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roberto gac






Vicente Huidobro y Jorge-Luis Borges (quien en su juventud escribió bajo la influencia del primero) forman parte de la vanguardia literaria latinoamericana del siglo XX. En Chile, además de Jean Emar (compatriota y gran amigo de Huidobro), escritores como el "antinovelista" Juan-Agustín Palazuelos y Mauricio Wacquez trabajaron con la misma perspectiva, en busca de una nueva literatura. José Donoso, novelista e historiador del "boom" latinoamericano (y sobrino de Jean Emar), también  podria ser integrado en esta perspectiva, aunque nunca consiguió ir más allá de la novela como género narrativo.

(Leer el  artículo en el PDF adjunto con el  Anexo fotografico)
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Le dédain arrogant de Vargas Llosa envers Proust et la Recherche est déplorable. Ce mépris est le produit de son incapacité personnelle à percevoir et à saisir la subtilité et la luminosité d'une œuvre axiale de la littérature contemporaine.








VARGAS LLOSA contre MARCEL PROUST

Dans mon article Proust et l'écrivain "afrancesado", je m'étonnais des déclarations de Vargas Llosa  à propos de son "dégoût" de Marcel Proust :

"Je n'aime pas Marcel Proust et pendant de nombreuses années je l'ai caché. Plus maintenant. J'avoue que j'ai eu du mal à terminer « À la recherche du temps perdu », un ouvrage sans fin que j'ai lu avec beaucoup de difficultés, dégoûté par ses très longues phrases, par la frivolité de son auteur, par son monde minuscule et égoïste, et, surtout, par ses murs de liège, construits pour ne pas être distrait en entendant les bruits du monde (que j'aime tellement).  (Journal espagnol El País, 19 avril 2020).

 Déclaration pour le moins stupéfiante, disais-je, s'agissant d'un écrivain comblé et flatté par l'admiration que lui portent des intellectuels comme Antoine Compagnon, "proustologue" parisien édité chez Gallimard.  En novembre 2017, Compagnon fit la promotion au Collège de France  (où il était Professeur de Littérature Française Moderne et Contemporaine)  des ouvrages du romancier péruvien publiés dans la luxueuse Bibliothèque de la Pléiade,  couvrant d'éloges une œuvre esthétiquement irrégulière et médiocre. "García Márquez écrivain naïf pour des lecteurs naïfs; Vargas Llosa écrivain médiocre pour des lecteurs médiocres", ai-je écrit dans un autre de mes articles, pensant au Douanier Rousseau, le merveilleux peintre "naïf", et au Livre X de La République de Platon ("le médiocre rejoint le médiocre".)

L'opinion de Vargas Llosa contre Marcel Proust, opinion dictée par sa pusillanimité et par la méconnaissance d'une œuvre transcendantale que, de son propre aveu, il a été incapable de lire correctement ( "Vous êtes selon moi le modèle du lecteur", l'avait  pourtant complimenté  Compagnon), pourrait rappeler Contre Sainte-Beuve, l'essai qui annonce le début de la  Recherche. Mais la comparaison est impossible entre le texte proustien, produit d'une extraordinaire sensibilité et d'une intelligence lumineuse, et la "pensée" obscure et incohérente d'un écrivain-reporter, publiciste vénal de l'Open Society, la société néolibérale qui a fait de lui son Captain America  pour protéger ses intérêts au nom de la "liberté". (Open Society en revanche strictement fermée à des écrivains "ennemis de la  démocratie" tels le poète Pablo Neruda ou le romancier Gabriel García Márquez, interdits de leur vivant d'entrer aux Etats-Unis, à l'instar de beaucoup d'autres artistes qualifiés de "leftist" par le FBI et la CIA .)

La lecture du dernier roman de Vargas Llosa -Tiempos Recios (2019)- mal traduit sous le titre "Temps Sauvages" (plagié du roman de Joseph Kessel, "Les Temps Sauvages", 1975), permet de confirmer la distance sidérale entre la haute qualité esthétique de la création proustienne et la platitude stéréotypée et grossière de la production de l'écrivain "nobélisé". Tout lecteur attentif pourra constater aisément que Temps Sauvages n'est qu'un récit  romanesque à la structure archi-conventionnelle, rédigé dans une prose monotone et ennuyeuse, surchargé d'informations pseudo historiques. Cependant,  Temps Sauvages présente un intérêt particulier : ce roman  pourrait être lu comme une confession inconsciente et involontaire de Vargas Llosa sur l'origine de son "big success" littéraire. Sans craindre d'être traité de "complotiste paranoïaque", sa mise en question des mécanismes médiatiques américains (qui inventèrent de toutes pièces un supposé communisme dans l’innocent Guatemala pour en justifier sa colonisation et permettre à l’United Fruit d'exploiter gratuitement les bananeraies du pays)  révèle, malgré lui, le mécanisme de son propre succès comme "best seller".

 En effet, ces mêmes forces toxiques qui propulsent la propagande idéologique des États-Unis, forces déployées non seulement dans le petit Guatemala mais aussi en Europe (l'héroïque journaliste Julian Assange est en prison pour les avoir démasquées), le transformèrent d’écrivain médiocre en romancier génial, défenseur de la liberté menacée par les "criminal communists". Et, au passage, le hissèrent comme exemple à suivre pour les nouvelles générations d’écrivains. C'est le but du label ridicule "living legend" qui lui fut décerné par l' US Library of Congress, et le sens du non moins caricatural Irving Kristol Award offert à Vargas Llosa par l'American Enterprise Institute, nid des néoconservateurs américains et vivier du think-tank de l'extrême-droite du Parti Républicain ("To Mario Vargas Llosa, whose narrative art and political thought illumine the universal quest for freedom"). Vargas Llosa, rappelons-le, chaud partisan de Bush et de l'invasion de l'Irak, fut reçu à Bagdad par le commandement militaire américain et salué en tant que Nobel Prize...en 2003, sept ans avant son couronnement par l"Académie suédoise !

La longue (et parfois risible) liste des récompenses octroyées au romancier (y compris l'argent accordé par un viticulteur milliardaire du Médoc : “C’est avec beaucoup d’émotion que Mario Vargas Llosa, s’est vu attribuer les 20 000 euros du prix littéraire Château La Tour Carnet 2019" ), porte le sceau mal camouflé de l’US Ideological Publicity Agency (appelons-la ainsi par souci de transparence). Ce sont les publicistes de l’Agency, à l’instar des journalistes occupés à  falsifier l’image du Guatemala au profit de l'United Fruit, qui ont conçu et mis en marche la machine médiatique qui a fait de Vargas Llosa le paladin du roman de la société néolibérale. Peu à peu, avec la complicité des éditeurs, le mécanisme devint automatique, fit "boule de neige" et enveloppa dans son inertie les dirigeants de nombreuses universités et académies, escortés par une masse de clercs littéraires et de journalistes irresponsables. Ils se sont laissé piéger et hypnotiser par ce qui apparaîtra dans le temps, au-delà de toute "théorie du complot", comme l'une des fraudes culturelles les plus dévergondées et cyniques de notre époque.

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Dialogue intertextuel avec Barthes

La vie et l'œuvre de R. Barthes sont marquées par de nombreuses ambiguïtés, existentielles et rhétoriques. Orphelin pauvre d'un père tué pendant la guerre de 1914 lorsque son fils venait de naître, il vécut attaché à sa mère veuve, unique compagne de sa vie. Sémiologue plus par destin que par choix (tuberculeux depuis sa jeunesse, il ne put accomplir un parcours académique régulier comme Sartre, son mentor), il s'intéressa à l'exploration et à la définition d'un nouveau type de texte (Théorie du texte). Le roman et le romanesque occupent une bonne place dans ses recherches. Il passe d'une critique sans concessions du roman comme genre narratif périmé (Le Degré Zéro de l'écriture, 1953) à un « désir de roman » vers la fin de sa vie (« La Préparation du roman », séminaire au Collège de France, 1978-1980). Le présent article essaie d'éclairer cette dérive rhétorique et apporte quelques éléments pour établir une Théorie de l’Intertexte, genre littéraire post-romanesque.

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  • resumé
    Roland Barthes a « poétisé » la sémiologie, disais-je dans la première partie, plutôt romanesque, de cet essai. Il était non seulement un grand scientifique de la littérature, mais aussi un subtil poète. Les années qu’il passa dans sa jeunesse, pour des raisons « alimentaires », dans nombre de bibliothèques où il devait explorer interminablement des documents « linguistiques » harassants, lui ont donné en contrepartie une vision inouïe et originale de la langue française. D’abord plutôt « écrivant » (selon sa propre terminologie « écrivant / écrivain », l’écrivant utilisant transitivement la langue comme un outil de....
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De la théorie du Texte à la théorie de l'Intertexte



La vie et l'œuvre de R. Barthes sont marquées par de nombreuses ambiguïtés, existentielles et rhétoriques. Orphelin pauvre d'un père tué pendant la guerre de 1914 lorsque son fils venait de naître, il vécut attaché à sa mère veuve, unique compagne de sa vie. Sémiologue plus par destin que par choix (tuberculeux depuis sa jeunesse, il ne put accomplir un parcours académique régulier comme Sartre, son mentor), il s'intéressa à l'exploration et à la définition d'un nouveau type de texte (Théorie du texte). Le roman et le romanesque occupent une bonne place dans ses recherches. Il passe d'une critique sans concessions du roman comme genre narratif périmé (Le Degré Zéro de l'écriture, 1953) à un « désir de roman » vers la fin de sa vie (« La Préparation du roman », séminaire au Collège de France, 1978-1980). Le présent article essaie d'éclairer cette dérive rhétorique et apporte quelques éléments pour établir une Théorie de l’Intertexte, genre littéraire post-romanesque.

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    L’égarement

    La mort de Roland Barthes, renversé à Paris par une camionnette le 25 février 1980, ne fut pas immédiate. C’est un fait aujourd’hui bien connu. Son agonie allait se prolonger pendant plus d’un mois dans une salle de soins intensifs de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière. Il est resté dans un semi-coma tout au long du mois de mars. D’après quelques amis qui ont pu s’approcher de lui, il n’était pas complètement inconscient et parfois il répondait par des gestes ou des mouvements des lèvres lorsqu’on lui adressait la parole. Mais il est mort sans...

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  Le rayonnement de la pensée de Sartre était déjà planétaire au milieu du 20e siècle et atteignait des pays aussi lointains de l'Europe que le Chili, à une époque ou les moyens de communication et les transports étaient encore précaires en comparaison à ce qu'ils sont devenus aujourd'hui.

                    Cet essai, qui s’appuie surtout sur la pensée littéraire de celui qui est considéré en Amérique latine comme le plus grand penseur français contemporain, témoigne de l'influence sartrienne et de son résultat, parfois antithétique, dans Les Phases de la Guérison, œuvre qui débute et se développe grâce à des ouvrages qui vont de La Nausée jusqu'à L'Idiot de la famille, passant par les Carnets de Guerre, Les Chemins de la Liberté, L’Être et le Néant, Réflexions sur la question juive, etc.
 
                   L'existentialisme n'est peut-être plus "à la mode", mais l'exemple de Sartre et de sa quête de liberté et d’authenticité est parfaitement vivant et plus nécessaire que jamais.     

 

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Au début de l'année 2019, Sens Public a publié un entretien du dramaturge, metteur en scène et réalisateur de cinéma, Peter Brook - Presence and Creation- réalisé en 2016 dans le cadre de la Academy of Arts of New York par le peintre et architecte chilien, Pedro Pérez-Guillón. L’entretien se développe essentiellement autour du théâtre et des arts plastiques.[1] La littérature n'y est abordée que tangentiellement. Ayant été moi-même élève de Peter Brook pendant sept ans (1979 -1986) à l'Institut Gurdjieff de Paris (sous la direction de Madame Jeanne de Salzmann et du docteur Michel de Salzmann), je me propose ici, en tant qu'écrivain, de regarder mon travail à la lumière de la pensée esthétique de celui qui est considéré comme l'un des hommes de théâtre parmi les plus importants de notre époque, mais qui restera aussi dans la mémoire de notre temps comme un guide spirituel. Bien entendu, étant donné l’infinie richesse de la culture orientale autour de l’art dont il est constamment question dans cet entretien et des commentaires innombrables qui peuvent être réalisés à ce sujet à partir de notre culture occidentale, je me limiterai, dans cet article, uniquement aux propos de Peter Brook sur le processus de création chez l’artiste et cela dans la mesure où sa pensée me permet d'éclairer la gestation de l'intertexte comme modalité de la littérature narrative post-romanesque.

La difficulté est considérable, d’autant plus que le mécanisme de création dans la littérature narrative -le roman en particulier- est plutôt réfractaire à une approche "spirituelle", contrairement à la poésie. Peut-être pourrions-nous considérer À la Recherche du Temps Perdu, le chef d’œuvre de Marcel Proust, comme une exception, même si la Recherche n’est pas vraiment un roman[2]. Le Livro do Desassossego du poète portugais Fernando Pessoa[3] pourrait aussi être lu comme une œuvre de fiction narrative où la spiritualité est intensément perceptible par le lecteur attentif. Cet ouvrage transcendantal dans la littérature occidentale est comparable par sa profondeur aux écrits du poète et maître spirituel indien, Krishnamurti[4]. Coïncidence rhétorique étonnante, tous deux ont constamment recours à l’oxymoron comme figure de style, mais ils s’opposent formellement et fondamentalement dans la mesure où Krishnamurti propose un chemin d’apaisement et de douceur pour atteindre en soi la présence de l’être, tandis que Pessoa reste dans la constatation de l’absence de cette présence chez l’homme ordinaire et se limite à poétiser son désespoir. Même ainsi, son œuvre constitue l’un des rares exemples de haute spiritualité dans la littérature du XXe siècle. [5]

La création et la présence dans le sens où Peter Brook en parle dans cet entretien, semblent étrangères à la narration, surtout lorsqu’il s’agit de longs récits romanesques. Y a-t-il quelque chose d’authentiquement spirituel dans Les Frères Karamazov ? Peut-on parler de "spiritualité" quand Dostoïevski introduit le personnage d’Aliocha, le jeune novice serviteur et dévot de son starets moribond, ou lorsque le romancier fait parler Le grand Inquisiteur pour accuser le Christ de ne pas tenir ses promesses? Il ne faut pas confondre "spiritualité"  et "bondieuserie". La conscience de soi des personnages dostoïevskiens et leurs dialogues autour du christianisme orthodoxe ne sont pas plus "spirituels", malgré leur prétendue liberté polyphonique, que les réflexions monophoniques, densément psychologiques et matérialistes, des romans "philosophiques" de Jean-Paul Sartre ou d'Albert Camus.

Pour Peter Brook, la spiritualité dans l’art est liée à ce qu’il appelle la présence :

Comme nous le disions, la présence est un sujet merveilleux… car nous ne pouvons pas beaucoup parler d’elle : elle est invisible et personne ne peut la définir. Mais nous pouvons la sentir, spécialement lorsqu’elle n’est pas là. Si nous la sentons une seule fois, à partir de ce moment nous saurons toujours quand elle est absente.

Et encore :

La présence peut prendre beaucoup de formes… puisqu’elle n’en a aucune. La présence existe dans beaucoup de formes différentes.

Puis :

Maintenant, il faut revenir au fait que la présence est un sujet extraordinaire, car cela nous met en face du grand inconnu. Cet inconnu est la chose la plus active, la plus positive et merveilleuse qui soit. C’est quelque chose qui ne peut pas être saisi par le langage ordinaire, ou par les scientifiques ou les philosophes et, pourtant, chacun d’entre nous peut très simplement en faire l’expérience. Cela dit, voici ce qui est le plus important pour votre travail : la présence est une conséquence. La présence est toujours un potentiel, mais elle n’apparaîtra que si toutes les conditions sont requises. Si vous commencez en disant "nous avons besoin de trouver la présence ", alors vous n’avez aucune chance. La présence ne peut pas être fabriquée, et pourtant la présence naît continuellement.

C'est clair, pour Peter Brook la présence n’est pas un concept, une idée que l’artiste (l’écrivain-artiste) peut appliquer mécaniquement dans son travail :

  Or, pour ce que vous cherchez, il est important de savoir qu’aucun "bon " artiste ne commence son travail avec ce qu’on appelle "un concept", c’est à dire, un schéma dans la tête ou une image de ce qu’il voudrait apporter au monde. Ce n’est pas valable. Les concepts sont le résultat final. Quand quelque chose apparaît, cela devient le concept. 

De nombreux romanciers se vantent de commencer l’écriture d’un roman seulement quand celui-ci est déjà écrit dans leur tête : l’histoire à raconter, avec tous ses détails, même les points et les virgules. Il s’agit sans doute d’une affirmation excessive, peu réfléchie, car personne ne peut imaginer qu’un tel phénomène puisse avoir lieu dans le cerveau de quiconque. Un livre complet dans l’imagination, virgules comprises ! D’autres romanciers assurent le contraire : ils se félicitent de commencer à écrire dans le brouillard, sans savoir où ils vont, laissant le texte se développer de lui-même, presque comme un déploiement extérieur à leur volonté et à leur conscience, texte dont ils seraient, par conséquent, totalement irresponsables. Les deux positions sont aux antipodes l'une de l'autre et elles correspondent plutôt à des clichés qu’à une observation véritable du processus de l’écriture, extrêmement difficile, certes, à observer.

C’est en essayant d’échapper à ce double cliché que j’ai voulu développer une nouvelle modalité narrative, l’intertexte, qui cherche à s'approcher au plus près de la conscience de soi de l’écrivain et de celle du lecteur. En introduisant l’intertextualité comme mécanisme central de la narration, je cherche à créer un jeu de références qui me permet -en tant qu’écrivain- de prendre en compte consciemment l’écriture d’autrui et, parallèlement, de laisser une nouvelle proposition textuelle ouverte au lecteur qui, à son tour, peut l’utiliser comme un nouveau système de références et ainsi de suite. La relation écrivain-actif / lecteur-passif, habituelle dans le cas du roman (dont la textualité est figée et non modifiable par le lecteur), se trouve donc bouleversée. Apparait alors un nouveau type d’écrivain, le lecteur-écrivain [6]. L’intertexte se développe alors comme un jeu de systèmes de références textuelles très mobiles, d’où le lecteur n’est pas exclu. Bien au contraire, le lecteur cesse d'être réduit à la catégorie de consommateur passif d’un texte et il est appelé à entrer dans celui-ci pour y participer. L’invention de l’écriture électronique rend possible cette éventualité, à l'apparence utopique, et les nouvelles technologies vont, de toute évidence, faciliter un phénomène scriptural et littéraire qui deviendra de plus en plus courant.[7]

Or, pour que cette éventualité puisse atteindre une qualité esthétique il faut accepter la nécessité des proportions dans la textualité, à l’instar des proportions introduites dans la musique, dans la sculpture, dans l'architecture ou dans la peinture, comme le rappelle Peter Brook :

    Il est possible de voir dans les tableaux de Leonardo où de n’importe quel autre grand peintre de la Renaissance, leur manière de préparer leurs toiles en traçant certaines lignes pour donner une proportion à ce qu’ils allaient faire. Puis, ils peignaient librement sur elles. Il est possible de percevoir un certain degré de présence dans les nombres et dans les proportions. Certaines relations entre certains nombres nous touchent profondément. Tout comme dans l’harmonie musicale, nous pouvons sentir, par exemple, une relation entre 2 et 3, 6 et 9, etc., dans tout ce qui façonne la forme et le rythme. C’est ça la proportion, et la proportion mène à la présence.[8]

Mais que peut-on dire de la présence de l’artiste-écrivain dans cette situation ? Prenant comme exemple le cas du pianiste, Peter Brook remarque ceci :

Le pianiste ne se dit pas à lui-même qu’il doit être présent, mais c’est grâce à ses années de travail, d’étude, de compréhension, ses années de travail avec son corps, que peut apparaître, à travers ses doigts, le son. Le pianiste ne l’appelle pas. D’une certaine façon, il est en train d’observer, d’écouter. Son écoute devient de plus en plus fine, plus sensible. Alors, à l’intérieur de lui-même, et aussi à l’intérieur de nous-mêmes (car nous amenons notre présence à sa présence) une nouvelle présence apparaît entre nous tous, une présence naît.[9]

Au début de ma vie d’écrivain, après avoir quitté la pratique de la médecine et de la psychiatrie vers 26 ans, j’avais d’énormes difficultés pour écrire. Le seul fait de m’assoir et de rester immobile pour taper à la machine à écrire, m’était pénible. Ma lutte contre les phrases mal agencées, les idées confuses, le désordre du texte, n'avait pas de répit. Écrire n’était pas un plaisir, mais un effort épuisant, un devoir imposé par discipline plus que par goût. La beauté, la clarté, le sentiment de plénitude que je croyais inhérent, consubstantiel à l’acte d’écrire, d’être un écrivain, n’apparaissaient nulle part. À ce moment-là, je n’étais que pure volonté, obstination, ambition, désir d’aboutir à quelque chose que je n’étais même pas capable de définir. Ce ne fut qu’au bout de douze années d’efforts réguliers, assidus, persévérants, lorsque je commençais à Paris la deuxième version de La Société des Hommes Célestes (la première datait de 1969), que j’éprouvai, presque comme une grâce venue du ciel, une soudaine facilité d’écriture. L'acte d’écrire cessa d’être un effort pénible, j’étais arrivé, exactement comme un pianiste après maintes années de travail sur son clavier, à une aisance inattendue dans mon écriture. Non que j’écrivisse mieux qu’auparavant ("bien écrire"  ou "mal écrire", cela n’avait pas d’importance), mais désormais j’étais en possession d’un outil qu’enfin je maîtrisais. Or, cela m'avait coûté une longue et difficile préparation.

À cet égard, Peter Brook insiste :

Tout ce dont nous parlons, et cette analyse que nous faisons, ne concerne que la préparation. C’est le travail de l’étudiant (de l’apprenti). C’est très important, mais il s’agit seulement de la préparation. N’importe quel danseur pourrait vous dire que s’il pense en dansant à ce qu’on lui a dit pendant les classes ("fais-ceci, fais pas ça"), tout s’effondre. Le moment est perdu. On danse avec la joie de la liberté. Mais quelqu’un qui regarde, peut être touché profondément s’il y a de la proportion. Il ne faut même pas penser à cela. Si la proportion est en vous grâce à votre préparation, alors elle va vous guider. Si elle n’est pas en vous, vous ne serez pas guidé.

La préparation, bien entendu, n'exclut pas "l'ouverture-disponibilité", souligne t-il :

Un artiste "mauvais"  n’a que des idées, des règles, des techniques. Un "bon" artiste se trouve dans un état d’ouverture-disponibilité. Les gens accordent leur crédit aux créateurs, ils croient en eux. Mais la création n’émerge pas de la personne du "créateur", la création passe à travers sa personne… si elle trouve en elle la préparation et l’espace nécessaires. [10]

Pour Peter Brook, cela est valable pour tous les artistes :

Ce processus est identique en musique ou s’agissant du théâtre, etc. L’acteur, par exemple, a son espace intérieur plein d’ambitions, de peurs, d’enthousiasme, tout ce genre de choses. Mais son espace n’est pas vide, il n’est pas disponible. Tout ce que nous devons faire, c’est dépouiller, déblayer le chemin, créer un espace vide, plein d’un vide vivant, vibrant.

En 1979 j’étais membre de l’Institut Gurdjieff de Paris et je travaillais avec Peter Brook dans un groupe où il y avait une dizaine d’étrangers soigneusement choisis après une année de travail préparatoire. Pourtant, avec lui nous ne parlions jamais d’art, de littérature, et encore moins de théâtre.[11] Cela était exclu. Nous étions là uniquement pour apprendre à entrer en contact avec nous-mêmes d’une nouvelle façon, à nous exercer à diriger l’attention sur soi d’une façon méthodique. Et aussi, pour apprendre la technique gurdjiefienne très rigoureuse de la méditation.  Peu à peu je commençai à prendre l’habitude de méditer avant de me mettre à écrire : d’abord un quart d’heure, puis une demi-heure, idéalement une heure. Cela m’aidait à atteindre, pas toujours, mais de plus en plus fréquemment, ce que Peter Brook décrit dans son entretien : un dépouillement intérieur, un chemin déblayé qui puisse être emprunté sans encombre.

Cependant, rien ne me permettait d’assurer que ce que j’écrivais avait une vraie qualité. Vivant en exil en Europe, très loin du Chili, mon pays natal, dans une pauvreté contraignante quoique sciemment acceptée, car elle me permettait de me consacrer uniquement à écrire, j’avais peu d’amis [12] et, bien sûr, aucun éditeur ne s’intéressait à mon ambitieuse prétention : aller au-delà du roman comme genre littéraire. J’étais, sans l’avoir voulu, ce qu’on appelle un "écrivain d’avant-garde", suspect, difficile à suivre et à lire et, pour plusieurs de mes rares lecteurs, surtout pour mes amis écrivains, mes écrits n’étaient pas littéraires, ils étaient "sans qualité”. Or, ils comprenaient la "qualité" surtout comme une donnée qui allait dans le sens de ce qu'aujourd'hui on appelle "tendance", mot à la mode des magazines "people". Pour Peter Brook, la qualité est quelque chose de très différent :

Il y a quelque chose en nous qui correspond à ce mot qualité qu’aucun dictionnaire ne peut expliquer, mais dont nous savons ce qu’il signifie. Quelque chose qui a plus de cette qualité et quelque chose qui a moins de cette qualité. Et cela, seule l’expérience peut nous le montrer. Il n’y a aucune utilité à parler d’art, de musique, de n’importe quelle forme de théâtre si nous ne reconnaissons pas les différents degrés de cette qualité. Ceci est essentiel.

Comment donc reconnaître une vraie qualité dans une tentative scripturale avant-gardiste qui ne se reconnaissait même pas en tant que telle ? Pour moi c’était quelque chose d’essentiel, comme pour un navigateur solitaire il est essentiel d’avoir un point de référence, un phare qui guide sa navigation. Il me fallait trouver une technique valable, m’assurer d’une méthode efficace dans mon style d’écriture, trouver une forme qui puisse me permettre d’atteindre à une vraie qualité. Cependant, pour Peter Brook la forme vient en deuxième place :

La forme vient en deuxième place. C’est aussi simple que cela. Et ce qui est terrible dans les universités et les écoles d’art, c’est qu’elles commencent toujours par la forme. Ce que nous cherchons (toujours avec l’aide de la forme), c’est trouver ce qui peut illuminer la forme. Et c’est ce qui peut illuminer la forme qui est vraiment valable. Si nous sommes attentifs à la vie, nous pouvons sentir que la vie est en mouvement permanent et, par conséquent, ses formes changent aussi tout le temps. Les grands artistes de toutes les époques sont conscients que la vie et ses formes changent constamment. Et c’est pour cette raison que pour un compositeur de notre temps écrire de la musique à la façon de Stravinsky ou de Bach, n’a aucun sens. Ces formes-là étaient très justes à leur époque. Plus tard, on les reconnaît, on les enregistre et on les inclut dans ce qu’on appelle "Histoire de l’art". Plus tard, il arrivera un moment où l’artiste sentira le besoin d’un changement et, comme Picasso, il dira : "Non, nous ne pouvons pas continuer à faire les choses de la même façon qu’il y a 50 ans, nous ne pouvons pas continuer à faire des peintures naturalistes parfaites, il y a quelque chose de nouveau qui doit être révélé et il faut essayer de chercher quelle est la forme adéquate pour cela". 

Donc, Peter Brook reconnaît la nécessité d’innover, de trouver des formes nouvelles pour exprimer ce qu’il y a de nouveau dans l’évolution de la vie humaine. Pour moi la "forme roman" était dépassée, périmée, elle ne correspondait plus aux besoins de l’individu ni à ceux de la société. L’invraisemblable banalité et frivolité des romans encensés par la critique des journaux, me laissait stupéfait. La cascade des prix littéraires déversés sur la production romanesque mondiale camouflait la basse qualité des ouvrages proposés comme des "chefs d’œuvre de la littérature universelle", tous façonnés à peu près sur la même forme et cherchant, avant tout, la réussite sociale et, bien sûr, "to make money". Il fallait trouver une issue pour échapper à cette médiocrité formelle qui rongeait de l'intérieure la littérature la transformant dans un simple objet de consommation, en pitoyable "parole putanisée", comme dit Gurdjieff dans le prologue de Rencontre avec des hommes remarquables.[13] Et je voyais dans l’intertexte l'un des moyens de mettre fin à cette dérive et de redonner à la littérature une nouvelle vitalité.[14]

"Essai et erreur, essai et erreur… et vous recommencez", conseille Peter Brook pour créer une œuvre d'une véritable valeur esthétique.

"Essai et erreur", ce que nous appelons processus d’essai (…) Ce que nous devons tenter encore et encore, c’est une perception de la qualité : vous faites un geste, que vous soyez acteur ou peintre, puis vous l’observez et vous dites : "Oui, c’est l’idée, mais la qualité n’est pas là". Et vous recommencez.

Certes, le degré de difficulté pour un acteur, pour un peintre ou un écrivain, n'est pas le même. Peut-être le geste d’un acteur, le coup de pinceau d’un peintre, sont-ils plus rapides et aisés à refaire qu'un texte. Flaubert réécrivait parfois vingt fois une phrase… avant de tout recommencer le lendemain, toujours insatisfait du résultat. Balzac, feuilletoniste pressé par les journaux pour lesquels il travaillait, trouva quand même le temps pour écrire entre 1832 et 1842 jusqu'à sept moutures différentes de l'un de ses chefs-d'œuvre, Louis Lambert. Picasso, dont la rapidité d'exécution d'un tableau était légendaire, a réalisé, avant de parvenir à la version finale de Guernica…45 études préliminaires! Mais au fond il s'agit du même problème, du même objectif pour tout artiste : atteindre une certaine qualité.[15]

Pour aboutir à cette qualité, Peter Brook signale qu'il y a quelque chose d'encore plus important et nécessaire pour l'artiste : l'amour. Il prend comme exemple Henry Moore et l’amour qu'il éprouvait pour sa mère, atteinte de terribles douleurs du dos, qu'il essayait de calmer par des massages dévoués avec ses mains de sculpteur. Henri Moore, connu surtout par ses sculptures de grandes femmes, confiait à Peter Brook qu'au moment de sculpter (de "masser", en quelque sorte) le dos de ses sculptures, il se souvenait de sa mère souffrante. Le résultat, spontané, non recherché, était la grande vivacité de ses créations, pleines d'une qualité hors du commun.

Nous avons vu des œuvres d’artistes hautement appréciés, de peintres très cotés et pourtant ils ne nous touchent pas. Nous pouvons dire : "Oui, c’est bon". Ils essaient de faire de leur mieux, mais à l’intérieur - de l’intérieur qui guide la main, à l’intérieur de leur regard - cette sensibilité prudente et aimante n’est pas là. Car, c’est à partir de l’amour que ce que nous cherchons émerge...

 

 

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[1] Entretien publié simultanément en français, en espagnol et en anglais.

[2] C'est la thèse que je soutiens dans Bakhtine, Proust et la polyphonie romanesque chez Dostoïevski .

[3] Fernando Pessoa (Lisbonne 1888 – 1935) est mort pratiquement inédit et méconnu de ses contemporains. Aujourd'hui il est reconnu comme le plus grand écrivain du Portugal et l'un des plus importants poètes du 20e siècle.

[4] Jiddu Krishnamurti naquit en Inde en 1895 et fut pris en charge à l'âge de treize ans par la Société Théosophique de Mme Blavatsky, qui voyait en lui "l'Instructeur du monde". Presque analphabète dans son adolescence, il deviendrait un merveilleux poète et gurû, suivi par de millions d'adeptes. Il est mort en 1986 en Californie.
[5] Il faudrait ajouter René Daumal et Le Mont Analogue, texte "inachevé", dont je parle dans mon article "René Daumal et l'enseignement de Gurdjieff". La dimension épique n'annule pas la spiritualité.

[6] Le concept du lecteur-écrivain et ses répercussions numériques et logiques est analysé par le professeur de littérature de l'Université de Montréal, Marcello Vitali-Rosati dans plusieurs de ses livres et de ses essais.

[7]Jürgen Habermas, philosophe allemand membre de l'école de Francfort, signale dans l’un de ses derniers entretiens que l’invention de l’imprimerie a permis à l’homme ordinaire de devenir lecteur, processus qui a pris plusieurs siècles avant de s’imposer à la majorité de la population humaine. Et, parallèlement, il constate que, à peine deux décennies après son invention, Internet fait de nous tous des écrivains potentiels. Nous pouvons donc imaginer que l’invention de l’écriture électronique fera du lecteur ordinaire un lecteur-écrivain… en beaucoup moins de temps!

[8] J'ai tenté cette possibilité dans L'Enlèvement de Sabine, texte construit en suivant les données du Nombre d'or et les règles pythagoriciennes du 3 et du 7. Mon livre Madre /Montaña /Jazmín est structuré selon les proportions du carré et de la spirale d'après les définitions de Kandinsky dans Point, ligne, plan, et dans Du sprituel dans l'art. Ulysse, le célèbre ouvrage de James Joyce (considéré comme le précurseur de l'intertexte) est construit en suivant les proportions de l'Odyssée homérique.

[9] Est-ce le cas aussi dans l’intertexte? Dans Dialogue intertextuel avec Bakhtine, j'écris: "Dit en passant, Cher Maître, notre dialogue intertextuel est en quelque sorte immortel, même si vous êtes déjà mort et moi pas encore…comme vivant est le lecteur qui nous lit en cet instant et nous prête son attention et sa présence…" p.69

[10] C'est à peu près ce que le Yi-King signale dans l'hexagramme N°1, Le Créateur. Mais aussi ce que les Grecs de l'Antiquité pensaient du "rhapsode", simple instrument d'une mélodie divine qui le traversait.

[11] Après une séance à l'Institut, j'ai voulu lui parler de ma pièce de théâtre Œdipe Rouge. Il se refusa sèchement. Je n'insisterai plus jamais.

[12] «Celui dont les amis sont en petit nombre, celui-là est l'Étranger», rappelle le Yi-King dans son hexagramme N° 56, L'Étranger.

[13] « L'un des principaux moyens de développement de l'intelligence est la littérature. Mais à quoi peut bien servir la littérature de la civilisation contemporaine ? Absolument à rien si ce n'est à la propagation de la parole putanisée9 ». Gurdjieff, Rencontres avec des hommes remarquables, Monaco, Ed. Du Rocher, 1984. Le film homonyme de Peter Brook (avec Terence Stamp dans le rôle de Gurdjieff) date de 1979.

[14] Dans Bakhtine, le roman et l’intertexte, je développe plus longuement ces idées, mises en pratique dans tous mes ouvrages intertextuels.

[15] Mes livres sont le résultat de nombreuses tentatives pour arriver à une forme "post-romanesque", souvent après plusieurs versions différentes, en espagnol et en français, laissées de côté les unes après les autres jusqu’à obtenir une forme acceptable.  Versions étalées sur plusieurs décennies de travail, bien entendu. Cela dit, l'intertexte peut être aussi dépourvu de toute qualité, de toute spiritualité, comme le plus banal des romans. Tout dépend de la présence chez l'écrivain pendant le processus de création de son texte.






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Répondant à une invitation du professeur de littérature de l’Universidad de Chile, David Wallace, je me suis rendu à Santiago en octobre 2017 pour quelques échanges avec ses étudiants autour de l’évolution du roman comme genre littéraire et des nouvelles modalités de la littérature narrative rendues possibles par l’invention de l’écriture électronique et l’expansion planétaire d’Internet. Ma collaboration avec Sens Public, depuis sa fondation par Gérard Wormser, au début des années 2000, m’a permis, entre autres, de faire connaître aux étudiants le labeur déployé par l’Association et la revue, dont la perspective numérique, hautement culturelle et avant-gardiste, est désormais connue et suivie dans le milieu universitaire du Chili.

Le dossier est composé de trois articles liés entre eux. Le dernier texte, rédigé par le professeur Wallace lui-même, permet, par la constellation des citations qui l’éclairent, d’avoir un aperçu de l’ensemble de l’avant-garde littéraire latino-américaine tout au long du XXe siècle.

1 - Plagiat et Intertextualité




(Artículo en español : "Plagio e intertextualidad")

2 - Membres épars de l’avant-garde chilienne




Voir le Dossier photographique de "Miembros Dispersos de la vanguardia chilena" en PDF joint, ci-dessous.


3 - Disjecta Membra.

 

 


 

 

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LA VIE NOUVELLE DE MARCEL PROUST / LA NUEVA VIDA DE MARCEL PROUST

 (À propos du Mystérieux Correspondant)

 

En cette année fertile en événements proustiens, les Éditions de Fallois viennent de publier, sous la direction de Luc Fraisse, un recueil de nouvelles inédites de Marcel Proust, Le Mystérieux Correspondant. Il s’agit de neuf courts récits écrits vers 1896, l’année de la publication de Les Plaisirs et les Jours, premier livre de l’écrivain, qui réunit des textes dont les inédits en faisaient vraisemblablement partie, avant d’être écartés par l'auteur. Un seul parmi eux, celui qui donne son titre au recueil, est achevé, les autres étant restés incomplets.

Luc Fraisse, spécialiste de l’œuvre de Proust, perçut la qualité esthétique de ces fragments, longtemps conservés dans les archives de Bernard de Fallois (décédé en 2018), lui-même grand amateur, collectionneur et éditeur des écrits proustiens. Appuyé par Dominique Goust, le directeur des Éditions de Fallois, il prit la décision de les analyser scientifiquement et d’offrir les résultats de sa recherche à un public le plus large possible, au-delà des cercles universitaires (rappelons que Luc Fraisse est aussi professeur de littérature à l’Université de Strasbourg). Il étudia donc chacun des textes, recherchant notamment les liens décelables avec les nouvelles de Les Plaisirs et les Jours, mais aussi avec Contre Sainte-Beuve et À la Recherche du Temps Perdu, comme il le signale dans l’essai qui ferme le recueil : Aux sources de la Recherche du temps perdu.

Ce qui frappe dans la lecture des neuf textes proposés, inachevés ou pas, c’est leur qualité poétique vivante. Depuis la première ligne jusqu’à la dernière, il y a une vie qui jaillit et qui cherche à trouver une forme à travers l’écriture. Le lecteur sait, bien entendu, qu’il s’agit de Marcel Proust et qu’il est devant les premières manifestations de son génie. Pour peu qu’il soit attentif au déroulement des récits (certes, parfois maladroits car insuffisamment travaillés, et pour cause), il ne pourra qu’apprécier le suspens des situations, le mystère caché derrière les personnages, la tristesse ou le plaisir transmis par l’anecdote racontée. La vibration vitale émanant des textes, leur transparence et leur ingénuité, les rendent charmants en dépit de leur inachèvement. Ou, peut-être, grâce à cet inachèvement. Qui n’est pas touché par les premiers dessins, esquisses ou tableaux encore peu habiles de Picasso adolescent ? Son génie est déjà là, phénomène d’autant plus palpable lorsqu’on connaît la suite de sa production picturale. Douter donc de l’intérêt esthétique de ses écrits de jeunesse serait une appréciation plus proche de la pusillanimité que d’une lecture réellement attentive, laquelle, d’ailleurs, doit être raisonnablement généreuse si l’on tient compte de l’âge de l’écrivain.

Le premier récit -Pauline S.-, histoire d’une dame atteinte d’un cancer inguérissable, contient une attendrissante méditation sur la mort, sujet sur lequel le très jeune Proust reviendra souvent. Dans le deuxième -Le Mystérieux Correspondant-, à l’intrigue à la fois savoureuse et délicate, il est question d’un amour incompris entre deux femmes, dont l’inassouvissement provoquera la mort par mélancolie de l’une et le sentiment tardif de culpabilité et de désespoir de l’autre.  Ce récit, parfaitement accompli, est suivi du fragment d’une digression, beaucoup plus « hard » (pour utiliser ici un mot de la pornographie internaute) et proche des phantasmes « gay » (« elle aimait les artilleurs dont il faut longtemps -ah ! si longtemps- pour déboucler le ceinturon »). Le troisième -Souvenir d’un capitaine- évoque indubitablement l’homosexualité masculine, même si l’anecdote de l’ancien officier aristocratique et de son éblouissement pour un modeste brigadier de garde, n’ira pas plus loin que le sentiment d’un désir éclair et frustré.  Dans le quatrième texte -Jacques Lefelde (l’étranger)- le lecteur découvre une narration brusquement interrompue et plutôt décevante, appesantie par des données invraisemblables. L’anecdote a lieu dans le Bois de Boulogne où le narrateur observe de loin un ami qui se promène seul au bord du lac, à l’attente hypothétique d’une personne qui ne se montre jamais. Le promeneur a l’allure d’un amoureux comme d’autres arpenteurs du lieu, hommes ou femmes à la recherche d’un plaisir furtif et rapide, mais, comme il l’avouera plus tard au narrateur, il n’est amoureux que de la beauté du lac. C’est peu crédible. La cinquième nouvelle -Aux enfers- est une plaisante élucubration philosophique truffée de quelques rappels de la Bible autour des qualités et des défauts de la femme. Sodome et Gomorrhe et l’homosexualité s’insinuent derrière ce texte amusant qui cependant pourrait éveiller le courroux des féministes d’aujourd’hui. Le titre du texte suivant -Après la 8ème symphonie de Beethoven- annonce une extase que, de prime abord, le lecteur peut-être n’éprouvera pas. Il n’y a pas d’anecdote à proprement parler, ni suspens ni récit dans le sens habituel du mot. S’agit-il d’une lettre adressée à l’être aimé, à un poète, ou d’une courte méditation schopenhauerienne sur la musique ?  Le génie de Proust le pousse à décrire, plus qu’un phénomène purement esthétique, reconnaissable par tout mélomane, le « corps subtil » connu par les maîtres ésotériques sous le nom de « corps astral ». Mais le jeune Proust n’a pas encore entièrement conscience de la portée de sa description. En revanche, La conscience de l’aimer déploie, en deux courtes pages, la certitude douloureuse d’un amour impossible, remplacé par les caresses exclusives, intimes et solitaires d’un chat-écureuil qui glisse entre la fantaisie et  les mains de l’amoureux dépité. Le don des fées, la huitième et la plus longue des nouvelles inachevées, rappelle gracieusement les contes de fées pour enfants, tout en jouant avec la figure du génie bienfaiteur des artistes qui nous rendent la vie moins morne, plus supportable, liste dont Proust s’exclut en toute modestie doutant de l’immense lumière que son propre génie allait répandre sur l’esprit de notre époque. Il s’enferme et se protège derrière un mur de métaphores sur les malheurs et les misères de l’amour humain et il écoute avec humilité les prophéties d’une fée sur sa destinée, où sa maladie physique deviendra une source d’illumination. C’est ainsi qu’il avait aimé conclut symboliquement le recueil, bref texte qui est une sorte de deo gratias de Proust pour avoir compris que -à l’instar des oiseaux chanteurs dont la destinée la plus haute est de chanter- son propre salut viendrait de sa vocation artistique, de son écriture.

Voici donc une lecture possible de ce recueil de textes abandonnés, trouvés dans le désordre, mais soigneusement et poétiquement ordonnés par son architecte-éditeur. Pourquoi Proust décida-t-il de les laisser de côté au moment de la rédaction finale de Les Plaisirs et les Jours ? Pour Luc Fraisse, une des raisons serait l’homosexualité ouvertement exhibée dans quelques situations vécues par les personnages. Proust, conscient de l’hypocrisie de l’époque sur le sujet, aurait préféré éviter que son premier livre fût l’objet de la malveillance de la critique et du public. Cette hypothèse très plausible est, d’ailleurs, étayée par un fait historique immédiatement contemporain de la rédaction des nouvelles : la condamnation en 1895 à deux ans de travaux forcés de l’un des plus grands écrivains de la fin du 19e siècle, Oscar Wilde, dénoncé par la bourgeoisie anglaise pour son homosexualité. Proust connaissait et admirait à sa façon Oscar Wilde et, sans doute, il eut peur de la dangereuse bêtise de la société de son temps. Il avait un peu plus de vingt ans et son choix de discrétion était, de toute évidence, judicieux. Cette discrétion devint moins nécessaire à la fin de sa vie et de son œuvre. Le Proust de Sodome et Gomorrhe, lauréat du prix Goncourt 1919 décerné au deuxième tome de la Recherche, À l’ombre des jeunes filles en fleurs, avait beaucoup moins à craindre de la société de la Belle Époque. Ajoutons que, comme tous les grands génies, il avait déjà l’intuition de sa mort prochaine, en 1922. Il n’avait plus rien à perdre, et la suite des événements lui donna raison, puisqu’il mourut avant la parution de Sodome et Gomorrhe. Au fond, peut-être ne voulut-il pas se trouver dans le monde du Faubourg Saint Germain obligé de s'excuser pour ses préférences sexuelles !

Fait curieux, d’éminents proustologues parisiens mettent en doute non seulement l'originalité et la pertinence des inédits, mais aussi le génie de Proust dans sa jeunesse. Il ne serait, affirment-ils, qu’un génie « tardif ». Ils se permettent même d’avancer, avec une précision d’horloger, l’âge du début de sa génialité : 42 ans. Cette précision superfétatoire est probablement le résultat d’un regard romanesque, conventionnel et obsolète, dans l’analyse de la Recherche et d’une approche freudienne trop facile et inopérante qui déforme la perception de la psychologie révolutionnaire du « moi » mise en œuvre par Proust. Ces insuffisances empêchent de comprendre, entre autres, les caractéristiques du génie. Kurt Schneider, psychiatre allemand postfreudien qui définit la « psychopathie » comme une « façon d’être » et non comme une maladie acquise, situe la personnalité du génie au premier rang dans son émouvante (et, certes, discutable) liste « Die psychopathischen Persönlichkeiten», liste qui inclut aussi, en queue du peloton, le criminel. La constellation de gènes qui accompagnent la naissance de tout être humain, qu’il le veuille ou pas, sont à la base du génie. Fernando Pessoa, poète incontestablement génial, assure dans son Faust, en dépit de son athéisme, que « le talent est un don de Dieu » et que pour cette raison il ne devrait jamais être source de jalousie de la part de celui qui n’en possède pas. Beethoven, l’auteur de la 8ème symphonie, était-il jaloux de Mozart et de sa 40ème symphonie? Et Mozart, était-il un génie uniquement à partir de Don Giovanni et non pas dans son enfance ?

 Passons.

Le méticuleux appareil scientifique et poétique (dans le sens défini par Roman Jakobson, qui savait déceler le "poétique" dans maints aspects de la création humaine) forgé par Luc Fraisse pour mettre en rapport les écrits du jeune Proust et ceux de sa maturité, permet d’apprécier dans sa véritable dimension le génie vivant et évolutif de l’écrivain. À la recherche du temps perdu, fleuve majestueux de la littérature universelle, ne peut pas être admiré dans sa véritable envergure si on le sépare de ses sources. Mais il y a encore un autre aspect poétique dans l’édition des nouvelles inédites de Proust : la forme même du livre rappelle celle de la Vita Nuova de Dante Alighieri, où le poète explique, parfois très longuement, ce qu’il voulut dire dans ses poèmes de jeunesse. « L’explication comme poésie, la poésie comme explication », disait aussi Lautréamont dans ses Poésies, toutes en prose, qui accompagnent les Chants de Maldoror.

Pour ne pas laisser inachevée à son tour cette note de lecture, il faut signaler que le livre publié par Dominique Goust et l’équipe des Éditions de Fallois (considérées comme une "petite maison" dans le très hautain milieu germanopratin de Paris) inclut un supplément de fac-similés de quelques manuscrits inédits. Dominique Goust, en faisant le pari d’appuyer Luc Fraisse dans son exploration des sources de l’œuvre proustienne, exploration admirable qui confirme que le temps retrouvé par Marcel Proust ouvre la voie à une vita nuova de la littérature, a obtenu un succès mondial. Le Mystérieux correspondant commence à être traduit dans de nombreuses langues. Peut-on espérer chez les proustologues du monde entier, y compris en France, la fin de la jalousie ? Proust, dont le sens de l'humour était vraiment génial, rirait aux éclats !


 

LA NUEVA VIDA DE PROUST

(A propósito de El Remitente Misterioso )

                                                                                                                    

Éditions de Fallois ha publicado, bajo la dirección de Luc Fraisse, una colección de cuentos inéditos de Marcel Proust, El Remitente Misterioso (Le Mystérieux Correspondant). Son nueve relatos escritos hacia 1896, año de la publicación del primer libro del escritor -Los placeres y los días (Le Plaisir et les Jours)- que reúne textos de los que probablemente formaron parte los inéditos, antes de ser descartados por el autor. Sólo uno de ellos, el que da título a la colección, fue terminado.

Luc Fraisse, especialista de la obra de Proust, percibió la calidad estética de estos fragmentos, conservados durante mucho tiempo en los archivos de Bernard de Fallois (fallecido en 2018), gran aficionado y coleccionista de manuscritos proustianos. Apoyado por Dominique Goust, director de Éditions de Fallois, tomó la decisión de analizarlos científicamente y ofrecer los resultados de su investigación al público más amplio posible, más allá de los círculos universitarios (Luc Fraisse es profesor de literatura en la Universidad de Estrasburgo). Estudió cada uno de los textos, buscando en particular vínculos detectables con los cuentos de Los Placeres y los días, pero también con Contra Sainte-Beuve (Contre Sainte-Beuve) y En búsqueda del tiempo perdido (A la Recherche du Temps Perdu), como lo señala en el ensayo que cierra el libro : Las fuentes de la Búsqueda del Tiempo Perdido (Aux Sources de la Recherche du Temps Perdu).

Lo que llama la atención en la lectura de los nueve textos propuestos, inacabados o no, es su viva calidad poética. Desde la primera línea hasta la última, hay una vida que brota y busca encontrar su forma a través de la escritura. El lector sabe, por supuesto, que se trata de Marcel Proust y que se encuentra ante las primeras manifestaciones de su genialidad. Si sigue con atención el desarrollo de las historias (cierto, a veces abruptas porque no fueron suficientemente trabajadas), no puede sino apreciar el suspenso de las situaciones, el misterio que se esconde detrás de los personajes, la tristeza o el   placer transmitidos por la historia contada. La vibración vital que emana de los relatos, su transparencia y su ingenio, los hacen encantadores a pesar de su incompletud. O, quizás, gracias a esta incompletud. ¿A quién no conmueven los primeros dibujos, bocetos o pinturas de Picasso adolescente, todavía poco hábil? Su genialidad ya está ahí, fenómeno por cierto aún más apreciable si se conoce el resto de su producción pictórica. Dudar del interés estético de los escritos juveniles de Proust sería una apreciación más cercana a la pusilanimidad que a una lectura realmente atenta, la cual, además, debe ser razonablemente generosa si se tiene en cuenta la edad de su autor.

El primer cuento -Pauline S.- es la historia de una mujer que padece un cáncer incurable. El relato conlleva una meditación sobre la muerte, tema al cual volvería a menudo Proust en los comienzos de su juventud. El segundo texto -El Remitente Misterioso- cuenta un amor incomprendido entre dos mujeres, cuya frustración provocará la muerte por melancolía de una de ellas y el tardío sentimiento de culpa y desesperación de la otra. A este texto, perfectamente logrado, le sigue un fragmento de una divagación mucho más "hard" (para usar aquí una palabra de la pornografía Internet) y cercana a las fantasías "gays" ("le gustaban los artilleros a los que les lleva un largo tiempo -¡ah tanto tiempo!- para desabrocharse el cinturón”). El tercer relato -Recuerdo de un capitán (Souvenir d’un Capitaine)- evoca también la homosexualidad, aunque la anécdota del ex oficial aristocrático y su deslumbramiento por un modesto cabo de guardia no irá más allá de la sensación de un deseo relámpago y frustrado. En el cuarto relato -Jacques Lefelde (el extranjero) (Jacques Lefelde (l’étranger)- el lector descubre una historia bruscamente interrumpida y decepcionante, cargada de datos inverosímiles. La anécdota se desarrolla en el Bois de Boulogne donde el narrador observa de lejos a un amigo que camina solitario por el lago, esperando a alguien que nunca aparece. El caminante parece un “habitué” del mítico lugar donde hombres y mujeres se pasean en busca de un placer furtivo y rápido, pero, como le confiesa al narrador, sólo está enamorado de la belleza del lago. Difícil de creer. El quinto cuento -En el infierno (Aux enfers)- es una divertida elucubración filosófica en torno a las cualidades y defectos de la mujer, salpicada de algunas referencias a la Biblia. Sodoma y Gomorra (Sodome et Gomorrhe) y la homosexualidad se insinúan detrás de este relato más bien jocoso que, sin embargo, podría despertar la ira de las feministas de hoy. El título del siguiente texto -Después de la octava sinfonía de Beethoven (Après l’huitième symphonie de Beethoven)- anuncia un éxtasis que, a primera vista, el lector puede no experimentar. No hay anécdota en sentido estricto, ni suspenso ni narración en el sentido habitual de la palabra. ¿Es una carta dirigida a un ser querido, a un poeta o una breve meditación a la Schopenhauer sobre la música? El genio de Proust lo empuja a describir, más que un fenómeno puramente estético, reconocible por cualquier melómano, el “cuerpo sutil” conocido por los maestros esotéricos con el nombre de “cuerpo astral”. Pero Proust, todavía muy joven, no es plenamente consciente del alcance de su descripción. En cambio La consciencia de amarlo (La conscience de l’aimer) despliega con claridad, en dos breves páginas, la dolorosa certeza de un amor imposible, reemplazada por las caricias íntimas y solitarias de un gato-ardilla que se desliza entre la fantasía y las manos del decepcionado amante. El regalo de las hadas (Le don des fées), el octavo y más largo de los cuentos inacabados, recuerda con gracia los cuentos de hadas, al tiempo que juega con la imagen del genio benefactor de los artistas que nos hacen la vida menos aburrida, más llevadera, una lista de la que Proust modestamente se excluye dudando de la inmensa luz que su propio genio iba a derramar sobre el espíritu de nuestro tiempo. El protagonista se encierra y se protege tras un muro de metáforas sobre las desgracias del amor humano y escucha con humildad las profecías de un hada sobre su propio destino, donde la enfermedad se convertirá en fuente de iluminación. Fue así que había amado (C’est ainsi qu’il avait aimé) concluye simbólicamente la colección, un breve relato que es una especie de deo gratias de Proust por haber comprendido que -al igual que los pájaros cantores, cuyo destino más hermoso es cantar- su propia salvación vendría de su vocación artística, de su escritura.

He aquí entonces una lectura posible de esta colección de textos abandonados, encontrados en desorden, antes de ser cuidadosa y poéticamente ordenados por su arquitecto-editor. ¿Por qué Proust decidió dejarlos de lado al escribir Los placeres y los días? Para Luc Fraisse una de las razones sería la homosexualidad abiertamente exhibida en algunas situaciones vividas por los personajes. Proust, consciente de la hipocresía de la época sobre el tema, hubiera preferido evitar que su primer libro fuera objeto de la malevolencia de la crítica y del público. Esta hipótesis está respaldada por un hecho histórico inmediatamente contemporáneo a la escritura de los cuentos: la condena en 1895 a dos años de trabajos forzados de uno de los más grandes escritores de finales del siglo XIX, Oscar Wilde, denunciado y martirizado por la burguesía inglesa a causa de su homosexualidad. Proust conoció y admiró a su manera a Oscar Wilde y, sin duda, temía la peligrosa estupidez de la sociedad de su tiempo. Tenía poco más de veinte años y su discreción fue obviamente sensata. Esta discreción se hizo menos necesaria al final de su vida y de su obra. El Proust de Sodoma y Gomorra, ganador del Premio Goncourt de 1919 otorgado a A l’ombre des jeunes filles en fleur ( A la sombra de las jóvenes en flor) segundo tomo de En busca del tiempo perdido, tenía mucho menos que temer de la sociedad de la Belle Époque. Añadamos que, como todos los grandes genios, presentía su muerte próxima. No tenía nada que perder. La secuencia de los hechos le dio la razón, pues murió en 1922, antes de la publicación de Sodoma y Gomorra : quizás no quería encontrarse en el mundo sofisticado y snob del Faubourg Saint Germain obligado a disculparse por sus preferencias sexuales.

Curiosamente, eminentes “proustólogos” parisinos cuestionan no sólo la originalidad y la actualidad de estos textos hasta ahora inéditos, sino también la genialidad del escritor en su juventud. Proust sería, según ellos, sólo un genio “tardío”. Incluso se permiten adelantar, con precisión de relojeros, la edad del comienzo de su genialidad: 42 años. Esta precisión risible es probablemente el resultado de un punto de vista novelesco, convencional y obsoleto, en el análisis de la Recherche y de un enfoque freudiano que distorsiona la percepción revolucionaria de la psicología del "yo" desplegada por Proust. Deficiencias que impiden comprender, entre otras cosas, las características del genio. Kurt Schneider, psiquiatra alemán post-freudiano que define la psicopatía como una "forma de ser" y no como una enfermedad adquirida, sitúa la personalidad del genio en lo más alto de su conmovedora (y, por cierto, cuestionable) lista de psicópatas -Die psychopathischen Persönlichkeiten- , lista que también incluye al criminal. La constelación de genes que acompaña el nacimiento de todo ser humano, se lo quiera o no, son la base del genio. Fernando Pessoa, poeta indiscutiblemente genial, asegura en su Fausto, a pesar de su ateísmo, que “el talento es un don de Dios” y que por eso nunca debería ser motivo de celos por parte de quien no lo posee. Beethoven, el autor de la octava sinfonía , ¿estaba celoso de Mozart y de su sinfonía Nº 40? Mozart, ¿fue un genio solo a partir Don Giovanni y no en su infancia?

Pasemos...

El minucioso aparato científico y poético (en el sentido definido por Roman Jakobson, que supo detectar "lo poético" en diversos aspectos de la creación humana) forjado por Luc Fraisse para relacionar los escritos del joven Proust con los de su madurez, permite apreciar en su verdadera dimensión el genio vivo y en evolución del escritor. En busca del tiempo perdido, majestuoso río de la literatura universal, no puede ser admirado en su verdadera dimensión si lo separamos de sus fuentes. Pero hay todavía otro aspecto poético en la edición de los cuentos inéditos de Proust : la forma de la colección recuerda la estructura de la Vita Nuova de Dante Alighieri, donde el poeta explica, a veces con mucha largueza, lo que quiso decir en su juventud. “La explicación como poesía, la poesía como explicación”, decía Lautréamont en sus Poesías, todas en prosa, que acompañan a los Cantos de Maldoror.

Para no dejar a su vez inconclusa esta nota de lectura, conviene señalar que el libro editado por Dominique Goust y el equipo de Éditions de Fallois (considerada una "petite maison" en el muy altivo “milieu germanopratin” de París) incluye un suplemento de facsímiles de algunos manuscritos y documentos (cartas, fotografías, dibujos). Dominique Goust, al apoyar a Luc Fraisse en su exploración de las fuentes de la obra de Proust, exploración admirable que confirma que el tiempo redescubierto por Marcel Proust abre el camino a una vita nuova de la literatura, ha alcanzado un éxito mundial. El Remitente Misterioso  comienza a ser traducido a muchos idiomas. ¿Podemos esperar de los “proustólogos” de todo el mundo, incluso de Francia, el fin de los celos ? Proust (autor del cuento epónimo, La fin de la jalousie), cuyo sentido del humor era verdaderamente genial, reiría a carcajadas.

 

 

 

 
 
 
 
 

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Mikhaïl Bakhtine, le grand théoricien russe du roman, n’eut pas la possibilité - pour des raisons conjoncturelles - d’analyser en profondeur l’œuvre de Marcel Proust. Dans cet article, rédigé pour le colloque « Bakhtine / Proust, regards croisés », organisé par Tatiana Victoroff et Luc Fraisse à l’Institut Gorki de Moscou (octobre 2019), il est question de ce manquement et de ses répercussions sur l’histoire de la littérature, notamment sur l’évolution des genres littéraires entre le roman polyphonique de Dostoïevski et l’intertexte, genre post-romanesque dont le développement implique la reconnaissance de À la recherche du temps perdu en tant que genre narratif intermédiaire, l’autofiction.

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CYCLE THÉORIQUE

 





   Un troisième (et dernier) cycle, essentiellement théorique et centré sur les aspects formels impliqués par l'Intertexte en tant que modalité narrative post-romanesque, a commencé à se structurer en 2003-2004.  Jusqu'alors, seules les questions formulées par les écrivains de la Nouvelle Fiction Française à propos de l'Intertexte, m'avaient fait sentir la nécessité d'y répondre par des concepts esthétiques. Je  croyais, un peu naïvement, que mes textes de fiction littéraire étaient suffisants. Ainsi, suite à un colloque international que j'avais organisé à Calaceite (Teruel, Espagne, 1998) pour les écrivains du groupe présidé par Frédérick Tristan, j'écrivis En marge d'André Pieyre de Mandiargues (Songe intertextuel autour de la Nouvelle Fiction) dans le but d'éclaircir le problème. Mais ce ne fut pas le cas. Même la publication à Paris du Portrait d'un Psychiatre Incinéré (Éditions de La Différence, 1999) et de La Guérison (id., 2000), textes repérés et commentés, assez élogieusement, par la critique parisienne, ne suffirent pas à lever les ambiguïtés à propos de l'Intertexte, d'autant plus que Joaquim Vital, le directeur de La Différence, me demanda de publier ces deux livres sous la rubrique "roman" et cela pour des raisons strictement commerciales. ("Si je publie tes livres sous la rubrique "intertexte", tu risques une mésaventure pareille à celle encourue par Breton à New York avec Les Champs Magnétiques, placé par les libraires dans la section "électricité". Tu pourrais trouver La Guérison dans le rayon "informatique", me dit-il.) Bien entendu, les critiques parisiens ont estimé que mes livres étaient des romans drolatiquement étranges mais, de toutes façons, des romans quand même.

 

   En 2004, invité à participer à la rencontre annuelle des Belles Latinas à Lyon, je programmai un "intertexte collectif" autour de la légende de Faust avec les élèves du prestigieux lycée Édouard Herriot. Gérard Wormser, docteur en philosophie et professeur à l'École Normale Supérieure de Lyon, fondateur de l'association Sens Public (revue électronique plurilingue et maison d'édition créées à Lyon en 2003), m'aida à guider les élèves dans l'écriture électronique de cet Intertexte collectif expérimental. Toutefois, ce ne fut que l'année suivante, dans le Manifeste pour une nouvelle littérature? présenté dans le stand de Sens Public au Salon du Livre (Paris 2005), parallèlement à l’édition SP de La Société des Hommes Célestes, qu'il a été question d'une formalisation conceptuelle de l'Intertexte en tant que genre post-romanesque.
 

  La Société des Hommes Célestes (Un Faust latino-américain) est un ouvrage tissé avec des centaines de citations de Faust classiques, publié sous la rubrique "Intertexte". La langue de base est le français, mais par le biais des citations des textes faustiens originaux, le texte s'ouvre constamment au plurilinguisme. Le livre fut édité sur papier et imprimé en Espagne sous la supervision de Chantal Waszilewska et d’Émilie Tardivel, alors secrétaire de Sens Public. La beauté de la couverture et la configuration du livre, conçues par le peintre péruvien Herman Braun-Vega, retinrent l’attention du Salon du Livre et il fut placé dans la salle réservée aux plus beaux ouvrages. Simultanément, grâce aux nouvelles technologies, le texte commença à émerger dans une "version électronique" où les citations devinrent "actives". Le lecteur n'est plus obligé d’aller les chercher en bas de page ou à la fin du livre, mais il peut accéder immédiatement, pendant sa lecture sur support numérique, aussi bien au texte original de la citation qu'à son hypertexte (ouvrage, langue et édition d'origine). La version électronique, à la charge de Chantal Waszilewska, n'a été complètement achevée que pour Le Château de Méphistophélès ou L'Examen de Faustologie, farce qui clôt l'œuvre. "Clore" n'est pas le verbe à utiliser dans le cas de La Société des Hommes Célestes car, en tant qu'Intertexte, le livre a pour vocation d'être toujours ouvert au lecteur-écrivain. Celui-ci peut, en s'appuyant sur les facilités offertes par le support numérique et par l'ajout de nouvelles citations faustiennes, participer à l’évolution d'une œuvre qui s'inscrit dans la longue tradition faustienne, initiée en 1583 par le Volksbuch von Doktor Johannes Faustus, première transcription littéraire de la légende du Docteur Faust, légende à la fois périodiquement enrichie et perpétuellement inachevée. La version en espagnol du livre -La Sociedad de los Hombres Celestes (Un Fausto Latinoamericano)- n’existe pour le moment que sur papier. Il ne s’agit pas d’une simple traduction du texte français, mais d'une "traduction intertextuelle", laquelle implique des modifications parfois très significatives du texte original. Toutefois, l’axe du livre, dans ses deux versions, est le même : une fresque de l’éducation occidentale au XXe siècle, depuis le kindergarten jusqu’au doctorat… en faustologie, bien sûr.

    En mars 2006, la présentation de La Société des Hommes Célestes eut lieu à la Maison de l'Amérique Latine à Paris, puis dans les salons de l'ambassade du Chili en France (mai 2006, Hernán Sandoval, ambassadeur; Raúl Fernández, responsable culturel), avec la participation de Hermán Braun-Vega, du journaliste de Radio France Internationale, Fernando Carvallo, de Gérard Wormser et de Sophie Rabau, professeure de littérature comparée qui m'avait préalablement invité à donner une conférence à la Sorbonne Nouvelle sur La Guérison et écrit un article sur le sujet, publié par l'Université Stendhal de Grenoble. Dans le public invité à l'ambassade se trouvaient aussi Julia Peslier, docteure en littérature, spécialiste de faustologie (Université Paris VIII, Vincennes Saint-Denis), et Alejandro Canseco-Jerez, professeur de littérature latino-américaine à l'université Paul Verlaine de Metz et à l'École des Hautes Études en Sciences Sociales de Paris. Deux mois plus tard le livre fut présenté en Espagne (château de Valderrobres,  Aragón, juillet 2006), conjointement à la rétrospective de Herman Braun-Vega, que je définis dans l'un de mes essais comme "maître de l’interpicturalité", terme -l'interpicturalité- dérivé de celui de l'intertextualité littéraire. En effet, ce que je tentais au niveau de la littérature, d'autres artistes le tentaient aussi dans leurs propres disciplines. Ainsi, Braun-Vega "cite" souvent dans ses tableaux les grands classiques de la peinture : Velázquez, Rembrandt, Rubens, Ingres, Goya, Gauguin, Cézanne, Picasso, etc. Des œuvres comme Double éclairage sur Occident avec des emprunts à Velázquez et à Picasso, La leçon à la campagne où Rembrandt est cité, ou bien le triptyque ¿La realidad es así?, conçu autour de Goya et Picasso, montrent que d'autres artistes d'avant-garde cherchent à renouer avec le courant central du classicisme et à sortir des formes stéréotypées et dévitalisées de l'art et de la littérature de notre époque.

 

 

 

 

 La melancolia de Don Pablo (Velázquez, Rembrandt, Ingres, Duncan) 2006, acrylique sur toile, 200 x200cm. Au fond, le château de Valderrobres, lieu de la rencontre avec Sens Public.

 

   Plusieurs membres de Sens Public et des spécialistes présents au château de Valderrobres donnèrent des conférences sur la signification de l'intertextualité (Ingeburg Lachaussée, germaniste, professeur en classes préparatoires, maître de conférences de philosophie politique à Sciences Po), de l'interpicturalité (Madeleine Vallette-Fondo, Maître de conférences à l'Université de Paris-Est, Marne-la-Vallée), et de l'intermusicalité (Margarita Celma, musicologue, Directora de la Coral Matarranya), De son côté, le cinéaste Yann Kilborne (maître de conférences à l’Université Bordeaux-Montaigne) prolongea ces réflexions vers le cinéma. De toute évidence, l'apparition de l'Intertexte comme nouvelle forme narrative post-romanesque n'est donc pas un phénomène isolé des autres pratiques artistiques mais, bien au contraire, elle fait partie d'un mouvement de renouveau de la culture contemporaine au sein duquel le multiculturalisme, le plurilinguisme et l’échange de principes esthétiques et de techniques est déterminant.

   Or, malgré toutes ces conférences et ces débats, je rencontrais toujours maintes difficultés pour résumer et expliquer conceptuellement ma démarche, surtout face aux éditeurs qui hésitaient à publier des textes non seulement dits "d'avant-garde", destinés en principe à un public restreint, mais qui posaient aussi de complexes et très coûteuses exigences techniques, pratiquement insurmontables pour l'édition conventionnelle. Dans le Manifeste j'avais attiré l'attention sur un fait décisif : "pas de nouvelle littérature, sans nouvelle édition". Le refus par les éditeurs conventionnels (y compris par Sens Public, encore à ses débuts comme maison d'édition) de publier Madre / Montaña / Jazmín à cause de ses dessins et de ses couleurs, venait confirmer cette situation. L'Intertexte semblait destiné à se perdre ou à rester comme une simple curiosité dans l'histoire de la littérature.

   Ce fut alors que je découvris Create Space, la structure de "self-edition" montée par Amazon aux États-Unis. Comme je le raconte dans mon article Révolution dans l'édition littéraire (Mediapart, septembre 2021), tout ce que j'avais imaginé à propos de l’évolution indispensable de l'édition traditionnelle pour aboutir à l'épanouissement d'une nouvelle littérature, avait déjà été mis en place par un groupe d'écrivains américains, dont les dénonciations concernant la pusillanimité et l'affairisme des éditeurs avaient été entendues par Amazon. J'éditai donc Madre/Montaña/Jazmín d'après mes propres exigences, décidant personnellement de chaque aspect formel de l'édition, poursuivant de la sorte le processus créatif de l’écriture. Puis, suivant le même procédé, je publiai, à partir de 2010, la totalité de mes manuscrits inédits, parmi lesquels L'Enlèvement de Sabine, ouvrage à la fois intertextuel et interpictural qui contient des reproductions "full color" des Annonciations de la ville de Florence, ouvrage refusé par les éditeurs sous le prétexte du coût très élevé de l'impression, coût en revanche parfaitement raisonnable à l'intérieur des paramètres de la "new fashion edition". Et je pus, enfin, développer, compléter et publier mes textes théoriques sur l'Intertexte (Bakhtine, le roman et l'intertexte, Dialogue Intertextuel avec Bakhtine, etc.), groupés dans le Manifeste pour une Nouvelle Littérature, dépourvu désormais du signe interrogatif qui avait caractérisé sa première mouture en 2005.

    Après la rencontre au château de Valderrobres, je poursuivis à Paris le processus de théorisation de l’intertexte. Encore une fois, alors que je croyais avoir atteint une clarté suffisante dans ma démarche, je me heurtai à une pénible réalité : le marché littéraire, solidement protégé contre toute tentative pour aller au-delà du roman, poutre maîtresse de l’industrie littéraire. Dans le monde de la littérature actuelle, éminemment romanesque, l’Intertexte comme nouvelle modalité narrative, impliquant de surcroît un changement du mécanisme d’édition, ne pouvait intéresser que les chercheurs en linguistique...et encore !

      J’avais déjà tenté de m’approcher des écrivains de l’avant-garde française « officielle » (Correspondance Unilatérale avec Sollers) pour partager mes réflexions, sans aucun succès. Certes, la critique du roman comme genre narratif était archivée depuis un moment et convenablement oubliée dans l’intérêt du négoce éditorial. Or, cela ne m’empêcha pas de récupérer l’opinion de Roland Barthes sur les avant-gardes en général, y compris le groupe Tel Quel, dont il faisait partie :

« Il y a sans doute des révoltes contre l’idéologie bourgeoise. C’est ce qu’on appelle en général l’avant-garde. Mais ces révoltes sont socialement limitées, elles restent récupérables. D’abord parce qu’elles proviennent d’un fragment même de la bourgeoisie, d’un groupe minoritaire d’artistes, d’intellectuels, sans autre public que la classe même qu’ils contestent, et qui restent tributaires de son argent pour s’exprimer. Et puis, ces révoltes s’inspirent toujours d’une distinction très forte entre le bourgeois éthique et le bourgeois politique : ce que l’avant-garde conteste, c’est le bourgeois en art, en morale, c’est, comme au plus beau temps du romantisme, l’épicier, le philistin ; mais de contestation politique, aucune. Ce que l’avant-garde ne tolère pas dans la bourgeoisie, c’est son langage, non son statut. Ce statut, ce n’est pas forcément qu’elle l’approuve ; mais elle le met entre parenthèses : quelle que soit la violence de la provocation, ce qu’elle assume finalement, c’est l’homme délaissé, ce n’est pas l’homme aliéné (...)»

   affirme-t-il, mettant en garde ses lecteurs dans Mythologies, conscient des limites de son activité avant-gardiste. Quelques années plus tard, il va nuancer sa position :

« C’est pourquoi je pourrais dire que ma propre position historique est d’être à l’arrière-garde de l’avant-garde : être d’avant-garde, c’est savoir ce qui est mort ; être d’arrière-garde, c’est l’aimer encore. J’aime le romanesque, mais je sais que le roman est mort. »

    La lucidité de Barthes me laissa stupéfait. Le plus grand théoricien contemporain de la littérature française, dont la lumière (parfois « oscillante ») éclairait la démarche sinueuse et souvent confuse de Tel Quel, signalait l’existence d’un mur pratiquement infranchissable pour tout écrivain d’avant-garde : les intérêts et les valeurs statutaires de la bourgeoisie, autrement dit, de la société capitaliste. Le roman, d’avant-garde ou pas, devait satisfaire ces intérêts pour continuer à exister. Et l’écrivain, s’il voulait être publié et gagner de l’argent, devait se proclamer « romancier » et faire l’éloge du roman.

      Dans un contexte pareil, quelles étaient les possibilités de survie ou de simple manifestation d’un nouveau genre narratif comme l’Intertexte, qui cherche à dépasser le roman ? À la rigueur, on peut élaborer les objets littéraires les plus sophistiqués dans l’intimité des laboratoires de linguistique, mais à condition de ne pas franchir les frontières fixées par la bourgeoisie. Sinon, la tentative avant-gardiste sera étouffée. C’est, d’ailleurs, ce qui advint au groupe Tel Quel après la mort de Roland Barthes, comme je le raconte dans « L’Énigme romanesque de Roland Barthes ». Par conséquent, toute velléité de voir l’Intertexte reconnu, accepté et promu dans le monde des lettres conventionnel, tributaire de l’imprimerie et du support papier, était à exclure. Cela ne servait à rien de me rappeler les exemples classiques de Schopenhauer, Cézanne, Pessoa, Kafka et encore d’autres créateurs et innovateurs, grands ou petits, qui sont morts inconnus ou méconnus. Pourtant, au moins d’un point de vue théorique, il y avait encore quelque chose à développer sans faire de concessions à l’establishment édito-littéraire : la réflexion sur la liberté de création, toujours prônée, mais rarement respectée dans l’univers romanesque, et sur la liberté d’édition, toutes deux essentielles pour l’Intertexte. Sur ce point, l’aide apportée par Marcello Vitali-Rosati, professeur de littérature et des recherches numériques à l’université de Montréal, dont Sens Public était devenu un partenaire grâce à sa revue électronique, fut pour moi fondamentale.

     J’avais choisi en 2004 de suivre la démarche de Gérard Wormser parce qu’elle s’écartait radicalement de la voie suivie par les médias ordinaires. Wormser avait saisi, depuis le début d’Internet, l’immense portée de la révolution cybernétique à une époque où d’éminents sorbonnards croyaient toujours qu’Internet et les ordinateurs ne seraient qu’une mode de plus, vouée à une disparition rapide pour le plus grand soulagement d’une génération de professeurs plutôt âgés, incapables d’apprendre le maniement des appareils électroniques. Ses efforts s’appuyaient sur cette nouvelle réalité technologique, plateforme bienvenue et indispensable pour l’Intertexte qui allait trouver dans l’éditorialisation, telle qu’elle est définie par Wormser et par Vitali-Rosati, le moyen pour dépasser le barrage opposé par la bourgeoisie (Barthes dixit) à la liberté de création et à la liberté d’édition :

     Qu’est-ce que l’éditorialisation ? me demandais-je dans un court essai Editorialisation et Littérature, publié en mars 2016. Deux réponses apparaissent, rappelant analogiquement Einstein et sa théorie de la relativité : celle, restreinte, de Marcello Vitali-Rosati, qui ne concerne principalement que le monde de l’édition ; l’autre, plus générale, de Gérard Wormser, qui englobe un ensemble beaucoup plus vaste de manifestations de l’univers du numérique. Commençons par cette dernière : « Nous nommons "éditorialisation" le processus d’explicitation dialogique qui permet aux groupes de structurer leurs échanges pour devenir acteurs des réseaux de connaissance », note Wormser dans son invitation au colloque Mondialisation et Éditorialisation (Salon Dionys’Hum, 2015). Allons maintenant vers la définition la plus restreinte, celle qui se limite au monde de l’édition : « On peut définir l’éditorialisation comme un ensemble d’appareils techniques (le réseau, les serveurs, les plateformes, les CMS, les algorithmes des moteurs de recherche), de structures (l’hypertexte, le multimédia, les métadonnées), de pratiques (l’annotation, les commentaires, les recommandations via les réseaux sociaux) qui permet de produire et d’organiser un contenu sur le web », propose Vitali-Rosati.

   Revenant sur le problème spécifique de l’édition « papier », il précise :

  « L’ouverture de l’éditorialisation par rapport à l’édition papier implique une certaine perte de contrôle de l’éditeur sur les contenus. On pourrait dire que l’éditeur ne représente plus qu’une partie de l’instance éditoriale qui est devenue beaucoup plus large. Cette ouverture est ce qui relie l’éditorialisation à une forme particulière de circulation du savoir et des contenus en général : une forme en réseau, disséminée et fragmentaire. L’éditorialisation produit une sorte d’intelligence en réseau – ou un réseau d’intelligences. Le concept d’éditorialisation renvoie donc à une dimension collective du savoir. »

          Et à une dimension collective de la littérature, pourrait-on ajouter.

       Éditorialisation et Littérature résume, à peu près, ma tentative avant-gardiste la plus osée dans la mesure où je mets en question non seulement le roman, mais tout l’appareil commercial monté par les éditeurs d’aujourd’hui, y compris les plus prestigieux. Les effleurer était déjà risqué, mais les dénoncer en tant que responsables de la décadence de la littérature contemporaine, transformée par leur truchement dans une sorte de divertissement banal, était vraiment téméraire. Beaucoup d’écrivains qui ont voulu s’affranchir des règles, pour ne pas dire des « interdictions », explicites ou tacites, imposées par les éditeurs, ont payé très cher cette insolence. D’abord, en se voyant freinés ou exclus des maisons où ils étaient publiés, puis trouvant portes fermées chez n’importe quel autre éditeur. Ils étaient « blacklistés », c’est à-dire, répertoriés comme infréquentables et dangereux pour il negozio littéraire, négoce dans lequel ce n’est pas l’écrivain qui décide, mais l’éditeur, acteur principal et souvent unique d’un processus qui n’a rien de « collectif » en dépit de ses apparences. Lecteurs de manuscrits, agents littéraires, comités de lecture, imprimeurs, publicistes, critiques, journalistes, attachés de presse, présentateurs-Tv, speakers-radios, libraires, etc., conglomérat impressionnant de professionnels du monde des lettres, ne font que masquer le centre de gravité d’un système centré non sur l’écrivain, mais sur l’éditeur, « individu » qui engage son argent en lançant sur le marché un produit souvent façonné selon ses paramètres esthétiques personnels ou, plutôt, selon ses désirs et ses caprices. Je décris cette situation dans Révolution dans l’édition littéraire, empli d’anecdotes tantôt drôles, tantôt tragiques sur cette mainmise des éditeurs sur les écrivains.Mais cette révolution dans l’édition littéraire ne concerne que la publication sur papier, toujours essentiellement tributaire de l’imprimerie et laisse en marge le processus de création lui-même, aujourd’hui tributaire du numérique.

 

         L’éditorialisation met fin à tout ça. À condition qu’elle soit mise en pratique, bien entendu. Ce qui n’est pas du tout évident. En effet, l’écrivain d’aujourd’hui, surtout le romancier, même le plus malmené et méprisé par l’establishment littéraire ou, au contraire, le plus glorifié et enrichi par les éditeurs, a une attitude essentiellement passive face à tous ces phénomènes. Au fond, il veut un éditeur qui s’occupe efficacement (« paternellement », pourrait-on dire) de son œuvre. Pour lui, l’œuvre est finie au moment de rendre son manuscrit. Sa publication ne le concerne pas et il est très soulagé que cela soit ainsi. Cette pusillanimité, sciemment entretenue par l’éditeur, est le hiatus dont il profite pour faire ce qu’il veut avec l’œuvre en question. Par contre, dans l’éditorialisation (comme c’est la cas pour l’auto-édition en papier), l’écrevain doit avoir une attitude résolument active. C’est lui, avec son effort créateur qui décide de tout ce qui concerne son travail d’écriture, dans la mesure où il ouvre celui-ci à un « réseau d’intelligences » fondé sur la solidarité et l’honnêteté intellectuelles, réseau appelé à participer collectivement à la création de l’œuvre.

        En 2012 j’avais déjà abordé le problème du lecteur passif /lecteur actif (le lecteur passif étant, principalement, le lecteur de romans) dans un essai, Bakhtine, le roman et l’Intertexte, où j’explorais la richissime pensée du savant russe sur le roman. Ébloui par son érudition et par le style de son écriture, qui me rappelait Hegel et sa Phénoménologie, je pris très au sérieux tout le bien qu’il disait sur le roman proclamé « forme suprême et définitive de la littérature ». Démonter ses arguments n’était pas chose facile. Et pourtant il fallait le faire. La faille essentielle, le proton pseudos de sa théorie du roman, nettement décelable au début de sa logique, nonobstant très rigoureuse, est l’amalgame qu’il fait entre le roman et la littérature narrative, amalgame réfutable dans la mesure où le roman n’est qu’un genre littéraire séculaire et la littérature narrative une pratique millénaire. Et sa faiblesse principale, est celle de ne pas analyser sémiologiquement le rapport entre la lecture et l’écriture, entre le lecteur et l’écrivain, analyse qui ne serait entreprise que des années plus tard en France par Roland Barthes. Pour Bakhtine, entre le romancier et le lecteur il ne peut y avoir d’autre relation que celle de la lecture. Le roman est une structure fermée, à laquelle le lecteur n’a d’accès qu’en le lisant. Dans l’Intertexte, la relation écrivain-actif / lecteur-passif, se trouve donc profondément modifiée et permet l’apparition du lecteur-écrivain. L’Intertexte se développe alors comme un jeu de systèmes de références textuelles très mobiles, d’où le lecteur n’est pas exclu. Bien au contraire, le lecteur cesse d'être réduit à la catégorie de consommateur passif d’un texte et il est appelé à entrer dans celui-ci pour y participer. L’invention de l’écriture électronique rend possible cette éventualité, à l'apparence utopique, et les nouvelles technologies vont, de toute évidence, faciliter un phénomène qui deviendra de plus en plus courant.

       L’analyse de la pensée de Bakhtine, que j’ai sciemment pris à rebours dans mon Dialogue intertextuel avec Bakhtine, me permit de résoudre maints doutes à propos de l’Intertexte et surtout, de confirmer sa nécessité pour aller au-delà du roman. Le concept « lecteur-écrivain », où la passivité du lecteur imposée par la forme romanesque est dépassée, concept étayé par le « réseau d’intelligences » dont parlent Wormser et Vitali-Rosati, change radicalement le centre de gravité de la création littéraire.

Je reviens sur la définition de l'éditorialisation selon Marcello  Vitali-Rosati : 
       

  « On peut définir l’éditorialisation comme un ensemble d’appareils techniques (le réseau, les serveurs, les plateformes, les CMS, les algorithmes des moteurs de recherche), de structures (l’hypertexte, le multimédia, les métadonnées), de pratiques (l’annotation, les commentaires, les recommandations via les réseaux sociaux) qui permet de produire et d’organiser un contenu sur le web. »

   Ce contenu, s’agissant de littérature, c’est précisément l’Intertexte, qui trouve dans l’univers numérique, spécifiquement dans le web, le milieu idéal pour son épanouissement. Les éditeurs conventionnels peuvent utiliser aussi les outils cybernétiques, lesquels facilitent maintes tâches de l‘édition « papier » (y compris l’impression des livres par commande), mais cela ne modifie pas le fait essentiel : c’est l’éditeur et non pas l’écrivain le centre de gravité de la littérature, déséquilibre consolidé par le mécanisme de diffusion, solidement maîtrisé par les éditeurs. Dans un autre de mes essais Mme Filipetti, Ministre de la Culture et Romancière, je m’étonnais de cette conception tordue de la littérature en tant que produit -en premier chef- de l’éditeur, l’écrivain n’étant que l’ouvrier qui apporte la marchandise à exploiter. Sans éditeur, pas de littérature ! disait en substance la Ministre de la Culture et Romancière, ignorant le Roland Barthes de Mythologies, où le sémiologue dénonçait la déviation mercantile de la littérature.

        Dans sa Théorie du texte Roland Barthes affirme que le vrai lecteur est celui qui veut écrire :

  « Sans doute, il y a des lectures qui ne sont que des simples consommations : celles précisément tout au long desquelles la signifiance est censurée ; la pleine lecture, au contraire, est celle où le lecteur n'est rien de moins que celui qui veut écrire (...) » 

     C’est le cas de Marcel Proust. Le jeune Proust rêvait d’écrire et il désespérait de ne pas être capable de le faire, croyant qu’il manquait de talent. Mais son désir d’écrire était si intense, qu’il appelait cela « sa vocation », sans laquelle sa vie n’avait pas de sens. Ses lectures de jeunesse, surtout la lecture de l’œuvre d’Anatole France, dont la prose élégante et transparente l’avait subjugué, mais aussi les articles de Sainte-Beuve, le critique littéraire le plus important de son époque, cristallisèrent chez lui « le lecteur-écrivain ». Or, lisant la théorie du roman de Bakhtine, je m’étonnais du fait qu’il ne prenne compte ni de Proust ni de son œuvre maîtresse, À la Recherche du temps perdu, œuvre fondamentale pour comprendre l’évolution de la littérature narrative. Même escamotage en ce qui concerne Ulysses et Finnegans Wake, de James Joyce. Cependant, il connaissait les deux auteurs, célèbres depuis les années 20 (Bakhtine est décédé en 1975). C’était assez incompréhensible de la part d’un érudit comme lui. Le « rideau de fer » culturel entre l’Union Soviétique et le reste de l’Europe ne suffisait pas à expliquer cette négligence, comme je le signale dans mon premier essai sur le savant russe. Je ne résolus le mystère qu’en écrivant un nouvel essai - Bakhtine, Proust et la polyphonie romanesque chez Dostoievski-, texte que je présentai personnellement à l’Institut Gorki de Moscou, où je me suis rendu pour participer à une rencontre littéraire organisée par Tatiana Victoroff et Luc Fraisse, professeur de littérature à l’Université de Strasbourg. Le colloque intitulé « Proust / Bakhtine, regards croisés » se prêtait particulièrement bien pour éclairer le problème. Comment concilier la pensée du savant russe et la création de l’écrivain français ? Et comment comprendre la position de Proust face au roman, genre qui échappait à son désir d’écriture absolue ?                      

 


"L'Oeuvre de F.Rabelais et la culture populaire au Moyen-Âge et sous la Renaissance"
M. Bakhtine, 1940


 
                      

Par l’analyse des romans polyphoniques de Dostoïevski, Bakhtine ouvre une piste pour expliquer son indifférence face à la Recherche. Pour lui, non seulement le roman est la forme suprême de la littérature, mais le roman polyphonique correspond à l’accomplissement capital du romancier russe, valable pour toute la littérature à venir. Vu sous cet angle, la Recherche n’est qu’un roman monophonique de plus. La relecture de 4000 pages de la Recherche pour préparer mon intervention à l’Institut Gorki de Moscou me permit de constater que la théorie du roman de Bakhtine ne peut effectivement pas s’appliquer à la Recherche... simplement parce que À la recherche du temps perdu n’est pas un roman ! Proust lui-même, au début de l’écriture de son œuvre, lorsque de lecteur passif il devint écrivain actif, ne savait pas s’il était en train d’écrire un roman...ou « autre chose » Cette « autre chose » est une « autofiction », genre intermédiaire (pour suivre ici la terminologie bakhtinienne) entre le roman et l’Intertexte, genre qui, d’ailleurs, ne peut être assimilé dans aucun cas à ce qu’on appelle « l’antiroman ».

       En 2017, je m’étais rendu à Santiago pour répondre à une invitation de David Wallace, professeur de littérature à l’Université du Chili, où j’eus l’occasion d’examiner avec ses étudiants les données de la naissance de l’Intertexte. Pendant les « Conversaciones sobre la (anti) novela » (titre de la rencontre universitaire), je pus une fois de plus constater les malentendus, aussi inévitables que nombreux, qui entourent l’Intertexte. Mes deux premiers livres, El Bautismo et El Sueño, publiés en Espagne par Montesinos Editor (Barcelona, 1983-1985) sous le pseudonyme de Juan Almendro ne sont pas, à proprement parler, des romans, mais des antiromans. Je suivais un peu la mode anti-romanesque dont Rayuela, ouvrage de l’écrivain argentin, Julio Cortázar, et les antiromans de l’écrivain chilien, Juan-Agustín Palazuelos, étaient pour moi des indices prémonitoires de la fin de l’époque romanesque. Je fus surpris de découvrir que ces antiromans, en particulier El Bautismo, étaient suivis à l’Université du Chili depuis trente ans… sans que je le sache. En effet, exilé d’abord aux États-Unis, puis en Europe et empêché de rentrer au Chili à cause du pinochétisme, j’avais coupé pratiquement tous mes liens avec mon pays. Mais David Wallace avait lu El Bautismo et il l’avait incorporé aux lectures proposées à ses étudiants. Seulement, mon travail y était étudié sous l’angle de l’antiroman. L’Intertexte n’existait pas pour les étudiants et, pendant nos échanges, ils firent le rapprochement plutôt entre l’Intertexte et le plagiat. Je raconte ces vicissitudes dans Entretien avec David Wallace, entretien réalisé lors de notre première rencontre à Santiago, en 2015, puis dans un nouvel essai, Plagiat et Intertextualité, rédigé après les « Conversaciones sobre la anti-novela » à la Faculté de Philosophie et Lettres de l’Université du Chili.

    La Recherche n’est donc pas un antiroman… et elle n’est pas non plus un roman, en dépit de tous les efforts de l’establishment édito-littéraire pour qu’il en soit ainsi. Le prestige du prix Goncourt et les affaires du clan Gallimard dépendent d’une appellation qui « fait vendre ». Proust, lecteur-écrivain qui avait présenté timidement son manuscrit à Monsieur Grasset pour lui demander de le publier à compte d’auteur (il paya environ 10.000 euros d’aujourd’hui, amputant son texte de quelques centaines de pages « inutiles » d’après l’éditeur), ne s’intéressait pas beaucoup à la Rhétorique. Il écrivait suivant son propre génie. Et ce génie l’amenait hors des limites du roman traditionnel, le roman de personnages, celui-là même que Dostoïevski avait fait évoluer jusqu’à son apogée grâce à la polyphonie romanesque. La Recherche, j’insiste, n’est pas un roman, ni un antiroman, ni un Intertexte, mais une autofiction, genre intermédiaire entre le roman et l’Intertexte. C’est à peu près ce que je « démontre » (Proust disait que son œuvre était une « démonstration ») dans mon essai présenté à l’Institut Gorki en novembre 2019.

   La définition de la Recherche comme « autofiction », genre « intermédiaire », est très importante. Il est impossible de quitter la forme « roman » d’une façon abrupte. Plusieurs siècles d’habitudes romanesques ont engendré une puissante inertie, très difficile à vaincre. L’Intertexte ne surgit pas brusquement, il provient de plusieurs tentatives préalables : le Satyricon de Petronius peut être considéré comme un premier précurseur, presque vingt siècles avant Tristram Shandy de Laurence Sterne et de l’Ulysses de James Joyce. Or, la Recherche est aussi un texte précurseur d’une nouvelle forme où le lecteur cesse d’être un agent passif et peut devenir, comme Marcel Proust lui-même, un écrivain actif. Tout dépend de son désir d’écriture, car il n’est pas tributaire d’un éditeur pour savoir si ce qu’il écrit est « bon ou mauvais », « rentable ou pas rentable » mais, grâce à l’éditorialisation, il peut écrire (lire-écrire) selon les dictées de sa propre conscience et partager sa création dans un « réseau d’intelligences » réceptif, éloigné de considérations mercantiles.

      Si la définition de l’éditorialisation de Vitali-Rosati fut déterminante pour me permettre d’esquisser une théorie de l‘Intertexte, sa thèse de doctorat à l’Université de Pise, Riflessione e Trascendenza, m’apporta aussi une grande aide pour observer l’Intertexte d’un point de vue strictement logique. En effet, la logique qui régit la structure du roman est la logique aristotélicienne, la logique formelle, la même que Newton applique dans sa théorie de la gravitation. Le roman est newtonien. (Je parle de l’architecture du roman et non pas de son contenu, évidemment.) Or, la logique de l’Intertexte suppose une logique différente, puisque son approche du temps et de l’espace en tant que espace-temps, est « einsteinien ». Et c’est la logique de la transcendance, telle que la conçoit Vitali-Rosati dans son analyse de l’Éthique de Lévinas (« Les idées lévinassiennes ne respectent pas les principes de la logique formelle, elles semblent plutôt se fonder sur une logique "autre"), la logique qui permet aussi de mieux comprendre la structure de l’Intertexte, où le temps et l’espace sont bouleversés par le jeu intertextuel et par la relation lecteur-écrivain.

        « La logique formelle est fondée sur une conception du Temps comme étant continu. Il est possible de parler logiquement à tout moment du futur si le Temps est quelque chose d’homogène. L’acceptation d’une discontinuité du Temps conduirait à une série de paradoxes que la logique formelle ne peut pas admettre (...) La validité du principe de causalité est impensable pour celui qui pense à la possibilité des sauts du Temps, d’un morcellement qui casse la relation entre présent, passé et avenir », précise Vitali-Rosati.

      Ces « sauts du Temps » constituent un phénomène typique de l’Intertexte : La Société des Hommes Célestes (un Faust latino-américain) reflète, sans peur des « contradictions » chronologiques ou autres, dans un même texte, le Faust de Marlowe (1592), celui de Goethe (1808-1832), de Thomas Mann (1947), de Valéry (1946), etc.

       Parlant de « contradictions », Vitali-Rosati rappelle la pensée du psychanalyste et logicien chilien, Ignacio Matte Blanco, auteur du livre The Unconscious As Infinite Sets (Londres 1980), où il examine magistralement la logique de l’Inconscient :

« Nous suivons une suggestion de Matte Blanco qui nous a inspiré les idées que nous allons proposer. Dans le même texte auquel nous faisions référence en parlant de la logique symétrique qui serait à la base du fonctionnement de l’Inconscient, Matte Blanco s’aperçoit d’un besoin analogue à celui que nous avons signalé : la nécessité de concilier le principe de non-contradiction avec la possibilité réelle de la contradiction ».

Cette conciliation est possible en littérature grâce l’Intertexte. En outre, définissant dans sa thèse Riflessione e Trascendenza le « plan de réflexion », Vitali-Rosati signale :

« Un plan de réflexion est un système à deux dimensions dans lequel à chaque point (x, y) est associée une proposition, c’est-à-dire une icône ».

Précisément, La Farce Pornotragique ou l’examen de faustologie, texte proposé à la fin de La Société des Hommes Célestes, illustre concrètement le système à deux dimensions de l’intertextualité : chaque citation du texte principal de la SHC est associée à une proposition d’un Faust classique.

    « La logique formelle ne suffit pas pour expliquer la rencontre avec l’altérité », insiste Vitali-Rosati. Mais qu’est-ce que l’Altérité ? «L’altérité est tout ce qui reste indépendant de n’importe quel rapport : à partir de maintenant le mot "Autre" doit être compris comme synonyme de transcendance. L’Autre n’est pas seulement l’autre homme (...) Même un objet est "Autre" dans la mesure où il est différent du sujet qui cherche un rapport (...) Le sujet s’ouvre dans le sentiment d’être la condition de la possibilité de l’expression de l’Autre : sans moi (autoréférence) la voix reste inaudible (…) Que l’altérité s’exprime "pour moi" ne signifie pas que je la possède mais que je suis le "moyen" d’expression de l’altérité »

      Voici donc une nouvelle analogie possible avec l’Intertexte, forme narrative tissée avec un ensemble de citations qui trouvent leur origine dans l’expression de l’auteur cité. Expression manifestée à travers un « pour soi » autoréférentiel : l’écrivain intertextuel n’occulte pas l’écrivain cité, comme cela advient dans le plagiat, lequel détruit toute altérité. Cet « aplatissement » (appiattimento) advient habituellement dans le roman, que nous pourrions peut-être considérer, suivant la logique de la réflexion et de la transcendance, comme une forme réflexive « inauthentique », où l’altérité n’est jamais trouvée. L’écrivain et le lecteur sont irrémédiablement séparés. En revanche, dans l’Intertexte, ouvert au lecteur-écrivain, l’altérité peut se consolider esthétiquement, scripturalement. « En ce sens, l’homme est, principalement, écriture, concrétisation du langage. », soutient Vitali-Rosati. 

     Ceci ouvre les portes à une véritable révolution dans la communication humaine en général, et dans la littérature en particulier : l’homme-communicant, notamment dans l’univers du numérique, répétons-le, cesse d’être un simple lecteur comme dans le roman, il peut devenir « lecteur-écrivain », comme dans l’Intertexte.

      Au début de l'année 2019, Sens Public publia un entretien du dramaturge, metteur en scène et réalisateur de cinéma, Peter Brook - Presence and Creation- réalisé en 2016 dans le cadre de la Academy of Arts of New York par le peintre et architecte chilien, Pedro Pérez-Guillón. L’entretien, publié simultanément en anglais, français et espagnol grâce à l’effort de Servanne Monjour et de son équipe SP à Montréal, se développe essentiellement autour du théâtre et des arts plastiques. La littérature n'y est abordée que tangentiellement. Ayant été moi-même élève de Peter Brook pendant sept ans (1979 -1986) à l'Institut Gurdjieff de Paris (sous la direction de Madame Jeanne de Salzmann et du docteur Michel de Salzmann), il me semble utile et nécessaire de regarder mon travail théorique à la lumière de la pensée de celui qui est considéré comme l'un des hommes de théâtre parmi les plus importants de notre époque, mais qui restera aussi dans la mémoire de notre temps comme un guide spirituel.

     La difficulté est considérable, d’autant plus que le mécanisme de création dans la littérature narrative -le roman en particulier- est plutôt réfractaire à une approche "spirituelle", contrairement à la poésie. Peut-être pourrions-nous considérer À la Recherche du Temps Perdu comme une exception. Le Livro do Desassossego du poète portugais Fernando Pessoa, pourrait aussi être lu comme une œuvre de fiction narrative où la spiritualité est intensément perceptible par le lecteur attentif. Cet ouvrage, transcendantal dans la littérature occidentale, est comparable par sa profondeur aux écrits du poète et maître spirituel indien, Krishnamurti. Coïncidence rhétorique étonnante, tous deux ont constamment recours à l’oxymoron comme figure de style, mais ils s’opposent formellement et fondamentalement dans la mesure où Krishnamurti propose un chemin d’apaisement et de douceur pour atteindre en soi la présence de l’être, tandis que Pessoa reste dans la constatation de l’absence de cette présence chez l’homme ordinaire et se limite à poétiser son désespoir. Même ainsi, son œuvre constitue l’un des rares exemples de haute spiritualité dans la littérature du XXe siècle.

       La création et la présence dans le sens où Peter Brook en parle dans cet entretien, semblent étrangères à la narration, surtout lorsqu’il s’agit de longs récits romanesques. Y a-t-il quelque chose d’authentiquement spirituel dans Les Frères Karamazov ? Peut-on parler de "spiritualité" quand Dostoïevski introduit le personnage d’Aliocha, le jeune novice serviteur et dévot de son starets moribond, ou lorsque le romancier fait parler Le grand Inquisiteur pour accuser le Christ de ne pas tenir ses promesses ? Il ne faut pas confondre spiritualité et "bondieuserie". La conscience de soi des personnages dostoïevskiens et leurs dialogues autour du christianisme orthodoxe ne sont pas plus "spirituels", malgré leur prétendue liberté polyphonique, que les réflexions monophoniques, densément psychologiques et matérialistes, des romans philosophiques de Jean-Paul Sartre ou d'Albert Camus.

       L’Intertexte cherche à s'approcher au plus près de la conscience de soi de l’écrivain et de celle du lecteur. La spiritualité se joue sur ce niveau-là, celui de la conscience. En introduisant l’intertextualité comme mécanisme central de la narration, je cherche à créer un jeu de références qui me permet -en tant qu’écrivain- de prendre en compte consciemment l’écriture d’autrui et de laisser ouverte une nouvelle proposition textuelle au lecteur qui, à son tour, peut l’utiliser comme un nouveau système de références et ainsi de suite.

   « Ce qui est terrible dans les universités et les écoles d’art, c’est qu’elles commencent toujours par la forme », se plaint Peter Brook. Ce que nous cherchons (toujours avec l’aide de la forme), c’est trouver ce qui peut illuminer la forme. Et c’est ce qui peut illuminer la forme qui est vraiment valable. Si nous sommes attentifs à la vie, nous pouvons sentir que la vie est en mouvement permanent et, par conséquent, ses formes changent aussi tout le temps. Les grands artistes de toutes les époques sont conscients que la vie et ses formes changent constamment. Et c’est pour cette raison que pour un compositeur de notre temps écrire de la musique à la façon de Stravinsky ou de Bach, n’a aucun sens. Ces formes-là étaient très justes à leur époque. Plus tard, on les reconnaît, on les enregistre et on les inclut dans ce qu’on appelle "Histoire de l’art". Plus tard, il arrivera un moment où l’artiste sentira le besoin d’un changement et, comme Picasso, il dira : "Non, nous ne pouvons pas continuer à faire les choses de la même façon qu’il y a 50 ans, nous ne pouvons pas continuer à faire des peintures naturalistes parfaites, il y a quelque chose de nouveau qui doit être révélé et il faut essayer de chercher quelle est la forme adéquate pour cela".

   Peter Brook reconnaît la nécessité d’innover, de trouver des formes nouvelles pour exprimer ce qu’il y a de nouveau dans l’évolution de la vie humaine. Pour moi la "forme roman" est dépassée, périmée, elle ne correspond plus aux besoins de l’individu ni à ceux de la société. L’invraisemblable banalité des romans encensés par la critique des journaux est consternante. La cascade des prix littéraires déversés sur la production romanesque mondiale dissimule la basse qualité des ouvrages proposés néanmoins comme des "chefs d’œuvre de la littérature universelle", tous façonnés à peu près sur la même forme. Il faut trouver une issue pour échapper à cette médiocrité formelle qui ronge de l'intérieur la littérature la transformant dans un simple objet de consommation, en pitoyable "parole putanisée", comme dit Gurdjieff dans le prologue de Rencontre avec des hommes remarquables, livre devenu un film réalisé par Peter Brook en 1978-1979. Et je vois dans l’Intertexte l'un des moyens de mettre fin à cette dérive et de redonner à la littérature une nouvelle vitalité.

      Je mets fin à cet historique en faisant référence à mon dernier livre Théorie de l’Intertexte, ouvrage où je réunis l’ensemble de mes réflexions sur l’Intertexte, en y incorporant un dernier essai, Exercices de théorie littéraire et théorie de l’Intertexte. Dans cet essai, je prends à rebours, comme je l’avais fait en 2012 avec la pensée de Bakhtine, les idées de Sophie Rabau sur la théorie littéraire. En substance, pour Sophie Rabau (maîtresse de travaux à la Sorbonne Nouvelle, experte en Rhétorique, devenue romancière et qui nie, par conséquent, la réalité de l’Intertexte), la théorie littéraire ne sert pas à grande chose : « Peut-être donc peut-on aussi répondre à cette question (l’utilité et la pertinence de la théorie littéraire) en disant que théoriser sert à théoriser, la théorisation a pour but premier la production théorique. ». Autrement dit, tisser de l’air avec de l’air ?

  
En vérité, la théorie de la littérature, tout en étant parfois en apparence très abstraite, cesse de l’être dans la mesure où elle s’applique aux exemples concrets de l’histoire de la littérature. L’Intertexte, étant donné sa construction, comporte, dans une certaine mesure, sa propre théorie, théorie qui sera peut-être différente d’Intertexte en Intertexte. Il n’y a pas une théorie de l’Intertexte, il y a autant de théories que d’Intertextes. C’est aussi l’une des différences essentielles avec le roman, généralement explicable par des théories globales extérieures à sa textualité, théories qui analysent les romans les plus divers utilisant toujours les mêmes paramètres. Or les théories romanesques sont, en principe, extérieures aux romans eux-mêmes. Le romancier s’occupe de narrer, non de théoriser. En revanche, l’écrivain intertextuel en tant que lecteur-écrivain est appelé à théoriser sur son propre texte : il incorpore la théorie littéraire presque comme un élément narratif de plus. Ce faisant, il réalise une véritable « autocritique » de son travail. Le lecteur-écrivain se place dans une perspective d’auto-conscience. Il est, par définition, plus conscient que le romancier ordinaire, lequel se perd souvent dans les fictions désastreuses de son développement textuel. La « nouvelle littérature », sciemment intertextuelle, appuyée sur une « nouvelle édition », l’éditorialisation, redeviendra un moyen précieux du développement de l’intelligence et de la conscience, comme elle l’a été aux moments les plus lumineux de l’histoire de l’Humanité.


 

 

              Un tercer (y último) ciclo, esencialmente teórico y centrado sobre los aspectos formales del Intertexto en cuanto modalidad narrativa post-novelesca, comenzó a estructurarse en 2003-2004. Hasta entonces sólo las interrogaciones formuladas por los escritores de la Nouvelle Fiction Française a propósito del Intertexto, me habían hecho sentir la necesidad de responder mediante conceptos estéticos. Erróneamente había creído que mis textos de ficción literaria eran suficientes. Así, como consecuencia de un coloquio internacional que organicé en 1998 en Calaceite (Teruel, España) para el grupo de escritores presidido por Frédérick Tristan, escribí En marge d’André Pieyre de Mandiargues (Songe intertextuel autour de la Nouvelle Fiction) con el fin de aclarar el problema. No fue el caso. Incluso la publicación en París del Portrait d’un Psychiatre Incinéré (Éditions de la Différence, 1999) y de La Guérison (id., 2001), textos comentados más o menos elogiosamente por la crítica parisina, no bastaron para suprimir las ambigüedades en torno al Intertexto, tanto más cuanto Joaquim Vital, el director de La Différence, me pidió publicar esos dos libros bajo la rúbrica ‘ novela ’ por razones comerciales. (« Si publico tus libros bajo la rúbrica ‘intertexto’, te puede pasar lo mismo que le ocurrió a Breton con Les Champs Magnétiques en Nueva York, donde los libreros pusieron el libro en la sección ‘electricidad’. Aquí en París tú podrías descubrir La Guérison en la sección ‘informática’). Por su parte, los críticos franceses, belgas y suizos estimaron que mis libros eran novelas droláticas un poco extrañas, pero novelas al fin y al cabo.

 

 En 2004, invitado a participar en el encuentro anual de Belles Latinas en Lyon, programé un « intertexto colectivo » con los estudiantes del prestigioso liceo Édouard Herriot. en torno a la leyenda de Fausto. Gérard Wormser, doctor en filosofía y profesor en l'École Normale Supérieure de Lyon, fundador de la asociación Sens Public (revista electrónica plurilingüe y casa editorial), me ayudó a guiar a los alumnos en la escritura electrónica de este Intertexto colectivo experimental. Sin embargo sólo fue al año siguiente, en el Manifeste pour une nouvelle littérature?, presentado simultáneamente con la edición de La Société des Hommes Célestes en el stand de Sens Public en el Salon du Livre de Paris (2005), que fue cuestión, por  primera vez, de una formalización conceptual del Intertexto en cuanto género post-novelesco.


La Sociedad de los Hombres Celestes (un Fausto latinoamericano) una obra tejida con cientos de citaciones extraídas de los Faustos clásicos, publicada bajo el título explícito de “Intertexto”. El idioma de base es el francés, pero a través de las citas de los textos fáusticos originales, el texto se abre constantemente al multilingüismo. El libro fue publicado en papel e impreso en España bajo la supervisión de Chantal Waszilewska y Émilie Tardivel, por entonces secretaria de Sens Public. La belleza de la portada y de la maqueta del libro, diseñadas por el pintor peruano Herman Braun-Vega, llamó la atención del Salon du Livre y un ejemplar del libro se colocó en la sala reservada a los mejores “libros-objetos”. Al mismo tiempo, gracias a las nuevas tecnologías, el texto comenzó a surgir en una versión electrónica donde las citas son "activas". El lector ya no tiene que buscarlas en la parte inferior de la página o al final del libro y puede acceder inmediatamente, durante su lectura digital, tanto al texto original de la cita como a su hipertexto (obra primigenia, idioma y edición). La versión electrónica, a cargo de Chantal Waszilewska, sólo se ha completado para El Castillo de Mefistófeles o el examen de faustología, farsa que cierra la obra. “Cerrar” no es el verbo a utilizar en el caso de La Société des Hommes Célestes (un Faust latino-américain) pues, como Intertexto, el libro está abierto al lector. En efecto, el lector, apoyándose sobre las facilidades ofrecidas por el soporte digital y agregando nuevas citaciones, puede participar en la evolución de una obra que se inscribe en la larga tradición fáustica, iniciada en 1583 con el Volksbuch von Doktor Johannes Faustus, primera transcripción literaria de la leyenda del Doctor Fausto, leyenda periódicamente enriquecida y perpetuamente inacabada. La versión en español del libro sólo existe actualmente en papel (CS 2011). No es una simple traducción del texto francés, sino una "traducción intertextual" que implica modificaciones a veces muy significativas del texto original. Sin embargo, el eje del libro, en sus dos versiones, es el mismo : un fresco de la educación occidental en el siglo XX, desde el kindergarten hasta el doctorado... en faustología, por supuesto.


En marzo 2006 tuvo lugar la presentación de La Société des Hommes Célestes en la Maison de l’Amérique Latine en París y luego, dos meses después, en los salones de la Embajada de Chile bajos los auspicios del embajador, Hernán Sandoval (y de su esposa, Lucía Melo), de Raúl Fernández y Jaime Chomalí, secretarios encargados de los asuntos culturales. En el evento participaron el pintor peruano Herman Braun-Vega, el periodista de Radio France Internationale, Fernando Carvallo, Gérard Wormser y Sophie Rabau, profesora de literatura comparada en La Sorbonne Nouvelle, quien me había anteriormente invitado a dar una conferencia sobre La Guérison y escrito al respecto un artículo publicado por la universidad Stendhal de Grenoble. En el público reunido en la embajada se encontraban también Julie Peslier, doctora en faustología (Universidad Vincennes Paris VIII, Vincennes Saint-Denis) y Alejandro Canseco-Jerez, profesor de literatura latinoamericana en la Universidad Paul Verlaine de Metz y en la EHSS, École des Hautes Études en Sciences Sociales de París.






Embajada de Chile en Paris : a partir de la izquierda, Gérard Wormser, Herman Braun-Vega, Fernando Carvallo, Roberto Gac, Sophie Rabau.



Poco después se realizó la presentación del libro en España (castillo de Valderrobres, Aragón, julio 2006), paralelamente a la retrospectiva de Braun-Vega, pintor que defino en uno de mis ensayos como  «maestro de la interpicturalidad », término -la interpicturalidad- que deriva del concepto de la intertextualidad literaria. Efectivamente, lo que yo intentaba a nivel de la literatura, otros artistas lo intentaban en sus propias disciplinas. Así, Braun-Vega « cita » en sus cuadros a los grandes maestros de la pintura : Velázquez, Rembrandt, Rubens, Ingres, Goya, Cézanne, Gauguin, Picasso, etc. Obras como Double éclairage sur Occident (1987) con ‘emprunts’ a Vélazquez y a Picasso, La leçon à la campagne (1984) en la cual es ‘citado’ Rembrandt, o bien el inmenso tríptico  (lápiz y carboncillo) ¿La realidad es así? (1996), concebido alrededor de Goya y Picasso, así como decenas y decenas de cuadros « interpicturales », muestran que otros artistas de vanguardia buscan  reanudar el lazo con la corriente central del clasicismo y a salir de las formas estereotipadas  y desvitalizadas del arte y de la literatura de nuestra época.







                    Programa del encuentro en Valderrobles con el tríptico  ¿La realidad es así?

 

Varios miembros de Sens Public presentes en el castillo de Valderrobres dieron conferencias sobre el significado de la intertextualidad (Ingeburg Lachaussée, germanista, Maître de conférences de philosophie politique à Sciences Po), de la interpicturalidad (Madeleine Vallette-Fondo, Maître de conférences à l'Université de Paris-Est, Marne-la-Vallée) y de la intermusicalidad (Margarita Celma, doctora en musicología, directora de la Coral Mataranya), mientras que el cineasta Yann Kilborne (maître de conférences à l’Université Bordeaux-Montaigne) prolongó sus reflexiones hacia el cine. La aparición del Intertexto como nueva forma narrativa post-novelesca no es entonces un fenómeno aislado de otras prácticas artísticas, sino al contrario, forma parte de un movimiento de renovación de la cultura contemporánea en cuyo seno el multiculturalismo, el plurilingüismo y el intercambio de principios estéticos y de técnicas es determinante.

                                                              


Pese a todas estas conferencias y debates, yo seguía encontrando grandes dificultades para resumir y expresar conceptualmente mi trabajo y mis intenciones, sobre todo frente a los editores que dudaban en publicar textos no solamente « vanguardistas », destinados en principio a un público restringido, sino que además imponían complejas y costosas exigencias técnicas, prácticamente insuperables para la edición convencional. En el Manifiesto había llamado la atención sobre un hecho inevitable : « no habrá una nueva literatura sin un nuevo sistema de edición ». El rechazo de los editores tradicionales (incluso Sens Public, todavía en sus comienzos como editorial), para publicar Madre/Montaña/Jazmín a causa de sus dibujos y colores, confirmaba esta situación. El Intertexto parecía destinado a perderse como modalidad narrativa o a quedar como una simple curiosidad en la historia de la literatura.

Fue entonces que descubrí Create Space, la estructura de ‘self-edition’ inaugurada por Amazon en Estados Unidos. Según lo cuento en mi artículo Revolución en la edición literaria (Agoravox, octubre de 2011), todo lo que había imaginado a propósito de la evolución indispensable de la edición tradicional para hacer factible el desarrollo de una nueva literatura, había sido realizado  por un grupo de escritores americanos cuyas denuncias de la pusilanimidad y ‘affairisme’ de los editores convencionales habían sido escuchadas y comprendidas por Amazon. Pude entonces editar Madre/Montaña/Jazmín siguiendo mis propias exigencias, decidiendo personalmente cada aspecto formal de la edición, prolongando así el proceso creativo de la escritura. Luego, siguiendo el mismo procedimiento, publiqué la totalidad de mis manuscritos inéditos, entre ellos El Rapto de Sabina, libro a la vez intertextual e interpictural que contiene reproducciones ‘full color’ de las Anunciaciones de Florencia, cuyo manuscrito había sido rechazado por los editores bajo el pretexto del elevado costo de su impresión, costo en cambio abordable dentro de los parámetros de la ‘new fashion edition’. Y pude también, al fin, desarrollar, completar y publicar mis textos teóricos, poco o nada comerciales, sobre el Intertexto (Bakhtine, le Roman et le Intertexte, Dialogue intertextuel avec Bakhtine, etc.), reunidos en el Manifiesto por una Nueva Literatura, ahora desprovisto del signo de interrogación que acompañaba su primera versión en 2005.

 

Tras la reunión en el castillo de Valderrobres, continué en París el proceso de teorización del Intertexto. Una vez más, cuando creía haber alcanzado una estabilidad suficiente en mi enfoque intertextual, choqué con una realidad lamentable : el mercado literario, sólidamente protegido contra cualquier intento de ir más allá de la novela, eje principal de la industria literaria. En el mundo de la literatura actual, fundamentalmente novelesca, el Intertexto como nueva modalidad narrativa, que implica además un cambio en el mecanismo de edición, sólo podía interesar a los investigadores lingüísticos. Tampoco fue el caso. Ya había intentado acercarme a los escritores de la vanguardia francesa “oficial” (Correspondance unilatérale avec Sollers) para compartir mis investigaciones, sin ningún éxito. La crítica de la novela como género narrativo había sido archivada y convenientemente olvidada en interés del comercio editorial. Ahora bien, eso no me impidió rescatar la opinión de Roland Barthes sobre las vanguardias en general, incluyendo al grupo Tel Quel, del cual fue un miembro emérito :



Sin duda hay revueltas contra la ideología burguesa. Esto es lo que generalmente se llama vanguardia. Pero estas revueltas son socialmente limitadas, siguen siendo recuperables. En primer lugar porque provienen de un fragmento de la burguesía, de un grupo minoritario de artistas, de intelectuales, sin otro público que la misma clase a la que desafían, y siguen dependiendo de su dinero para expresarse. Además, estas revueltas siempre están inspiradas sobre la base de una diferencia entre el burgués ético y el burgués político: lo que la vanguardia impugna es el burgués en el arte, en la moral, como en la época del romanticismo ocurría con el almacenero, el boticario, el filisteo. Pero de protesta política, nada. Lo que la vanguardia no tolera en la burguesía es su lenguaje, no su status. Este status no necesariamente lo aprueba, pero lo pone entre paréntesis : cualquiera que sea la violencia de la provocación, lo que asume en última instancia es el hombre abandonado, no el hombre alienado (...)",

advierte Barthes en su célebre libro, Mitologías, consciente de los límites de su actividad vanguardista. Unos años más tarde precisará su posición :

“Por eso podría decir que mi propia posición histórica es la de estar en la retaguardia de la vanguardia : ser de vanguardia es saber lo que ha muerto; estar en la retaguardia es todavía amarlo. Me gusta la novela, aunque sé que la novela está muerta.”

 

La lucidez de Barthes me dejó atónito. El mayor teórico contemporáneo de la literatura francesa, cuya luz (a veces “oscilante”) iluminó la sinuosa y a menudo confusa trayectoria de Tel Quel, señala la existencia de un muro prácticamente insuperable para cualquier escritor de vanguardia : los intereses y valores estatutarios de la burguesía, es decir, de la sociedad capitalista. La novela, vanguardista o no, satisface estos intereses para continuar existiendo. Y el escritor, si quiere publicar y ganar dinero, tiene que proclamarse “novelista” y elogiar la novela. Dadas estas circunstancias, ¿cuáles eran las posibilidades de supervivencia o de simple manifestación de un nuevo género narrativo como el Intertexto, que busca ir más allá de la novela? Se pueden inventar los objetos literarios más sofisticados en la intimidad de los laboratorios lingüísticos, pero a condición de no cruzar las fronteras marcadas por la burguesía. De lo contrario, el intento vanguardista será asfixiado. Es lo que le ocurrió al grupo Tel Quel tras la muerte de Roland Barthes, como cuento en L’énigme romanesque de Roland Barthes”. En consecuencia, cualquiera pretensión de que el Intertexto sea reconocido, aceptado y promovido en el mundo convencional de las letras, dependiente de la imprenta y del soporte en papel, parecía irrisoria. No tenía sentido recordar los ejemplos clásicos de Schopenhauer, Cézanne, Pessoa, Kafka y otros creadores e innovadores, grandes o pequeños, que murieron desconocidos o no reconocidos. Sin embargo, al menos desde un punto de vista teórico, todavía había algo que desarrollar sin hacer concesiones al establishment editorial-literario: la reflexión sobre la libertad de creación, siempre mencionada, pero rara vez respetada en el universo novelesco y sobre la libertad de publicación, ambas esenciales para el Intertexto. Sobre este punto, la ayuda brindada por Marcello Vitali Rosati, profesor de literatura e investigación digital en la Universidad de Montreal, miembro de Sens Public, fue fundamental para mí.

 

En 2004 tomé la decisión de seguir el enfoque mediático de Gérard Wormser, radicalmente opuesto al camino seguido por los medios de comunicación convencionales. Wormser había comprendido, desde el inicio de Internet, el inmenso alcance de la revolución cibernética en una época en la que eminentes “sorbonnards” todavía creían que Internet y las computadoras no eran más que una nueva moda, condenada a una rápida desaparición para alivio de una generación de profesores ya ancianos, incapaces de aprender a utilizar los dispositivos electrónicos. Sus esfuerzos se basaron en la nueva realidad tecnológica, una plataforma bienvenida e imprescindible para el Intertexto que encontraría en la editorialización, tal como la definen Wormser y Vitali-Rosati, el método para superar la barrera que opone la burguesía (Barthes dixit) a la libertad de creación y a la libertad de publicación.

 

¿Qué es la editorialización?, me preguntaba en un breve ensayo Editorialización y Literatura, publicado en marzo de 2016. Hay dos respuestas posibles que recuerdan analógicamente a Einstein y sus dos teorías de la relatividad : la restringida, de Marcello Vitali-Rosati, que se refiere principalmente sólo al mundo de la edición ; la otra, más general, de Gérard Wormser, que engloba todo un conjunto de manifestaciones del mundo digital. Empecemos por esta última: “Llamamos editorialización al proceso de explicación dialógica que permite a los grupos estructurar sus intercambios y convertirse en actores de las redes de conocimiento”, señala Wormser en su conferencia Globalización y Editorialización (Salón Dionys’Hum, 2015). Pasemos ahora a la definición más restringida, la que se limita al mundo editorial:

“Podemos definir la editorialización como un conjunto de dispositivos técnicos (la red, servidores, plataformas, CMS, algoritmos , motores de búsqueda), estructuras (hipertexto, multimedia, metadatos), prácticas (anotación, comentarios, redes sociales), que permiten producir y organizar contenidos en la web”

propone Vitali-Rosati. Y volviendo al problema específico de la edición “en papel”, precisa:

“La apertura de la editorialización, comparada con la edición en papel, implica una cierta pérdida de control por parte del editor sobre el contenido. Podríamos decir que el editor ahora sólo representa una parte del cuerpo editorial, que se ha convertido en algo mucho más amplio. Esta apertura es lo que conecta la editorialización con una forma de circulación particular de conocimientos y contenidos : una forma en red, diseminada y fragmentaria. La editorialización produce una especie de inteligencia en red... o una red de inteligencias. La editorialización se refiere a una dimensión colectiva del conocimiento.”

Y a una dimensión colectiva de la literatura, se podría añadir.

 

Editorialización y literatura resume mi tentativa vanguardista más audaz pues cuestiono no sólo la novela, sino todo el aparato comercial montado por los editores actuales, incluidos los más prestigiosos. Criticarlos, como se atrevió a hacerlo el joven Barthes, ya era arriesgado, pero denunciarlos como responsables de la decadencia de la literatura contemporánea, transformada por su intermedio en una especie de entretenimiento banal, era temerario. Muchos escritores que trataron de liberarse de las reglas, por no decir "prohibiciones" explícitas o tácitas, impuestas por los editores, han pagado muy caro esta insolencia. Fueron excluidos o frenados (fue el caso de Barthes) en las editoriales donde habían sido publicados, encontrando luego las puertas cerradas en cualquier otra editorial (fue mi propio caso en España y también en Francia). Pasaron a estar “en la lista negra”, es decir, catalogados como peligrosos para il negozio literario, un negocio en el que no es el escritor quien decide, sino el editor, actor principal de un proceso que no tiene nada de “colectivo” a pesar de sus apariencias. La multitud de lectores profesionales, agentes, comités de lectura, impresores, publicistas, críticos, periodistas, attachés de prensa, presentadores de televisión, locutores de radio, libreros, etc., conglomerado impresionante de trabajadores del mundo de las letras, sólo enmascara el centro de gravedad de un sistema centrado no en el escritor, sino en el editor, “individuo” que compromete su dinero lanzando un producto al mercado a menudo modelado según sus parámetros estéticos personales o, mejor dicho, según sus deseos y sus caprichos. Describo esta situación en otro de mis artículos, Revolución en la edición literaria, que recoge algunas anécdotas a veces divertidas, a veces trágicas, sobre el control y dominio de los editores sobre los escritores. Pero esta revolución en la edición literaria sólo afecta a la publicación en papel, todavía esencialmente dependiente de la imprenta, y deja al margen el propio proceso creativo, hoy dependiente de la tecnología digital..   

La editorialización pone fin a todo eso. Siempre que se ponga en práctica, desde luego. Lo cual no es evidente. De hecho, el escritor de hoy, especialmente el novelista, incluso el más maltratado y despreciado por el establishment literario o, por el contrario, el más glorificado y enriquecido por los editores, tiene una actitud esencialmente pasiva ante todos estos fenómenos. El novelista quiere un editor que se ocupe eficazmente de su trabajo (“paternalmente”, se podría decir). Para él, su trabajo está terminado cuando entrega su manuscrito. Su publicación no le preocupa y se siente muy aliviado de que sea así. Esta pusilanimidad, confortada sagazmente por el editor, es el hiatus que aprovecha para hacer lo que quiere con el trabajo del escritor. En cambio, en la editorialización (como es el caso en la auto-edicion en papel), el escritor debe tener una actitud decididamente activa. Es él, con su esfuerzo creativo, quien decide de todo lo concerniente a su obra literaria, en la medida en que se abre a una “red de inteligencias” basada en la solidaridad y la honestidad intelectuales, red llamada a participar colectivamente en la creación de la obra.

 

En 2012 abordé el problema del lector-pasivo/lector-activo (el lector pasivo es, principalmente, el lector de novelas) en un ensayo, Bajtín, la novela y el Intertexto, donde exploré el pensamiento del erudito ruso. Deslumbrado por su erudición y por el estilo de su escritura, que me recordó Hegel y su Fenomenología, tomé muy en serio todo que decía sobre la novela, proclamada “forma suprema y definitiva de literatura”. Desmontar sus argumentos no fue fácil. Y, sin embargo, había que hacerlo. El defecto esencial, el pseudo proton de su teoría de la novela es detectable desde el comienzo de su lógica (sin embargo muy rigurosa) : la amalgama entre la novela y la literatura narrativa, amalgama refutable dado que la novela es un género literario secular y la literatura narrativa, una práctica milenaria. Y su principal debilidad, la de no analizar semiológicamente la relación entre lectura y escritura, entre el lector y el escritor, análisis que realizaría años más tarde Roland Barthes. Para Bajtín, entre el novelista y el lector no puede haber otra relación que la de lectura. La novela es una estructura cerrada, a la que el lector sólo tiene acceso leyéndola. En el Intertexto la relación escritor-activo/lector-pasivo es profundamente modificada y permite la aparición del lector-escritor. El Intertexto se desarrolla como un conjunto de sistemas de referencia textuales móviles, del cual el lector no queda excluido. Por el contrario, el lector deja de verse reducido a categoría de consumidor pasivo de un texto y está llamado a entrar en él para participar en su desarrollo. La invención de la escritura electrónica hace posible esta eventualidad, en apariencia utópica, y las nuevas tecnologías facilitan un fenómeno que será cada vez más frecuente.

 

El análisis del pensamiento de Bajtín que completé en mi Diálogo intertextual con Batín me permitió resolver muchas dudas sobre el Intertexto y pude confirmar su necesidad ineludible para ir más allá de la novela. El concepto “lector-escritor”, concepto respaldado por la “red de inteligencias” teorizada por Wormser y Vitali-Rosati, cambia radicalmente el centro de gravedad de creación literaria.

 

Vuelvo a la definición de la editorialización según Vitali-Rosati:

“Podemos definir la editorialización como un conjunto de dispositivos técnicos (la red, servidores, plataformas, CMS, algoritmos, motores de búsqueda), estructuras (hipertexto, multimedia, metadatos), prácticas (anotación, comentarios, redes sociales) que permiten producir y organizar contenidos en la web”.

Este contenido, tratándose de literatura es, precisamente, el Intertexto, que encuentra en el universo digital, concretamente en la web, el entorno ideal para su desarrollo. Cierto, los editores convencionales también pueden utilizar las herramientas cibernéticas pues facilitan muchas tareas de la publicación “en papel” (incluida la impresión de libros “uno a uno”, según la demanda), pero esto no cambia el hecho esencial : es el editor y no el escritor el centro de gravedad de la literatura, desequilibrio solidamente consolidado por el mecanismo de difusion de los editores. En otro de mis ensayos, Mme. Filipetti, Ministre de la Culture et romancière, denuncio esta concepción retorcida de la literatura como producto, en primer lugar, del editor. El escritor es el trabajador que le trae la mercancía a explotar. “¡Sin editor no hay literatura!”, dijo en substancia la Ministra novelista, ignorando al Roland Barthes de las Mitologías y su denuncia de la desviación mercantil de la literatura. El genial semiólogo afirma en su Teoría del Texto que el verdadero lector es aquél que quiere escribir:

“Sin duda, hay lecturas que no son más que un simple consumo: precisamente aquéllas en los que se censura la significación ; la lectura plena, al contrario, es aquélla donde el lector es nada menos que aquél que quiere escribir”.

 

Es el caso de Marcel Proust. El joven Proust soñaba con escribir y se desesperaba por no poder hacerlo, creyendo que le faltaba talento. Pero su deseo de escritura era tan intenso que llegó a llamarlo “su vocación”, sin la cual su vida no tenía sentido. Sus lecturas juveniles, especialmente la lectura de la obra de Anatole France, cuya prosa elegante y transparente lo había cautivado, pero también los artículos de Sainte-Beuve, el crítico literario más importante de su época, cristalizaron en él al “lector-escritor”. Leyendo la teoría de novela de Bajtín, me sorprendió que no tuviera en cuenta ni a Proust ni a su obra maestra, En busca del tiempo perdido, obra fundamental para comprender la evolución de la literatura narrativa. Misma omisión en lo que se refiere a Ulises y Finnegans Wake, de James Joyce. Sin embargo, él sabía de la existencia de los dos autores, reconocidos mundialmente desde la década de 1920 (Bajtín murió en 1975). Su indiferencia era incomprensible viniendo de un erudito como él. El “telón de acero” cultural entre la Unión Soviética y el resto de Europa no era suficiente para explicarla, como lo señalé en mi primer ensayo sobre el sabio ruso. Sólo resolví el misterio escribiendo un nuevo ensayo, Bakhtine, Proust et la polyphonie romanesque chez Dostoïevski, texto que presenté personalmente en el Instituto Gorky de Moscú, donde fui para participar en un encuentro literario organizado por Tatiana Victoroff y Luc Fraisse, profesor de literatura en la Universidad de Estrasburgo. La conferencia titulada “Proust / Bakhtine, regards croisés” se prestó particularmente bien para iluminar la problema. ¿Cómo conciliar el pensamiento del estudioso ruso y la creación del escritor francés ? ¿Y cómo entender la posición de Proust respecto de la novela, género que escapó a su deseo de escritura absoluta?



                                   Institut Gorki de Moscou.
                  Thèse de Bakhtine "L'Oeuvre de F.Rabelais et la culture populaire au Moyen-Âge et sous la Renaissance" M. Bakhtine, 1940 (C.Waszilewka et R. Gac)



  

A través del análisis de las novelas polifónicas de Dostoievski, Bajtín abre una pista para explicar su indiferencia ante Proust. Para él no sólo la novela es la forma suprema de literatura, sino que la novela polifónica corresponde al mayor logro estético de Dostoiewsky, válido para toda la literatura. Vista desde este ángulo, La Búsqueda (La Recherche) es sólo una novela monofónica más. Releyendo las 4000 páginas de la Recherche para preparar mi intervención en Moscú, descubrí que la teoría de la novela de Bajtín no puede aplicarse a la Recherche... simplemente porque A la recherche du temps perdu no es una novela. El propio Proust, al comenzar a escribir su obra magna, cuando de lector pasivo se convirtió en un escritor activo, no sabía si estaba escribiendo una novela... o “algo diferente”. Este “algo diferente” es una “autoficción”, género intermedio (para seguir aquí la terminología bajtiniana) entre la novela y el Intertexto, género que, además, no puede asimilarse en ningún caso a lo que se llama la “anti-novela ".

 

En 2017 fui a Santiago respondiendo a una invitación de David Wallace, profesor de literatura de la Universidad de Chile. Durante las “Conversaciones sobre la (anti) novela” (título del encuentro universitario), pude comprobar una vez más los innumerables malentendidos que rodean mi trabajo. Mis dos primeros libros, El Bautismo y El Sueño, publicados en España por Montesinos Editor (Barcelona, 1983-1985) bajo el seudónimo “Juan Almendro”, no son novelas sino antinovelas. En ellos seguí un poco la moda de la antinovela influenciado por Rayuela, la obra del escritor argentino, Julio Cortázar, y por las antinovelas del escritor chileno Juan- Agustín Palazuelos, obras premonitorias del fin de la época novelesca. Pues bien, me sorprendió descubrir que mis antinovelas, en particular El Bautismo, eran estudiadas en la Universidad de Chile desde hacía treinta años... sin que yo lo supiera. De hecho, exiliado primero en Estados Unidos, luego en Europa e impedido de regresar a Chile a causa del pinochetismo, prácticamente había cortado todos mis vínculos con mi país. Pero David Wallace había leído El Bautismo y lo había incorporado en las lecturas propuestas a sus alumnos. Sólo que mi trabajo era estudiado desde el ángulo de la antinovela. El Intertexto no existía para los estudiantes y en nuestras discusiones hicieron la comparación entre el Intertexto y el plagio. Relato estas vicisitudes en una entrevista con Wallace y en un nuevo ensayo, Plagio e Intertextualidad, escrito después de las “Conversaciones sobre la anti- novela” en la Facultad de Filosofía y Letras de la Universidad de Chile.








 

La Recherche no es una antinovela... y tampoco es una novela, a pesar de todos los esfuerzos del establishment editorial-literario para que sea así. El prestigio del premio Goncourt y los negocios del clan Gallimard dependen de una etiqueta que “vende”. Proust, lector-escritor que presentó tímidamente su manuscrito al señor Grasset para rogarle que lo publicara “a cuenta de autor” (pagó el equivalente de unos 10.000 euros actuales, obligándose a amputar su texto de cientos de páginas, “inútiles” según el editor), no se interesaba mucho en la retórica. Escribió según su propio genio, genialidad que lo llevó más allá de los límites de la novela tradicional, la novela de personajes, forma que Dostoievski había llevado hasta su apogeo gracias a su invención, la polifonía novelesca. La Recherche, insisto, no es una novela, ni una  antinovela, ni un intertexto, sino una autoficción, género intermedio entre la novela y el intertexto. Esto es más o menos lo que “demuestro” (Proust decía que La Recherche es una “demostración”) en mi ensayo presentado en el Instituto Gorky de Moscú en noviembre de 2019. La definición de La Recherche como “autoficción”, género “intermedio”, es muy importante. Desde un punto de vista histórico (materialismo histórico) es imposible salir de la forma “novela” de un solo golpe, de manera abrupta. Siglos de hábitos novelescos han generado una poderosa inercia, muy difícil de superar. El Intertexto no surge de repente, surge de varios intentos anteriores: el Satiricón de Petronio puede considerarse como primer precursor, casi veinte siglos antes que Tristram Shandy de Laurence Sterne y Ulysses de James Joyce. La Recherche también es un texto precursor de la nueva forma , donde el lector deja de ser un agente pasivo y puede convertirse, como el propio Marcel Proust, en un escritor activo. Todo depende de su deseo de escribir, porque no es tributario de un editor para saber si lo que escribe es “bueno o malo”, “rentable o no rentable”. Gracias a la editorialización, puede escribir (leer-escribir) según los dictados de su propia conciencia y compartir su creación en una “red de inteligencias”, alejado de consideraciones mercantiles.

 

Si la definición de la editorialización de Vitali-Rosati fue decisiva para esbozar una teoría del Intertexto, su tesis doctoral en la Universidad de Pisa, Riflessione e Trascendenza, me ayudó también a observar el Intertexto desde un punto de vista estrictamente lógico. La lógica que gobierna la estructura de la novela es la lógica aristotélica, la lógica formal, la misma que aplica Newton en su teoría de la gravitación. La novela es newtoniana. (Me refiero a la arquitectura de la novela y no a su contenido, obviamente.) Ahora bien, la lógica del Intertexto supone una lógica diferente, puesto que su acercamiento al tiempo y al espacio es “einsteiniano”. Esta lógica diferente es la lógica de la trascendencia, tal como la concibe Vitali-Rosati en su análisis de la Ética de Levinas (“Los levinassianos no respetan los principios de la lógica formal, parecen basarse en una lógica "otra"). La lógica de la trascendencia permite comprender mejor la estructura del Intertexto, donde la perspectiva newtoniana del tiempo y el espacio es revolucionada por el juego intertextual y por la relación lector-escritor.

“La lógica formal se basa en una concepción del Tiempo como algo continuo. Es posible hablar lógicamente en cualquier momento sobre el futuro si el Tiempo es algo homogéneo. La aceptación de una discontinuidad del Tiempo conduciría a una serie de paradojas que la lógica formal no puede admitir (...) La validez del principio de causalidad es impensable para cualquiera que piense en la posibilidad de saltos en el Tiempo, de una fragmentación que rompa la relación entre presente, pasado y futuro”,


afirma Vitali-Rosati. Precisamente, La Société des Hommes Célestes refleja en un mismo texto, sin temor a “contradicciones” cronológicas o de otro tipo, el Fausto de Marlowe (1592), el de Goethe (1808-1832), el de Thomas Mann (1947), el de Valéry (1946), el de Butor (1960-69), etc.

 

Hablando de “contradicciones”, Vitali-Rosati se refiere al pensamiento de psicoanalista y lógico chileno Ignacio Matte Blanco, autor del libro Unconscious as Infinite Sets (Londres 1980), donde examina magistralmente la lógica del Inconsciente:

“Seguimos una sugerencia de Matte Blanco que inspiró las ideas que vamos a proponer. En el mismo texto donde nos referíamos a la lógica simétrica, que sería la base de funcionamiento del Inconsciente, Matte Blanco percibe una necesidad análoga a lo que hemos señalado : la necesidad de conciliar el principio de no contradicción con la posibilidad real de la contradicción”.

Esta conciliación es posible en la literatura gracias al Intertexto. Ahora bien, definiendo en su tesis Riflessione e Trascendenza el “plano de reflexión”, Vitali-Rosati señala : Un plano de reflexión es un sistema bidimensional en el que cada punto (x, y)  está asociado a una proposición, es decir a un icono”. Precisamente, la Farsa Pornotrágica o el examen de la faustología, texto propuesto al final de La Sociedad de los Hombres Celestes, ilustra concretamente el sistema bidimensional de la intertextualidad: cada cita del texto principal de la SHC (el Fausto latinoamericano), está asociada a una proposición de un Fausto clásico.

 

La lógica formal no basta para explicar el encuentro con la alteridad”,

insiste Vitali-Rosati. Pero ¿qué es la alteridad?

“La alteridad es todo lo que queda independiente de cualquier relación: de ahora en adelante la palabra "Otro" debe entenderse como sinónimo de trascendencia. El otro no es sólo el otro hombre (...) Incluso un objeto es "Otro" en la medida en que es diferente del sujeto que busca una relación (...) El sujeto se abre en el sentimiento de ser la condición de una posibilidad de la expresión del Otro: sin mí (autor-referencia) la voz permanece inaudible (...) Que la alteridad se exprese "para mí" no significa que la poseo, sino que soy el “medio” de expresión de esa alteridad ”.

 

En estas proposiciones es posible establecer nuevas analogías con el Intertexto, tejido con un conjunto de citas que encuentran su origen en la expresión del autor citado. Expresión que se manifiesta a través de un “para sí” auto-referencial: el escritor intertextual no “aplasta”, ocultándolo, al escritor citado, como ocurre en el plagio, práctica que destruye toda alteridad. Este “aplastamiento” (appiattimento) ocurre normalmente en la novela, que podríamos considerar, según la lógica de Riflessione e Trascendenza, como una forma reflexiva “inauténtica”, donde nunca se encuentra la alteridad. El escritor y el lector son irremediablemente separados. En cambio en el Intertexto, abierto al lector-escritor, la alteridad puede consolidarse estéticamente, “escrituralmente”. Es decir, “el hombre es, principalmente, escritura, concreción del lenguaje”, concluye Vitali-Rosati. Se abren así las puertas a una auténtica revolución en la comunicación humana en general y en la literatura en particular : el hombre comunicante, particularmente en el mundo digital, deja de ser una simple lector como en la novela, puede convertirse en “lector-escritor”, como en el Intertexto.

 

A principios de 2019, Sens Public publicó una entrevista del dramaturgo y director de cine, Peter Brook -”Presencia y Creación”- realizado en 2016 bajo el patrocinio de la Academy of Arts of New York por el pintor y arquitecto chileno, Pedro Pérez-Guillón. La entrevista, publicada simultáneamente en inglés, francés y español gracias al esfuerzo de Servanne Monjour y de su equipo SP en Montreal, se desarrolla principalmente en torno al teatro y las artes plásticas. De la literatura sólo se discute tangencialmente. Puesto que fui alumno de Peter Brook durante siete años (1979 -1986) en el Instituto Gurdjieff de París (bajo la dirección de Madame Jeanne de Salzmann y del Doctor Michel de Salzmann), me parece oportuno, útil y necesario, mirar mi trabajo teórico a la luz del pensamiento de quien es considerado uno de los hombres de teatro más importantes de nuestro tiempo, pero que permanecerá también en nuestra memoria como un guía espiritual. La dificultad es considerable, sobre todo porque el mecanismo de creación de la literatura narrativa -la novela en particular- es refractaria a un enfoque "espiritual", a diferencia de la poesía. Quizás podríamos considerar En busca del tiempo perdido como una excepción. El Libro del Desassossego del poeta portugués, Fernando Pessoa, también podría leerse como una obra de ficción narrativa donde la espiritualidad es intensamente perceptible por el lector atento. Esta obra, rara en la literatura occidental, es comparable por su profundidad a los escritos del poeta y maestro espiritual indio, Krishnamurti. Sorprendente coincidencia, ambos recurren constantemente al oxímoron como figura retórica, aunque difieren fundamentalmente en la medida en que Krishnamurti muestra un camino suave y tranquilo para lograr la presencia del ser dentro de uno mismo, mientras que Pessoa se queda en la constatación de la ausencia de esta presencia en el hombre común y se limita a poetizar su desesperación. Aun así, su obra constituye uno de los pocos ejemplos de alta espiritualidad en la literatura del siglo XX. Creación y presencia, en el sentido que Peter Brook habla en esta entrevista, parecen ajenos a la narración, especialmente cuando se trata de historias novelescas. ¿Hay algo auténticamente espiritual en Los hermanos Karamazov? ¿Podemos hablar de "espiritualidad" cuando Dostoievski introduce el personaje de Alyosha, el joven novicio y devoto de su moribundo starets, o cuando el novelista hace hablar al Gran Inquisidor para acusar a Cristo de no cumplir sus promesas? No hay que confundir “espiritualidad” y “beatería”. Los personajes dostoievskianos y sus diálogos sobre el cristianismo ortodoxo no son más "espirituales", a pesar de su pretendida libertad polifónica, que las reflexiones monofónicas de las novelas densamente psicológicas y materialistas de Jean-Paul Sartre o de Albert Camus. El Intertexto busca acercarse lo más posible a la autoconciencia del escritor y del lector. La “espiritualidad” se desarrolla en este nivel, el de la conciencia. Al introducir la intertextualidad como mecanismo central de narración, busco crear un conjunto de referencias que me permitan - como escritor- tomar conscientemente en cuenta los escritos de otros escritores dejando simultáneamente abierta una nueva proposición textual al lector quien, a su vez, puede utilizarla como un nuevo sistema de referencias, etc.

 

"Lo terrible de las universidades y escuelas de arte es que empiezan siempre por la forma”,

se lamenta Peter Brook.

Lo que nosotros buscamos (siempre con la ayuda de la forma) es encontrar lo que puede iluminar la forma. Lo que puede iluminar la forma es lo verdaderamente valioso. Si estamos atentos a la vida, podemos sentir que la vida está en movimiento permanente y, por tanto, sus formas también cambian todo el tiempo. Los grandes artistas de todas las épocas son conscientes de que la vida y sus formas cambian constantemente. Y es por ello que para un compositor de nuestro tiempo componer música a la manera de Stravinsky o de Bach, no tiene sentido. Estas formas eran necesarias en su época. Luego las reconocemos, las registramos y las incluimos en lo que llamamos “Historia del Arte”. Pero llega un momento cuando el artista sentirá la necesidad de un cambio y, como Picasso, dirá: "No, no podemos seguir haciendo cosas del mismo modo que hace 50 años, no podemos seguir haciendo pinturas naturalistas perfectas, hay algo nuevo que necesita ser revelado y debemos tratar de encontrar cuál es la forma adecuada para ello.”

 







                             Peter Brook aux Bouffes du Nord de Paris.




Peter Brook reconoce la necesidad de innovar, de encontrar nuevas formas de expresar lo nuevo en la evolución de la vida humana. Para mí la “forma novela” es obsoleta, anticuada, no corresponde a las necesidades del individuo y de la sociedad de hoy. La increíble banalidad de las novelas elogiadas por los críticos periodísticos es desalentadora. La cascada de premios literarios derramada sobre la producción novelística mundial oculta la baja calidad de las obras propuestas como "obras maestras" de la literatura universal, todas plasmadas aproximadamente de la misma forma. Es necesario encontrar una salida para escapar de esta mediocridad formal que carcome por dentro la literatura, transformándola en un simple objeto de consumo, en lamentable "palabra emputecida", como dice Gurdjieff en el prólogo de Encuentro con hombres notables, libro llevado al cine por Peter Brook en 1978-1979. Yo veo en el Intertexto uno de los medios para acabar con esta deriva y devolver su vitalidad a la literatura.

 

Termino esta crónica haciendo referencia a mi último libro, Teoría del Intertexto, donde reúno todas mis reflexiones al respecto, incorporando un ensayo final, Ejercicios de Teoría Literaria y Teoría del Intertexto. En este ensayo analizo, como lo hice en 2012 con el pensamiento de Bajtín, las ideas de Sophie Rabau sobre la teoría literaria. En substancia, para Sophie Rabau (profesora de literatura en la Sorbonne Nouvelle, que se convirtió en novelista y que por tanto niega lógicamente la realidad del Intertexto), la teoría literaria no es necesariamente útil:

“Quizás también podamos responder a esta pregunta (la utilidad y relevancia de la teoría literaria) diciendo que teorizar sirve para teorizar, teorizar tiene como objetivo principal la producción teórica."







                                   Embajada de Chile en Paris, Sophie Rabau, 2006.



En otras palabras, ¿tejer aire con aire? En verdad, la teoría de la literatura, aunque a veces es muy abstracta, deja de serlo si se aplica a ejemplos concretos de la historia de la literatura. El Intertexto, dada su construcción, incluye, hasta cierto punto, su propia teoría, una teoría que tal vez será diferente de Intertexto en Intertexto. No existe una teoría única del Intertexto, podríamos decir que existen tantas teorías como Intertextos. Esta es también una de las diferencias esenciales con la novela, generalmente explicable por teorías globales externas a su textualidad, teorías que analizan las más diversas novelas utilizando siempre los mismos parámetros. Pero las teorías novelísticas son, en principio, externas a las propias novelas. Al novelista le preocupa narrar, no teorizar. Por otra parte, el escritor intertextual como lector-escritor está llamado a teorizar sobre su propio texto : incorpora la teoría literaria casi como un elemento narrativo más. Al hacerlo, lleva a cabo una verdadera autocrítica de su trabajo. El lector-escritor se sitúa a sí mismo en una perspectiva de “auto-conciencia ”. Es, por definición, más consciente que el novelista común y corriente, quien a menudo se pierde desastrosamente en las ficciones de su desarrollo textual. La "nueva literatura", conscientemente intertextual, apoyada sobre una "nueva edición", la editorialización, volverá a ser un medio valiosísimo para el desarrollo de la inteligencia y de la conciencia, como lo ha sido en los períodos más luminosos de la historia de la Humanidad.






 





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