paris et avec l’appui de Sens Public je lançai, dans l’indifférence générale réservée à ce type d’événements, mon Manifeste pour une nouvelle littérature. Dans ce Manifeste (pas de nouvelle littérature sans nouveau système d’édition), j’imaginais la possibilité -grâce à l’écriture et la lecture électroniques et à la médiation d’Internet- d’un renversement des rapports éditeurs/auteurs qui rendrait aux écrivains leur liberté de création. Grandes furent ma surprise et ma joie lorsque je découvris quelque temps plus tard que mon utopie n’en était pas une et que d’autres écrivains non seulement pensaient comme moi, mais que le mécanisme pour opérer le renversement dont je rêvais, venait d’être mis en place.
 
            Je pris donc la décision de le mettre à l’épreuve avec l’un de mes anciens manuscrits -L’Enlèvement de Sabine- (une histoire d’amour sur fond d’Annonciations florentines), refusé par tous les éditeurs, soit dans sa version espagnole, soit dans sa version française. “Trop hard pour Flammarion”, m’avait répondu gentiment Madame d’Ormesson, fille du duc-vu-à-la-télé et remplaçante de Françoise Verny avant de monter sa propre maison d’édition strictement familiale. “Pas assez romanesque pour le public de Fayard” me fit communiquer, par Madame Colombani interposée, son directeur Claude Durand, ancien romancier et génial découvreur de García Márquez et de Soljenitsyne, écrivains qui seraient sans doute restés inconnus sans ses bons offices. “Trop cher pour les Éditions du Rocher”, m’assura de son côté Jean-Paul Bertrand dans un cocktail offert devant la porte de sa Maison, place St. Sulpice, et dont le flair d’homme d’affaires pur et dur le poussa à vendre sa boîte (très bien ficelée et pleine d’auteurs innocents dedans) aux messieurs-dames Pierre Fabre, pharmaciens de leur état. “Pas d’images dans le texte”, me conseilla à son tour Joaquim Vital, qui avait pourtant pris le risque de publier mon Portrait d’un Psychiatre Incinéré et La Guérison, intertexte écrit en plusieurs langues et salué par Michel Butor. “Les images ne font pas roman”, me précisa le propriétaire des Éditions de la Différence, faisant référence aux reproductions en couleurs des Annonciations de la ville de Florence qui illustrent le récit, sans prévoir que la critique internationale allait quelque temps après s’extasier devant les romans truffés d’images (pourtant en blanc et noir, floues et souvent placées sans rapport immédiat et esthétique avec le texte) de G.W.Sebald. Plus surprenant encore pour un éditeur qui se prétendait poète, il ne voulut pas tenir compte de Nadja, le roman illustré par son propre auteur, André Breton. Et je passe sur la liste des vierges effarouchées, autant en France qu’en Espagne, pour lesquelles mon texte ne correspondait pas “au profil de la maison”, catholique comme il faut.
 
            En vérité (et sur ce point je donne raison à n’importe quel éditeur), la production du livre était trop chère compte tenu des vieilles tuyauteries trouées de l’usine à gaz qu’est devenue l’édition conventionnelle, plombée par-dessus le marché par les innombrables romans invendus chez les libraires. Néanmoins, pour ne pas décevoir quelques amis bien intentionnés qui me conseillaient de m'adapter à "la réalité", je songeai un instant à suivre leur avis et à envoyer le texte à Monsieur Pol, éditeur réputé dans le milieu par son "indépendance" et son "goût" hors pair. Mais lorsque j'appris qu'il était l'associé subordonné du clan Gallimard et qu'il se vantait de ne publier qu'un manuscrit sur les 3000 qu'il recevait chaque année par la Poste (les 2999 autres ne correspondant nullement à son goût fabuleux), j'ai décidé de ne plus perdre mon temps. Bref, m’appuyant sur l’exemple de Fernando Pessoa qui mourut d’une cirrhose alcoolique à l’âge de 47 ans pratiquement inédit, je mis modestement mon manuscrit dans une malle… d’où il allait sortir grâce à Create Space. 
 
 
La Guérison.
 
            Concrètement parlant, avec la “new fashion edition” (rien à voir avec la “publication à compte d’auteur” soutenue par les éditeurs conventionnels pour récupérer astucieusement l’argent des écrivains refusés) on dépasse les barrières imposées par les mesquineries et turpitudes du marché local. Pour commencer, on offre gratuitement à l’auteur la possibilité de continuer le processus de création en donnant à son livre la forme qu’il veut. Car c’est l’écrivain qui décide -dans un large éventail de choix sans frais- du format de son ouvrage, de la couverture, de la pagination, de la qualité du papier, des illustrations, des couleurs, du prix du livre et du délai de sa publication, processus qui peut prendre quelques jours ou tout au plus quelques semaines selon les capacités cybernétiques de l’auteur, avant d’aboutir à un produit d’une étonnante qualité (L’Enlèvement de Sabine inclut des reproductions “full color” des Annonciations de la ville de Florence). De plus, pas besoin d’agent littéraire (le mien était Carmen Balcells), pas de comité de lecture (souvent, comité de censure), pas de distributeur (le distributeur de La Guérison rechignait à diffuser le livre car “trop compliqué”), pas besoin de libraires (mes livres étaient vite retirés des rayons car “trop lents à se vendre”, tandis que Create Space les offre en permanence sur Internet et les expédie par courrier dans le monde entier). Mais, surtout, pas d’exclusion linguistique, pas d’exclusion de nationalité, pas d’exclusion culturelle et morale. L’auteur écrit ce qu’il veut dans la langue qu’il veut. En outre, étant donné que le nouveau système ne connaît pas d’“invendus” puisque les livres ne sont imprimés qu’à la commande, le gain de l’écrivain est 3 à 4 fois plus élevé que dans la “old fashion edition”, l’argent étant versé après chaque vente -de façon automatique et immédiate- sur son compte bancaire.  
 
            Le nouveau système où le centre de gravité n’est plus l’éditeur mais -comme il aurait dû l’être logiquement depuis toujours- l’écrivain, ne fait que débuter. Tout n’est pas encore parfait à cause, surtout, des barrages dressés par les teneurs de l'ancien régime (par exemple, les critiques salariés par le milieu s’interdisent sagement de faire le moindre éco aux ouvrages auto-édités) mais on voit clairement que la première conséquence de cette révolution est une véritable liberté de création qui entraînera un renouveau de la littérature, encore muselée et orientée selon les intérêts financiers des éditeurs conventionnels, largement responsables de la décadence de la littérature contemporaine. Mieux encore, l’écrivain a désormais la possibilité d’exercer entièrement sa responsabilité de créateur et d’assumer ainsi sa dignité en tant que moteur originaire de la littérature, place honteusement usurpé par les “grandzéditeurs” de tous les pays. Marcel Proust lui-même, infatigable et perpétuel correcteur de ses textes, qui se faisait aider par sa gouvernante, Céleste Albaret, pour coller sur les épreuves ses corrections (payées de sa poche à son éditeur, Monsieur Gaston Gallimard), serait aujourd'hui ravi par la possibilité, entre beaucoup d'autres facilités techniques, de modifier aisément un texte autant qu'on veut, y compris après sa publication.
 
            Cette véritable révolution culturelle dont les effets se feront sentir de plus en plus et cela malgré les tentatives de restauration des boutiquiers concernés, n’est pas le fait des révolutionnaires latino-américains ni le fruit du développement technologique de la Chine socialiste. Cette révolution est le fait d’une poigné d’écrivains qui appartiennent à la très stricte famille des écrivains authentiques, au sein de la plus libérale des nations : les États-Unis d’Amérique. 
 
  
 

 

La Société des Hommes Célestes - p.33/34

La vérité c’est que pour atteindre mon but, je suis prêt à conclure un pacte avec Belzébuth lui-même. A cet effet, j’ai proposé au Docteur M. un pacte que j’ai rédigé en plusieurs langues afin de lui garantir une validité internationale :

  –PACTE–

 

Moi, déclaré ‘fou’ par la Psychiatrie Céleste, je requiers les services du Docteur M. pour les raisons suivantes :

First : Je veux faire une grande œuvre, un livre73 d’un genre nouveau, afin de dénoncer la Société des Hommes Célestes.

Secondly : Etant donné que c’est l’amour de la Vérité qui fait mon tourment (‘Die Liebe für die Wahrheit ist mein Schmerz’)74, je prie le Docteur M. de me conduire vers la Vérité afin que je puisse contempler le portrait véridique de la Société précitée.

Thirdly : I am wanton and lascivious and cannot live without a hot whore. So, sweet Doctor M., fetch me one, for I will have one. (I’ll no wife!)75

Fourthly :
Je veux la jeunesse !
A moi les plaisirs,
Les jeunes maîtresses !
A moi leurs caresses !
A moi leurs désirs !
A moi l’énergie
Des instincts puissants,
Et la folle orgie
Du cœur et des sens !
Ardente jeunesse,
A moi tes désirs,
A moi ton ivresse,
A moi tes plaisirs !... 76

Lastly : Und dafür soll mein sein alle Macht und Herrlichkeit der Welt.77

–Voici le pacte !–78 annonçai-je aujourd’hui au Docteur M. lorsqu’il apparut dans ma chambre.

La Société des Hommes Célestes - p.437/438

 –Mon livre n’est pas un roman– corrigeai-je une fois de plus. –C’est un intertexte. Mais, si je rechute, j’essaierai la prochaine fois de vivre mon ‘délire’, comme vous dites, en termes de Divine Comédie. Imaginez un instant : au lieu d’être Faust, je serai Dante. Margaret sera Béatrice. Et vous, Virgile. Je donnerai à l’intertexte la forme d’une pyramide, divisée en trois parties, comme le poème dantesque. La première, la base, sera la plus obscure et la plus heurtée, et elle correspondra à l’Enfer. La seconde, lumineuse  mais abrupte, au Purgatoire. Et la troisième, la plus éclairée et la plus véloce, sera le Paradis Terrestre, alors que le sommet de la pyramide se contentera de signaler modestement, telles les petites flèches des tableaux de Paul Klee, le Paradis Céleste. D’ailleurs, j’écrirai cet intertexte en plusieurs langues pour me libérer, entre autre, de l’emprise de la Langue Céleste, emprise favorisée par le monolinguisme qui caractérise le roman.
–Bravo ! De mieux en mieux !– s’écria Wagner. –Pouvez vous nous expliquer comment vos intertextes polyglottes seront traduits ?
–Les intertextes ne se traduisent pas, Wagner. Les intertextes se ré-écrivent dans d’autres langues, tout en incorporant des nouveaux jeux intertextuels permis par les nouvelles langues utilisées. Ainsi le traducteur cessera d’être un simple transcripteur de textes et deviendra un écrivain d’un niveau comparable à celui de l’auteur ‘originel’.

La Société des Hommes Céleste - p.108/109

Notre professeur de castillan –le ‘Señor Tolosa’– un linguiste polyglotte qui allait par la suite devenir abbé de l’Ordre de Saint Benoît à Santiago, nous avait lu en classe une nouvelle extraordinairement drôle et vivante. Ravi par l’histoire, je m’étais approché du professeur après le cours pour le prier de me prêter son livre car je voulais lire toutes les autres nouvelles. «Tiens ! –me dit-il avec des yeux rieurs–. Je te le prête si tu peux vraiment le lire». Et il me montra son livre écrit dans une langue pour moi inconnue et illisible. C’était du russe et l’auteur, Tchékhov ! La magie enchanteresse du récit, le mystère des langues interchangeables, l’excellence de la littérature comme source de connaissance et de plaisir, marquèrent immédiatement et pour toujours mon esprit. Par la suite je voulus, moi aussi, écrire des récits à la Tchékhov, mais je dus me contenter de quelques contes et poèmes maladroits et des exercices de composition castillane, où je m’amusais à réécrire à ma guise –en bouleversant leur structure– les textes qu’on nous lisait en classe.

La Guérison - p.19/20

 

"...C'est ce que je raconte dans un cahier écrit à l'hôpital et dont je t'offre ici, lecteur, quelques fragments rédigés en français et en espagnol, saupoudrés d'un peu d'anglais et d'italien, avec quelques pincées de latin et d'araucan, le tout agrémenté par les souvenirs de ma vie médiévale.

 Sans doute seras-tu étonné par cette pizza linguistique. L'explication est pourtant simple. Elle est contenue dans De Vulgari Eloquentia l'un de mes plus importants écrits théoriques. Dans cet essai, que j'ai rédigé au début du XIVe siècle, je reconnais que la langue d'oil est la plus adéquate pour écrire en prose vulgaire("Allegat ergo pro se lingua oi'l quod propter sui faciliorem ac delectabiliorern vulgaritatem quicquid redactum est sive inventurn ad vulgare prosaycum, suurn est1... "), tandis que la langue d'oc et, en particulier, la langue du si (le toscan, auquel je me permettrai d'ajouter, avec le recul que me donne cette réincarnation, le castillan) sont les plus appropriées à la poésie. Donc, dans cette nouvelle Comédie tout ce qui concerne la poésie est écrit soit en italien (toscano), soit en espagnol (castellano), et tout ce qui concerne le récit en prose est rédigé principalement en français, et parfois en anglais, langue du (ja ou yes),hypocritement romanesque mais excellente pour englober et occulter tout type d'obscénités. N'aie pas peur, lecteur. Aujourd'hui toute hôtesse de I'air parle plusieurs langues. Alors toi, intellectuel de haut vol, tu peux faire pareil. Toutefois, pour le cas où tu ne pourrais lire qu'une seule langue, je te laisserai en bas de page quelques notes qui renvoient à mon œuvre, surtout à ma première Commedia dont le texte sert de guide à celui-ci et, en quelque sorte, de langue de référence à toutes les autres. C'est une façon inédite d'écrire et de lire qui se situe - enfin ! - au-delà du  roman, mais ce n'est pas plus compliqué que de jouer avec un hypertexte sur un ordinateur, tu en auras vite la confirmation.

 Encore une petite précision linguistique avant d'entrer carrément dans l'Enfer. J'ai bien choisi d'écrire en français  "vulgaire" et non en français châtié (franc-latin ou franc-bourgeois), langue de choix des clercs et des romanciers-parisiens de cette fin de siècle. Comme plus d'un linguiste l'a déjà remarqué, le français dit  "littéraire"  risque, à l'instar du latin, de devenir, par excès de maniérisme, une langue morte. Justement, si j'ai écrit ma première Commedia en toscan (la langue "volgare"  à l'époque où j'étais Florentin) et non en latin, c'est parce que toute langue "vulgaire" est, par  définition, plus vivante et riche que les langues censurées et torturées par les Inquisitions Académiques. Alors, lecteur, fais-moi grâce de quelques subjonctifs guindés que tu découvriras par-ci, par-là, et de ma tendance hispano-araucanienne à me servir du passé simple à la place du passé composé (forme verbale habituelle de la langue parlée des Gaulois), et permets-moi de te guider à travers ce qui au début te paraîtra une selva oscura textuelle, mais dont la lecture deviendra progressivement - suivant les rythmes eschatologiques de l'Enfer, du Purgatoire et du Paradis - moins saccadée, plus claire et plus rapide.

 
Bref. Voici les premiers fragments du manuscrit écrit à l'hôpital psychiatrique, que tu peux lire aussi, si ton imagination le préfère, comme une comédie où les acteurs sont - par delà les personnages - les textes et les langues elles-mêmes, celles-ci jouant, chacune à son tour, un rôle bien spécifique. Ainsi, le français joue le rôle de la langue populaire ; l'espagnol, celui de la langue de la folie (Don Quichotte) et, simultanément, le rôle de la langue de la psychothérapie (Sancho Panza); l'anglais, le rôle de la langue vénale des "businessmen" ; l'araucan et le latin, le rôle des acteurs comiques ; finalement, l'italien joue le rôle de la langue la plus noble et poétique de toutes, la langue maternelle ... "

La Guérison parachève la pentalogie, œuvre non linéaire puisque chacun des livres qui la composent est indépendant et peut être lu avant ou après les autres. D'un point de vue narratif, La Guérison est une sorte d'autobiographie fictive de Dante Alighieri, réincarné au XXème siècle sous les traits d'un indien araucan lequel -devenu fou à cause de la trahison amoureuse de son amie américaine- se prend pour le poète toscan. Le texte est développé en plusieurs langues: le français pour le récit « autobiographique » central, l'anglais pour les répliques de la Béatrice américaine, le castillan (langue de Don Quichotte et de Sancho) comme support du délire et de la psychothérapie et, enfin, l'italien pour les citations et les transpositions de l’œuvre de Dante, le tout saupoudré d'expressions en latin et en araucan, langues qui jouent le rôle de « clowns » de cette comédie linguistique. Ainsi, la dernière et plus fermée des frontières du roman -le monolinguisme- est dépassé, ouvrant un passage vers un nouveau genre narratif, l'intertexte. Celui-ci -multilingue, multithématique, multitextuel- produit de l'évolution technique et culturelle de notre société, devient ainsi la guérison du roman -monolingue, monothématique, monotextuel- genre littéraire aujourd'hui moribond et, en tout cas, inefficace face aux nécessités de notre époque, dans laquelle l'écriture et la lecture électroniques commencent à dépasser l'ère de l'imprimerie, cette même imprimerie qui permit, il y a cinq siècles, de dépasser l'épopée en vers, laborieusement calligraphiée, pour aboutir au roman en prose.

"Nous devons nous rendre multilingues, donc rendre nos textes multilingues... Imaginons un roman par lettres dans lequel certains correspondants écriraient en japonais, d'autres en français ou en anglais. Ceux qui connaîtraient les deux ou trois langues pourraient lire la totalité. Pour les autres, il faudrait des traductions différenciées. Notre situation linguistique implique une transformation prochaine radicale de tous les genres littéraires..."

 

Michel Butor, Improvisations sur Michel Butor - L'écriture en transformation, La Différence, 1993

Cet article fait partie des  "Pamphlets Parisiens" livre publié par CS Amazon (juin 2014)

 

Mario Vargas Llosa s’est rendu à Santiago, en décembre 2009, entre les deux tours de l'élection présidentielle, afin d’intervenir dans la vie politique du Chili. Il s'est déplacé non pas pour défendre la démocratie, car le gouvernement de Michelle Bachelet a été et restera un modèle du genre en Amérique latine, mais pour appuyer Sebastián Piñera, candidat des néo-pinochétistes et l'un des hommes les plus riches du continent. Réplique chilienne de Berlusconi, Piñera est propriétaire, entre autres, d'une chaîne TV, d'un club de foot, d'une compagnie aérienne (LAN) et de 115.000 hectares de terres appartenant, en principe, aux Indiens Huilliches. Investissant d’immenses sommes d'argent dans sa campagne, et profitant de la division d’une gauche usée par vingt ans de gouvernement, il gagna l'élection malgré ses démêlés judiciaires (faillite de la Banque de Talca et disparition de 250 millions de dollars alors qu’il en était le directeur; délit d'initié dans la vente de ses actions en Bourse; association illicite de pharmacies dont il était actionnaire) et, encore, ses carambouillages aux États-Unis (amende de 88 millions de dollars à LAN-Cargo pour concurrence déloyale et atteinte à la "freedom" commerciale en collusion avec EL AL et ABSA), etc.,[1] Voici un rapide profil du politicien auquel Vargas Llosa apporta son appui comme Captain America de la société capitaliste, pour le remercier des importants investissements consentis par Piñera au Pérou (LAN-Pérou), mais aussi pour encourager la formation d'un axe régional contre la république bolivarienne du Venezuela.

 Il est très loin le temps où Varguitas conseillait aux écrivains latino-américains -tout particulièrement aux écrivains sympathisants de la révolution cubaine- de ne pas se mêler de politique et de se consacrer uniquement à la littérature. Cela ne l’empêcha nullement de se jeter lui-même à corps perdu dans la politique, allant jusqu'à briguer la présidence du Pérou. Sa participation aux manifestations organisées par les habitants des beaux quartiers de Lima pour défendre la "liberté" des banques, menacées de nationalisation par la gauche alors au pouvoir à Lima, lui valut les applaudissements de la bourgeoisie latino-américaine, de la City et de Wall Street, mais lui fit perdre les voix du peuple péruvien, qui lui préféra Alberto Fujimori.

 Après cette défaite humiliante, il se consacra, plus que jamais, à ses fonctions de commis culturel hispanique pour le compte des financiers et des politiciens anglais et états-uniens, parmi lesquels ses mentors, Ronald Reagan et Margaret Thatcher. Cette dernière deviendrait pour lui une sorte de marâtre spirituelle à la suite d’un banquet offert à un groupe d’intellectuels auxquels elle demanda, en guise de remerciements pour le succulent repas (et de quelques petits cadeaux, cela va de soi), de faire l'éloge de sa personne et de son gouvernement. C'est l'origine de plusieurs articles hautement littéraires de Vargas Llosa parus dans les journaux espagnols et latino-américains, saluant la culture, l'intelligence et la gentillesse bienfaisante de Margaret Thatcher et de sa politique.

 Les Argentins se souviendront toujours de cette politique, puisque la Dame de Fer -pendant la guerre néocoloniale des Malouines- donna l'ordre au sous-marin nucléaire "Conqueror" de couler par surprise le "cadet training ship" de la flotte argentine, le vieux croiseur "Général Belgrano". Le navire  transportait près d'un millier de jeunes mousses et de cadets à son bord, et se trouvait hors de la zone de combats proposée et reconnue par la Royal Navy elle-même, laquelle s'appuyait, pour perpétrer ses méfaits, sur des alliés comme le général Pinochet. Celui-ci -congratulé par la Dame de Mort en tant que "sauveur de la démocratie chilienne"- avait trahi la fraternité historique du Chili et de l'Argentine, en apportant sa meilleure aide logistique aux amiraux anglais [2]. Bien sûr, Varguitas ferma les yeux sur le crime de guerre commis par sa marâtre et sur les centaines de jeunes marins massacrés par les torpilles de Sa Majesté. L'histoire de l'Argentine jugera le romancier félon, absout par la bourgeoisie de Buenos Aires qui se presse au Théâtre Colon pour l'applaudir à l'occasion de ses tournées politico-culturelles. "La bourgeoisie manque essentiellement d'intelligence", disait Balzac. Elle manque aussi de cœur, pourrait-on ajouter.

Dans un entretien au journal El Mercurio de Santiago, Vargas Llosa affirme que c'est l'essai de Karl Popper -La Société ouverte et ses ennemis- qui l'aurait convaincu de devenir un guérillero anti-socialiste. Varguitas, qui n'a aucune formation philosophique sérieuse, ni aucune formation scientifique (sa culture est essentiellement romanesque, donc fictive), avoue que l'ouvrage de l'épistémologue autrichien (philosophe spécialiste des sciences, précisément), lui avait été recommandé par sa marâtre intellectuelle, Margaret Thatcher, dont l'illettrisme était pourtant l'objet des moqueries sans fin de ses propres ministres et de la presse britannique (illiterate lady).

Karl Popper (Vienne 1902 - Londres 1994) est surtout connu pour sa tentative d'assassinat de Karl Marx. Ce geste fut salué par la reine Elizabeth II -fanatique des romans d’Agatha Christie et des assassinats "british style"- qui lui accorda le sobriquet de "Sir", en 1965. "La Mort de Marx !", voilà un titre pour un roman de Vargas Llosa, connu d'ailleurs pour la gaucherie et l'inélégance de la plupart des titres de ses livres. Après ce meurtre rêvé, quel soulagement pour la très gentille et ouverte société bourgeoise, menacée par d’affreux ennemis totalitaires!  En vérité Karl Popper aurait mérité un disciple un peu plus crédible, car son œuvre -en particulier celle qui concerne l'épistémologie- est intéressante, ne serait-ce que par sa prétention colossale.

Bien que mon propos soit de combattre et non d'expliquer le phénomène poppérien [3], je voudrais donner un aperçu de la méthode de Popper comme penseur. Pour tuer Marx, il lui fallait, d'abord, démolir Hegel et sa dialectique, mère de la logique marxiste, mais auparavant, pour démolir Hegel, il se devait de démolir Platon et Socrate et, au passage, Héraclite et -pourquoi pas tant qu'on y est- Aristote lui-même! Ce vaste projet de démolition accompli (Derrida et son entreprise de déconstruction était, quand même, plus fin), il ne restait plus qu’à attendre que Marx tombât de son propre poids du piédestal où les méchants totalitaires l'installèrent au XIX siècle.

Varguitas, qui croit obstinément en la fiction comme panacée contre toute fièvre révolutionnaire, avala goulûment les arguments poppériens et ne remarqua pas sous la surface apparemment lisse et cohérente de l'écriture de Popper, le nombre incalculable d'amalgames, de raccourcis, de déformations et de citations tronquées qui jalonnent toute son œuvre. Même un étudiant en première année de philosophie serait capable de repérer les failles dans la logique poppérienne, failles dissimulées sous des affirmations provocatrices, nullement fondées et mal étayées, au point que le lecteur attentif pourrait se demander si Popper connaissait vraiment Descartes et sa méthode.

 Sa logique, très peu cartésienne donc, lui permet de considérer Platon comme un philosophe de "mauvaise foi", traître à son maître Socrate, et La République comme la matrice de tous les totalitarismes. D’après ses propos, Aristote serait un "écrivain médiocre", plus érudit qu'intelligent, et Hegel un "bouffon" dont la "pseudo philosophie", "fatras nauséabond", ne serait qu’une "imposture", "une des pires escroqueries intellectuelles de notre époque" [4]. Ce n'est pas tout. Utilisant Schopenhauer comme bouclier, Popper affirme que l'auteur de La Phénoménologie de l'Esprit (l'un des sommets incontestables de la philosophie occidentale) est un "mafioso" dont la pensée "pathologique" serait à la base du fascisme et, bien entendu, du stalinisme, etc. Fait étrange, celui qui se tire le mieux de ces rafales dignes d’un authentique terroriste intellectuel, c'est… Marx.

 En réalité, Popper, marxiste dans sa jeunesse,  n'arrive pas à cacher sa fascination et sa passion  pour Karl Marx (un peu comme la passion presque érotique de Varguitas pour Fidel Castro) [5]. Le philosophe viennois couvre Marx de louanges ("grand penseur profondément honnête, grand humaniste, sincère dénonciateur de l'injustice de la société des classes", etc.) croyant ainsi pouvoir le tuer sans éprouver de sentiments de culpabilité. Cependant, il n’y parviendra pas. En tout état de cause, il se sentira coupable, à l'instar de Yvan Karamazov, le personnage dostoïevskien, même s'il n'a pas réellement tué son père.

 En effet, contrairement aux désirs de Popper, Marx est toujours vivant, comme le prouve la dernière crise financière qui a secoué la société capitaliste, crise prévue -qu’on le veuille ou non- par le matérialisme historique. Ce fut la conclusion du congrès qui réunit à Londres, en mars 2009, de grands intellectuels européens rassemblés pour analyser la surprenante actualité du marxisme, seule théorie capable -encore aujourd'hui- d'expliquer avec clarté l'origine et le mécanisme du hold-up à dimension planétaire perpétré par Wall Street et la City.

 Karl Popper doit se retourner dans sa tombe, mais lui, il ne sortira jamais du cimetière. Son œuvre, qu’on aurait pu imaginer, compte tenu de sa prétention, proche par sa valeur de celles de Platon, d'Aristote, d’Hegel et de Marx, s’avère creuse et d’une étonnante trivialité. Mais pour l'intellect et la culture de son dévot Varguitas, c'est largement suffisant.

 Quelqu'un a dit (en pensant au merveilleux Douanier Rousseau, sans doute) "García Márquez, écrivain naïf pour des lecteurs naïfs". Je me permets d'ajouter, me rappelant le slogan bien connu visant les revues Life et Time Magazine ("Life pour ceux qui ne lisent pas, Time pour ceux qui ne pensent pas") : "Mario Vargas Llosa, écrivain médiocre pour des lecteurs médiocres"[6]. Certes, mon compatriote Roberto Bolaño,  lamentable sycophante de la révolution cubaine ("film de gangsters tourné sous les Tropiques", affirmait-il, en toute objectivité romanesque), a fait son éloge dans le  journal El País.[7] Malheureusement Bolaño mourut avant la publication de Las travesuras de la niña mala, roman-cul de Vargas Llosa,  dont le niveau de la prose rappelle celui des magazines sud-américains pour femmes, style Paula, Claudia, ou l'ancien Para Ti. Bolaño n'eut pas non plus le temps de lire le livre de Varguitas sur Onetti, où le romancier péruvien confond piteusement fiction et conscience, et propose, grosso modo, avec ses raisonnements d'un niveau comparable à celui du Sélections du Reader's Digest, de remplacer la révolution socialiste… par la fiction. Cela, tout en conseillant aux peuples latino-américains affamés de lire beaucoup de romans (d'abord les siens) pour s'évader de leur triste réalité[8]. Face à tant de sottise, de dévergondage, de pseudo culture camouflée derrière un mur de prix littéraires octroyés par la bourgeoisie aux écrivains (servant writers) qui savent défendre la société capitaliste de ses ennemis, il serait honteux de se taire et de laisser pontifier Vargas Llosa sans réagir…[9].

 


 

[1] Obligé par les circonstances, Piñera a été contraint de céder à ses amis quelques-unes de ses affaires les plus voyantes… pour les récupérer à la fin de son mandat, après quatre ans de gestion présidentielle saine, neutre et parfaitement honnête à l'égard de ses intérêts privés, bien entendu.

[2] Elle ne fut pas seule à féliciter Pinochet pour avoir délivré le Chili des socialistes sanguinaires. Jean-Paul II -véritable esprit saint de la Trinité Thatcher-Reagan-Wojtyla- fit de même au cours de sa visite à Santiago, lorsqu’il bénit les troupes pinochétistes sous le regard larmoyant du très catholique général, auteur -d’après Varguitas- du "miracle" économique chilien, miracle dûment authentifié par Wall Street et la City en vue de la béatification du Saint Père.

[3] "Bien que mon propos soit de combattre et non d'expliquer le phénomène hégélien..." (K. Popper, Hegel et le néo-tribalisme, I.)

[4] "...Une des pires escroqueries intellectuelles de notre temps". (K. Popper, Hegel et le néo-tribalisme, VI). Ces mots, acceptables dans un pamphlet mais impensables dans un texte philosophique, pourraient être appliqués plutôt à l'œuvre de Vargas Llosa.

[5] Son cas rappelle le béguin d’Allen Ginsberg pour Che Guevara ("so cute"). L’Histoire ne raconte pas si Guevara se rendit devant les avances du poète américain. C’est peu probable. En revanche, c’est sûr que Fidel Castro n’a jamais aimé Varguitas ("so clever"), ni comme homme, ni comme romancier.

[6] "Le médiocre s’accouplant au médiocre, l’art romanesque de Vargas Llosa ne peut qu’engendrer du médiocre", pourrait-on dire en parodiant Socrate et Platon (La République, livre X).

[7] El País, quotidien qui a toujours été un glorificateur inconditionnel de Varguitas, sans doute parce qu'il appartient au même groupe multinational que ses éditeurs. On peut se demander ce que les 150 journalistes licenciés récemment par la Direction, pour des raisons de crise de la "Société Ouverte", pensent du silence ignoble, face à ce méfait, du "Marqués" Vargas Llosa (il fut anobli par le roi, ex-aequo avec l'entraîneur du Real Madrid Football Club, Vicente del Bosque.)

[8] "El Señor Lara", créateur des prix Planeta destinés à contrôler le marché littéraire hispanique, s'occupe de la besogne. Encouragé par Varguitas (lauréat frauduleux en 1992, la récompense de 50 millions de pesetas ayant été monnayée à l'avance entre le romancier et l’éditeur devant le silence complice de la presse espagnole), Lara forgea une nouvelle couronne -le prix "Casa de América"- pour neutraliser le prix cubain "Casa de las Américas". Aujourd'hui, el Señor Lara doit être plutôt inquiet parce que Varguitas vient  de créer, humblement, son propre prix, "Premio de Novela Mario Vargas Llosa", pour contrecarrer le prix Rómulo Gallegos, adjugé maintenant par le Venezuela  bolivarien.

[9] Parmi ces récompenses, le Irving Kristol Award offert par l'American Enterprise Institute, nid des néoconservateurs américains et vivier du think-tank de l'extrême-droite du Parti Républicain (et aujourd'hui, du "Tea Party"), qui conçut les horreurs du gouvernement de Georges W. Bush. Cette couronne tressée de dollars dont Varguitas fut ceint pour son appui à l'invasion criminelle de l'Irak ("To Mario Vargas Llosa, whose narrative art and political thought illumine the universal quest for freedom") devrait être un déshonneur et une honte pour tout démocrate honnête. De toute évidence, ce n'est pas le cas de Mario Vargas Llosa, qui ne semble connaître ni la honte ni l'honnêteté.
 

 

 


 

 

 
 
"Ô Inca ! Ô roi infortuné et malheureux!"
    (BALZAC. Louis Lambert.)

 
He aquí un Inca del Perú, Mario Vargas Llosa. Pálido mestizo quechua (o, tal vez, lejano aymará), dotado de una vanidad inconmensurable (interpretó personalmente el papel de Ulises en una pieza de teatro escrita por él y para él), Vargas Llosa hubiera sin duda deseado bailar delante de Luis XV, en medio de los Indios galantes de Rameau… aunque no quiere mucho a los  indios. Shapras, huambisas, aguarunas son descritos casi como animales de la selva en La Casa Verde, novela aplaudida  y premiada en la España franquista, en 1965. Pero "Varguitas" (sobrenombre que adopta en una de sus novelas) es, por encima de todo, un propagandista de la "Open Society", cara a Karl Popper, de quien se dice discípulo.
 
Cualquiera persona que haya leído atentamente a Musil, Thomas Mann, Beckett, Sarraute, Yourcenar, Proust, Borges, Joyce, Steinbeck, Faulkner, Carpentier, Kafka, Herman Broch, Rulfo, Pessoa, etc., no puede sino interrogarse sobre el verdadero valor del escritor peruano,  cubierto de premios literarios y de honores de toda especie, incluso el premio Nobel. Sus glorificadores (a menudo novelistas fracasados, transformados en "brillantes" periodistas y viceversa) aprecian la ligereza de una prosa escrita al galope, más cercana a la prosa de la prensa escrita que a la alta literatura. Leer una novela de Vargas Llosa no es más trascendente que leer un diario. Ingurgitar sus ideas simplistas y mediocres, no es más complicado que tragar la ideología de las revistas "people". Esta es seguramente una de las claves que explican su éxito editorial y mediático en nuestra sociedad, donde el "éxito" ha llegado a ser una mercancía como otras y que no puede adquirirse, salvo excepción, sino confortando la médiocrité, como decía Balzac.

 En cuanto a su lenguaje, distinguido por el jurado del premio Nobel 2010, la lingüista Martha Hindelbrandt, profesora de la universidad  San Marcos de Lima, ha analizado, con un poco más de seriedad y de autoridad que los académicos del rey de Suecia, el español del laureado. La lingüista llegó a la conclusión que las numerosas carencias de su lenguaje, sembrado de "errores garrafales", son el resultado del nivel insuficiente de la educación que el escritor recibió durante su infancia. Pero, patriota peruana arrastrada por las olas mediáticas y nacionalistas en torno a Varguitas, ha terminado por conceder que un "genio" puede permitirse escribir mal y llegar a ser, pese a todo, Superacadémico de la Real Academia Española de la Lengua…Clisé confirmado y mentiroso que sirve a Vargas Llosa de pasaporte para cumplir con su tarea de representante comercial de la "Sociedad Abierta" y, cual un nuevo Papa, pontificar "urbi et orbi" la necesidad de santificar por la eternidad al capitalismo y enviar al socialismo definitivamente al fondo del infierno.

Hombre elegante, coronado "Man of the year 2011" por la revista Vanity Fair, encargó últimamente (según su rival, el novelista Alfredo Bryce Echenique) varias capas y trajes blancos al sastre oficial del Vaticano, con la esperanza de ser reconocido en cuanto "Papa de los ricos" y hacerse canonizar como "San Mario Vargas Llosa", pese a su ateísmo. En efecto, Varguitas no cree en Dios, aunque afirma que cuando escribe sus novelas, él es igual a Dios creando sus creaturas. A lo mejor, pensando en las ventajas que su eventual canonización podría traerle, va a transformarse en un católico fervoroso. Mientras tanto, hundido en  las profundidades metafísicas de su espíritu, comprobando todos los días (sentado en su WC, de mármol rosa) que la imagen divina que se hace de él mismo y su triste realidad corporal están bastante alejadas una de otra,  ha concluido que nosotros, los seres humanos, debemos vivir como si la muerte no existiera (pensamientos anotados en su diario íntimo, El País). De todas formas, la Muerte no le concierne porque, contrariamente a Gabriel García Márquez, él es Inmortal...

En lo que respecta a su formación literaria, las raíces de su conocimiento de la literatura francesa, conocimiento del cual se siente orgulloso, son develadas pérfidamente por su cortesano, el novelista neo-pinochetista Jorge Edwards. Con sorna camuflada en asombro, Edwards cuenta que se encontró con Vargas Llosa en 1962, cuando éste era periodista en Radio France Internationale. Varguitas, como un neófito, se declaraba deslumbrado y entusiasta por el descubrimiento, no (como se hubiera podido suponer por razones cronológicas) de Proust, Céline, Breton y los surrealistas, o de Beckett, Robbe-Grillet, Marguerite Duras, Claude Simon, Perec y el grupo Oulipo, Francis Ponge y los telquelianos, etc., sino de Victor Hugo, Dumas, Maupassant y, sobre todo, de Gustave Flaubert (con quien le gusta compararse), genios desconocidos que él se proponía sacar del olvido.

Pues bien, Flaubert, que escribía y reescribía veinte veces una frase antes de darse por satisfecho…para borrarla al día siguiente y recomenzar, estaría horrorizado de verse comparado con un novelista que escribe a la "va comme je te pousse" (como se empuja a los gansos, según el dicho flaubertiano) y cuyo talento consiste en ser capaz de escribir varias horas seguidas, sin cansarse. ¿Es posible comparar la prosa de Flaubert, cristalina y estructurada como un diamante, con la prosa de Vargas Llosa, sucia, opaca, quebrada como un vidrio golpeado por una ráfaga de viento? Para leer "Conversación en la Catedral" (novela considerada por sus aduladores como una obra maestra), el lector serio está obligado, si quiere juntar los pedazos de frases y sacar algo en limpio, a leer él también a la "va comme je te pousse" (échale pa'elante nomá), dejando de lado toda aspiración lógica. Aparentemente Varguitas, con la pretensión de "ser moderno", ha intentado copiar la prosa de Faulkner, tejida poéticamente con finas elipses a la Shakespeare ("The Sound and the Fury", "Absalom, Absalom!") o la prosa de Cortázar, suave y melodiosa como una composición de Miles Davis ("Rayuela"). Pero los grandes prosistas están muy por encima de su estilo, troceado como un steak de carne molida y destinado a ser consumido con rapidez, sin hacerse muchas preguntas sobre su origen. Indigestión asegurada…

Cierto, ha escrito algunos libros mejor trabajados y más coherentes que otros ("La tía Julia y el escribidor", "Elogio de la madrastra"), pero su estilo es, fundamentalmente, el de un reportero apurado, presionado por el tiempo. Balzac, quien en la época del "feuilleton" estaba obligado a escribir con rapidez, siempre se lamentó por no corregir sus textos como hubiera querido. Sin embargo, publicó entre 1832 y 1842 siete versiones diferentes de uno de sus "chefs-d'oeuvre", "Louis Lambert". Pero no cualquiera es Balzac, sobre todo Varguitas, mal comediante, desprovisto de verdadera humanidad.

De todos modos, la rapidez de Varguitas, que siempre ha sorprendido a sus admiradores y familiares, especialmente por el ruido que hacía con su máquina de escribir, le es muy útil cuando practica, sin vergüenza, el plagio. "La guerra del fin del mundo", plagio de "Os Sertoês", la novela del brasileño Euclides da Cunha, pillaje denunciado por José Saramago (premio Nobel 1998) es un claro ejemplo. Y también "La fiesta del Chivo", plagio de "The death of the goat", obra del periodista de Time Magazine, Bernard Diederich quien, al confirmar que Varguitas le había copiado estúpidamente incluso sus errores, intentó llevarlo delante de los tribunales ("unhappily, too expensive"). Un poco más sutil es el plagio de Flora Tristan en "El Paraíso en la otra esquina", pillaje, como el cometido contra Da Cunha (muerto en 1909), muy cómodo pues la genial revolucionaria está enterrada también desde hace mucho tiempo. Etc.

En el cerebro de Varguitas, el pillaje intelectual es necesario para la creación literaria que no sería, al fin de cuentas, sino "saqueo", "hurto", "robo" de la obra ajena, piratería, según él inevitable y, en su caso particular, perfectamente legal en nombre de su "genio". Esta es, más o menos, la tesis propuesta en "La Orgía Perpetua", ensayo sobre Flaubert que contiene su teoría personal de la novela. En realidad, el género novelesco, hoy día debilitado y decadente, se presta fácilmente al plagio, procedimiento que ha llegado a ser habitual y anodino, muy rentable si el escritor sabe disimularlo. [1] Varguitas, que no teme contradecirse (o, quizás, no se da cuenta de sus contradicciones) subraya también en este ensayo, el desprecio y el rencor de Flaubert contra las injusticias e iniquidades de la sociedad del siglo 19. Ahora bien, traicionando el pensamiento de Flaubert en un nivel moral y social, como lo traiciona en un nivel estético, Varguitas no saca las conclusiones que se imponen sobre la "Open Society" de nuestro tiempo, apenas más evolucionada que la sociedad capitalista decimonónica. La terrible crisis que vivimos a principios del siglo 21 es la prueba.

Vargas Llosa, novelista retrógrado y profundamente reaccionario, se estanca en su fascinación por los novelistas del pasado y esto en plena revolución cibernética, cuando emergen nuevas formas narrativas, post-novelescas, como el Intertexto, género plurilingüe y pluricultural, fundado sobre la honestidad intelectual. Todavía no ha comprendido (y no comprenderá jamás) la importancia del advenimiento de Internet, comparable, en muchos aspectos, con la invención de la imprenta. Claro, su edad avanzada (más de 80 primaveras) le ha hecho perderse un fenómeno crucial en la historia de la literatura, cuyas perspectivas revolucionarias le escapan completamente. ¡Tal vez cree que se trata de otra revolución comunista a denunciar y aplastar con urgencia!

Resumiendo, Varguitas reconoce en Internet a lo más un progreso técnico de la comunicación, pero no percibe su valor como instrumento de creación literaria, útil prodigioso que abre el camino hacia una nueva literatura, tanto más cuanto es la escritura que se sitúa en el centro de esta extraordinaria revolución tecnológica. No obstante, la estética anticuada y obsoleta de la obra de Vargas Llosa es una de las razones que explican por qué es tan fácilmente acogida por los lectores conservadores, formados dentro de los parámetros esclerosados de la lectura novelesca de antaño.

Por supuesto, los cortesanos de Vargas Llosa (entre ellos, desgraciadamente, jóvenes novelistas mistificados que sueñan con ser nuevos Varguitas y que imaginan que la literatura es una carrera a los premios, a los honores y al dinero), esos aduladores dirán que yo escribo llevado por los celos, la envidia, la frustración. ¿Qué otra cosa podrían decir sin descalificarse a sí mismos y enfrentarse cara a cara con su propia estulticia? El problema es de ellos. El mío es Varguitas en cuanto agente de la "Open Society", papel que endosó por cuenta  de las empresas multinacionales y de los banqueros, quienes lo enviaron a Chile durante la campaña presidencial de 2009/2010 para apoyar el regreso al poder de los neo-pinochetistas.[2]

El escudo "Gran-Escritor-Genial-Gran" que le ha forjado la prensa, le permite dejarse caer por todas partes donde la "Open Society" es amenazada y, como el mismísimo Captain America, mostrar su fuerza y su bravura masculina. Es mejor tomarlo en serio, porque  Varguitas es un auténtico macho, capaz de atacar con violencia cuando se trata de defender sus intereses…a puñetazos si es necesario. Como todo el mundo sabe, exhibió su virilidad golpeando brutalmente el rostro de Gabriel García Márquez, al término de una proyección cinematográfica privada en Ciudad de Méjico, en 1976. El novelista colombiano, harto mejor estilista (según los especialistas del boxeo y de la novela), no había hecho otra cosa que solidarizarse con la esposa y los hijos abandonados por Varguitas, quien se había escapado del hogar familiar corriendo como un hot-dog detrás de una top-model americana.[3] Ahora bien, su violencia como guerrillero anti-socialista lo ha ayudado en buena medida a ganarse la simpatía del jurado del premio Nobel acordado por la Academia del rey sueco, en un momento en que Suecia como Noruega y, en general, toda Europa, es sacudida y roída por la violencia de la extrema derecha neo-nazi.

Nada extraño entonces, que los primeros discursos y conferencias de prensa de Varguitas tras recibir el Nobel fueran consagrados no a la literatura, sino a insultar a la Presidenta de Argentina, Cristina Kichner ("tonta, vulgar, inculta"), al Presidente de Venezuela, Hugo Chávez ("un dinosaurio"), al Presidente de Ecuador, Rafael Correa ("un cangrejo"), al Presidente de Bolivia, Evo Morales ("indio analfabeto") y a burlarse del candidato a la presidencia del Perú (elegido, pese a todo, Presidente de la República Peruana), el humilde inca Ollanta Humala (votar por él o por la candidata fujimorista era como escoger "entre el cáncer o el sida".)

Sí ; Varguitas conoce bien su trabajo y sabe agradecer a sus patrocinadores, entre ellos, los 1300 banqueros de la "Federación Latinoamericana de Bancos" reunidos en Lima a fines de 2012. Los banqueros latinoamericanos y sus compinches venidos de todo el mundo, aplaudieron durante largos minutos la conferencia  ofrecida a la asamblea -con el corazón empapado de amor por sí mismo y con lágrimas de felicidad- por el Premio Nobel de Literatura 2010, don Mario Vargas Llosa…Business is business!
  

 [1] Como "plagiarist" Varguitas es superado por Bryce Echenique, mucho menos astuto que él y perseguido por la Justicia en Perú, al igual que su hijo, Alvaro Vargas y su discípulo novelista, Fernando Iwasaki .

 [2] Este es uno de los motivos que me han impulsado a escribir sobre Popper y Vargas Llosa.

 [3] Infiel en amor, Varguitas sabe traicionar en amistad cuando le conviene. Así, dejó caer a sus amigos catalanes, responsables en gran medida de su éxito editorial, para dar preferencia a los neo-franquistas madrileños, Aznar y Rajoy, enemigos de la Catalunya independiente.




AGGIORNAMENTO

(8/12/2019)

 





Viagras Llosa y sus muletas (Madrid 2020)







Las zancadillas de Vargas Llosa

Los años pasan, pero no Varguitas, que continúa haciendo de las suyas como Captain America después de su premio nóbel, cada vez más desprestigiado. Tras su adjudicación a Bob Dylan en medio del escándalo de las manipulaciones del jurado por parte de un dandy francés, Varguitas propuso que el siguiente fuera adjudicado… a un futbolista. No especificó si a Messi o a Cristiano Ronaldo. En ningún momento se acordó de que su propio premio también fue el fruto de una manipulación favorecida por la extrema-derecha sueca. Como tampoco se ha dado cuenta de que en su última novela -Tiempos Recios- revela inconsciente e involuntariamente el secreto de su "big-success" literario. Tiempos Recios, novelilla-reportaje (una más en su CV de reportero, elevada inmediatamente por sus turiferarios al nivel de obra maestra de la literatura universal), probablemente no fue escrita sino dictada a un magnetófono-secretaria-tacos aguja, y luego corregida, dentro de lo posible, por un Varguitas ya muy gagá. La calidad de su prosa, peor que la habitual, permite suponerlo. Cierto, también Borges dictaba sus microtextos cuando la ceguera le impidió escribir. Pero ir más lejos en la comparación del genio borgiano con la mediocridad estilística de Varguitas es un sacrilegio del cual me abstengo.

Mario Viagras Llosa (su nuevo apodo en los salones "chic"de Lima y del Madrid de Aznar, Botella & Coffee y de Rajoy, después de oficializar su concubinato con Isabel Peeling, la muy antigua "socialité" de Julio Iglesias y, entre otros, también del marqués Falcó y del ex Ministro de la Chaqueta Española, el ex-socialista, Boyer) se ha hecho una increíble zancadilla a sí mismo. En efecto, creyendo que su denuncia de los mecanismos mediáticos estadounidenses (cuya propaganda ideológica inventó el comunismo de la inocente Guatemala para poder invadirla y colonizarla mejor), equilibraría en América Latina su reputación de "hombre de derechas" (en el fondo, de extrema derecha), mostró, sin quererlo, la hilacha de su éxito como best-seller. En realidad, esas mismas fuerzas tóxicas y fraudulentas que consolidaron el poder de la United Fruit en Guatemala, lo transvistieron y maquillaron bonitamente para hacerlo pasar de escritor mediocre a novelista genial, defensor de la libertad contra el comunismo. Y, claro está, ejemplo a seguir en cuanto "living legend" (según la US Library of Congress Award) por las futuras generaciones de escritores hispanoamericanos… contrariamente al escritor castrista-comunista y enemigo de la democracia, García Márquez (no autorizado a ingresar en los EEUU, igual que el poeta comunista Pablo Neruda).

La inverosímil lista de premios y distinciones acordadas a Mario Viagras Llosa lleva el sello discreto de los servicios de la USA Ideological Publicity Agency (llamémosla asi). Son los publicistas de la Agencia quienes, como los periodistas que inventaron y falsificaron la imagen de Guatemala en provecho de la United Fruit, han hecho de él un paladín de la novela, destinada, más que nunca, a promover los valores de la sociedad "neo-liberal". En verdad, esa propaganda dirigida a los necios (que son legión) ha hecho de Varguitas un héroe de "comics", un Captain America encargado de defender los intereses del imperio estadounidense en el mundo de la literatura. Recientemente el diario español El País (especie de "journal intime" de Viagras Llosa, donde se publican todas sus sandeces) organizó en su homenaje un ranking de los mejores libros de comienzos del nuevo milenio, suponiendo que el jurado iba a coronar La Fiesta del Chivo (plagio de "The death of the goat", obra del periodista de Time Magazine, Bernard Diederich, no lo olvidemos), novela reeditada paralelamente a su versión teatral en Madrid. Algo no funcionó como previsto y Varguitas se encontró en cuarta posición, lejos, muy lejos del primero de la lista, mi fenecido compatriota y tocayo, Roberto Bolaño.

Este tipo de traspiés explica tal vez el pésimo aspecto que Viagras Llosa exhibe en sus últimas apariciones tv. Apoyado en un bastón con una mano y con la otra agarrándose firmemente de su "socialité" septuagenaria (manifiestamente preocupada por la mala imagen que su concubino aporta ahora a su revista de escándalos, dirigida magistralmente por ella, y a sus negocios consagrados a la belleza y al lujo), el
deteriorado Captain America delata, con sus mal disimuladas muecas de dolor, otra zancadilla que se hizo torpemente a sí mismo. El informe del hospital al cual fue llevado en ambulancia, señala que el héroe se cayó de culo en el palacete de la "socialité", quien lo alberga en calidad de "amigo del corazón" junto a una de sus hijas franquistas en un "ménage à trois" digno del  indio Huenchuyán (el muchacho se acostaba con una viuda y con la hija de ésta, sin saber con cuál de las dos gozaba en la oscuridad : lo importante  en este mundo no es con quién uno goza, lo importante es gozar,  se decía el indio, aunque nunca había leído a Wilhelm Reich).  La caída le causó a Varguitas una hinchazón fenomenal y un grandioso moretón en las asentaderas. Los médicos, admirados por el tinte violáceo del desbarajuste, le recetaron la ingestión de algunas aspirinas y también, por razones terapéuticas, le desaconsejaron defecar sentado en su tradicional trono de mármol rosa. En cambio, lo alentaron a hacer sus necesidades "a la turca", idealmente al aire libre. (Las malas lenguas cuentan que Vargas Llosa telefoneó inmediatamente a Estambul a su colega novelista, Orhan Pamuk, también premio nóbel y miembro del refinado Open Society Club, para preguntarle si conocía el procedimiento y si era obligatorio hablar en turco para practicarlo.)

Tiempos recios en realidad para el novelista. Si Varguitas no hubiera reído de satisfacción cuando el ministro de justicia de Bolsonaro, Sergio Moro, encarceló injustamente a Lula, el más grande dirigente democrático de Brasil, y no se hubiera felicitado por el golpe de Estado que derrocó a Evo Morales, el primer indio en gobernar eficiente y democráticamente a Bolivia, yo no me reiría de su percance, digno de una "casa de remolienda". Sebastián Piñera, en un Chile hoy día desvastado por su desastrosa presidencia neoliberal, no se ha privado de reírse del accidente doméstico de su compinche, patada en "el poto" (a la chilena) y suerte de castigo cósmico por su falta de humanidad y de modestia.

Vamos, mejor lo reconozco para que no me acusen de mentiroso : yo también confieso que he reído.

 

 




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