Le cauchemar romanesque

 

(La Société des Hommes Célestes, p. 430-431) 

 
 


Il est impossible de décrire l’enfer que j’ai traversé au cours de ces derniers jours. J’écris ‘jours’, mais en vérité c’est comme si j’avais traversé une longue nuit romanesque, un cauchemar d’où je commence à peine à sortir. La chute intérieure, l’abîme dans lequel me précipita la révélation de Méphistophélès, me rappela les moments funestes à New York quand j’avais découvert que Margaret était une femme démoniaque, soumise au pouvoir du Maître Fondateur. Sauf qu’aujourd’hui je ne peux pas m’évader pour chercher de l’aide. Méphistophélès a tendu un véritable filet de mesures destinées à me garder prisonnier dans cet horrible Orcus : contrôle permanent de tous mes actes, confiscation de mon appareil radio, interdiction de me servir du téléphone de l’étage ou de parler avec le personnel de l’Hôtel-Dieu qui, bien sûr, se conduit comme une cohorte de diables mineurs, tous d’accord pour me faire le plus grand mal possible. Et le pire, c’est l’injection d’une drogue qui me maintient dans un état quasi comateux. «Comme ça, vous n’aurez pas la tentation de vous échapper de votre roman ! Quelle folie d’avoir traité le Docteur M. de ‘métonymie’ ! Et si vous ne voulez pas aller en Enfer pour l'éternité, il vaut mieux que vous abandonniez l'Intertexte !», crus-je entendre Wagner au milieu de mes tourments. Je me redressai brusquement dans mon lit, effrayé par l’impression que le plancher tout autour s’en allait on ne sait où, et que moi-même j’allais être précipité la tête la première au fond des enfers, chez le Diable et son train.513

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