Roman "cliché"

 


(La Société des Hommes Célestes, p. 342-343)  

 


13 décembre
–Pourquoi n’avez-vous pas voulu lire la lettre de votre mère ?– me demanda le Docteur M. ce matin, avant même que je ne puisse l’interroger à propos de Gretchen. –Vous ne pouvez pas continuer à ignorer son existence…
–Le Sorcier me disait la même chose, Docteur. Pour lui, la plupart de mes problèmes avaient une origine et un destin œdipiens, le désir de coucher avec ma mère et l’envie de tuer mon beau-père. Et comme je lui parlais très rarement d’elle, il supposait que Maggie, Marie-José, Hélène et même lui, jouaient dans ma vie le rôle de mère. Mais je ne peux réduire ma problématique existentielle à la seule relation filio-maternelle. Je me souviens de ce que disait don Carlos à ce sujet, commentant la mode qui traversait la faculté de philosophie et qui poussait chacun à écrire un roman : «Il ne nous manquait plus que cela. Maintenant, quand quelqu’un se croit capable de tenir la plume, il commence par nous raconter son enfance et ses malentendus avec maman». Je ne veux pas, Docteur, tomber dans ces clichés lamentables.
–D’accord. Mais je vous conseillerais un peu plus de considération pour elle. Croyez-vous qu’avoir un fils enfermé dans un hôpital psychiatrique soit drôle ?
–Vous avez raison, Docteur. Lorsque je sortirai d’ici, j’irai la voir pour lui demander pardon. Puis j’écrirai un intertexte dont elle sera le personnage principal. Il s’intitulera Mère/Montagne/Jasmin, et sera écrit en intertextualité avec La Mère de Gorki, La Montagne Magique de Thomas Mann et La Vallée du Jasmin, du poète chilien Oscar Castro.
–Vous risquez de trop vous disperser. Revenons à nos affaires.

 

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