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L'Intertexte, réseau infini

 

(La Société des Hommes Célestes, p. 430) 

 

 



23 décembre

 –Très mauvais !–504 dit le Docteur M., finissant de lire les feuilles que je lui ai données ce matin. –Je n’aime pas du tout la fin de votre roman.
–Docteur, je vous prie de me pardonner mais, une fois de plus, je dois insister sur le fait que mon livre n’est pas un roman mais un intertexte. Et un intertexte, tout comme la légende faustienne, n’a pas de fin. Tout au plus, il peut être interrompu… pour recommencer sous de nouveaux aspects, avec de nouveaux jeux intertextuels.
–Je ne comprends pas ce que vous voulez dire.
–C’est très simple, Docteur. Un roman ordinaire a une fin et un début précis. Il est limité dans le temps et dans l’espace. Un intertexte n’a ni commencement ni fin, dans la mesure où il s’inscrit dans le réseau infini d’autres textes… tout comme chaque texte faustien s’inscrit parmi les innombrables Faust qui ont enrichi la légende. Je pourrais même dire que la forme littéraire par excellence d’un Faust est la forme intertextuelle. C’est pour cela que, moi non plus, je ne comprends pas ce que vous voulez me dire. Je ne sais de quel roman ni de quelle fin vous me parlez.
–Dans ce cas, je vous demande mille pardons, Monsieur l’Auteur Intertextuel– répondit, exaspéré, le Docteur M. –Ce que je voulais dire, c’est que la fin de votre délire ne me plaît pas du tout. Et puis, c’est à moi et non à vous de décider si votre délire est terminé ou non. Je vous en prie, continuons…
–Vous croyez que j’ai les fils croisés dans la tête?505 D’ailleurs, vous n’avez pas respecté notre pacte…
–Comment ?   Ne m’aviez-vous pas dit que vous vouliez faire une œuvre, écrire un livre d’un genre nouveau ?   N’est-ce pas le cas ?
–Si– reconnus-je. –Mais d’autres Faust ont eu plus de chance : ils ont conquis des royaumes, ont été reçus personnellement par le Pape, se sont promenés dans de rutilantes machines aériennes, ont couché avec Hélène de Troie, etc.
–Vous êtes trop exigeant– grommela le Docteur M. – Je ne suis pas Dieu. Je ne suis que Méphistophélès…
–J’en étais sûr, Docteur Méphistophélès !– m’écriai-je, soulagé de voir enfin confirmés mes soupçons sur l’identité du Docteur M. –Évidemment, je serais plus tranquille si je pouvais vous considérer comme le fruit d’une hallucination,506 ou une simple métonymie. Mais, puisque nous en sommes aux révélations, je vous conjure de me dire si, oui ou non, vous appartenez à la Société des Hommes Célestes. Espérez-vous laisser éternellement en suspens un tel problème ?507
Hésitant, Méphistophélès alluma une cigarette et marcha de long en large. Puis, me regardant avec des yeux flamboyants, il me dit :
– Moi, une simple métonymie ? Vous poussez la métaphore un peu trop loin ! Du treibst mir die Metapher in die Enge !508 Vous feriez mieux de conclure que non seulement je suis en chair et en os mais aussi celui-là même pour qui vous me tenez depuis le commencement. 509 Oui. Je suis membre de la Société des Hommes Célestes et j’occupe, sous le nom de Jutta,510 la place de ‘Homme de Tous les Mondes’, à la gauche de Belzébuth. D’ailleurs, je vous conseille de rendre hommage au Diable, puisque pour mener à terme de grandes entreprises et des œuvres de qualité, l’on ne peut se servir de nul autre que lui.511
Et, disant cela, il disparut derrière la porte avec une telle rapidité qu’on aurait pu douter de son existence s’il n’avait laissé derrière lui un lourd sillage de fumée

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