Chantal

Chantal

 

C'est à partir de cette question décisive -la liberté de la littérature- qu'un manifeste pour une nouvelle littérature peut s'esquisser.

 

Non que la littérature ait vieilli -les grands classiques sont et seront toujours d'une parfaite actualité- mais parce que, précisément, la littérature contemporaine perd, de plus en plus, sa liberté. Cela est dû, en grande partie, à cette néfaste confusion qui s'installe partout entre la pratique littéraire et les pratiques commerciales...

  

"De l'éloquence en langue d'oïl" recueille les traductions  en français des textes de "La Guérison" écrits en italien, en espagnol et en anglais. C'est seulement en les intégrant à la lecture de la version originale de "La Guérison" (intertexte plurilingue) que ces traductions trouvent leur sens véritable. Elles ont été légèrement retouchées pour faciliter, éventuellement, leur lecture isolée. Les références des citations de l'œuvre de Dante ne tiennent pas compte, bien entendu, des modifications intertextuelles.

 

 

 

Les études sur le roman du savant russe Mikhaïl Bakhtine (1895–1975) sont, d'après la plupart des spécialistes, l'analyse la plus profonde jamais réalisée sur l'évolution du genre depuis sa naissance dans l'Antiquité (selon Bakhtine) jusqu'à nos jours. Toutefois, la puissance de la pensée de Bakhtine et son extraordinaire érudition ne l'empêchèrent pas de tomber dans le proton pseudos qui fragilise sa théorie : l'amalgame entre "littérature narrative" et la forme "roman", celui-ci n'étant qu'un genre de la narrative, genre connu comme tel seulement à partir du 12e siècle.  C'est ce proton pseudos (souvent présent au départ des grandes théories scientifiques et philosophiques, presque comme un témoin occulte de réfutabilité et donc, de scientificité), qui ouvre la voie à une autre vision de la littérature et à la définition d'un nouveau genre narratif post-romanesque -l'intertexte- dont la gestation est directement tributaire de la "révolution cybernétique".

  

"Nous devons nous rendre multilingues, donc rendre nos textes multilingues... Imaginons un roman par lettres dans lequel certains correspondants écriraient en japonais, d'autres en français ou en anglais. Ceux qui connaîtraient les deux ou trois langues pourraient lire la totalité. Pour les autres, il faudrait des traductions différenciées. Notre situation linguistique implique une transformation prochaine radicale de tous les genres littéraires..."

 Michel Butor, Improvisations sur Michel Butor - L'écriture en transformation, La Différence, 1993.

 Les mots en couleur foncée font partie des paraphrases structurées autour du texte original de Bakhtine en clair (Esthétique et Théorie du roman), repris en intertextualité dans le "Dialogue intertextuel avec Bakhtine".

 


Note 231

 
Le roman s’adapte mal aux nouvelles donnes du plurilinguisme européen. Les éditeurs conventionnels, les critiques et les prix littéraires confortent le monolinguisme « national ». Mais le plurilinguisme européen (et mondial, grâce à Internet) favorisera l’essor de l’intertexte.

  

Note 232

 
L’intertexte se forme et grandit précisément dans ces conditions d’activité aiguë du plurilinguisme interne et externe (plurilinguisme intertextuel, tout simplement). C’est son élément naturel. C’est pourquoi l’intertexte se place, au plan linguistique et stylistique, à la tête du processus de développement et de renouvellement de la littérature.

 

 

Les mots en couleur foncée font partie des paraphrases structurées autour du texte original de Bakhtine en clair  (Esthétique et Théorie du roman), repris en intertextualité dans le "Dialogue intertextuel avec Bakhtine".

 

Note 198

 Lui seul (le plurilinguisme intertextuel) délivre la conscience de l’emprise de sa langue nationale, de son mythe linguistique. Les formes intertextuelles fleurissent dans un climat de plurilinguisme, et là seulement, dans l’intertexte, peuvent atteindre à un sommet idéologique tout à fait nouveau.

 
Note 199

Car on ne peut objectiver sa propre langue qu’à la lumière d’une langue autre, « étrangère », mais presque aussi « sienne » que sa langue propre.


Note 201

Or, le roman rejette les langues nationales autres que celle du romancier, tandis que l’intertexte les accueille.

 


Note 203

 L’intertexte européen des temps modernes, qui reflètera de plus en plus la diversité des langues, comme aussi le vieillissement-rajeunissement du langage littéraire et de ses divers genres, a pu être préparé par ce plurilinguisme actuel par lequel passent tous les peuples d’Europe, et par la vigoureuse interaction des langues nationales à notre époque.

 
Note 207

Nous vivons aujourd’hui une nouvelle révolution des langues : celle provoquée par l’unification de l’Europe. Le plurilinguisme empêchera, entre autres, la domination dictatoriale d’une  langue nationale  sur les autres…

 
Note 209

Le bilinguisme (ainsi que la confrontation des langues en général), est l’un des éléments de base de l’intertexte : les langues se construisent et se perçoivent à la lumière d’autres langues.

 

Note 213

L’éclairage mutuel des langues et leur adaptation à la réalité de notre époque, se déroulent de façon tout à fait mécanique. L’intertexte doit contribuer à l’éclairage conscient de ce phénomène.

 
Note 214

Les grands intertextes de notre époque seront  stylistiquement plurilingues.


Note 216

Les langues s’éclairent réciproquement au temps où naît l’intertexte européen. Le rire et le plurilinguisme ont préparé le verbe de la narrative des temps modernes.

 
Note 217

 Le verbe de l’intertexte est né au milieu du conflit plusieurs fois séculaire des cultures et des langues. Il est lié aux grandes mutations et crises des destins des langues européennes et de la vie verbale des peuples.

 

 

Les mots en couleur foncée font partie des paraphrases structurées autour du texte original de Bakhtine en clair (Esthétique et Théorie du roman), repris en intertextualité dans le "Dialogue intertextuel avec Bakhtine".

 

Note 110

L’intertexte contient non pas une seule langue mais plusieurs qui, rassemblées, forment une unité purement stylistique et nullement linguistique…



Note 113

L’analyse stylistique de l’intertexte ne peut être productive hors d’une compréhension profonde du plurilinguisme, du dialogue des langages et des langues d’une époque donnée.

 

Note 114

À notre époque, où le plurilinguisme est le plus vigoureux, où la collision et l’interaction des langages et des langues sont particulièrement tendues et fortes, où le plurilinguisme investit les langages et les langues de tous les côtés, c’est-à-dire à cette époque si favorable à l’intertexte….

 

Les mots en couleur foncée font partie des paraphrases structurées autour du texte original de Bakhtine en clair (Esthétique et Théorie du roman), repris en intertextualité dans le "Dialogue intertextuel avec Bakhtine".

 

 

 
Note 99

Je le répéterais autant que nécessaire : c’est justement grâce à l’intertexte que les langages et les langues s’éclairent mutuellement, que le langage littéraire devient un dialogue de langages et de langues, se connaissant et se comprenant les uns les autres.

 

Note 102

Voici, Maître, ma propre formule : l’intertexte doit être le reflet intégral et multiforme de son époque. Dans l’intertexte doivent être représentées toutes les voix socio-idéologiques de l’époque, autrement dit, tous les langages et langues tant soit peu importants de leur temps. L’intertexte est le microcosme du plurilinguisme.

 

 

 

Les mots en couleur foncée font partie des paraphrases structurées autour du texte original de Bakhtine en clair (Esthétique et Théorie du roman), repris en intertextualité dans le "Dialogue intertextuel avec Bakhtine".

 

 

 


 

Note 82

 Il faut que le plurilinguisme envahisse la conscience culturelle et son langage, qu’il le pénètre jusqu’au noyau, qu’il relativise et dépouille de son caractère naïvement irréfutable le système linguistique initial de l’idéologie et de la littérature. Mais c’est encore peu. Même une collectivité déchirée par la lutte sociale, si elle est close et isolée sur le plan national, offre un terrain social insuffisant pour une relativisation profonde de la conscience littéraire et linguistique, pour sa restructuration sur un nouveau mode de prose, la prose intertextuelle.

 
Note 83

Par conséquent l’Europe (et son plurilinguisme continental) est le meilleur des milieux linguistiques pour le développement de l’intertexte.

 
Note 84

C’est, jusqu’un certain point, le rôle de l’intertexte dans l’Europe unifiée et plurilingue du début du troisième millénaire. Non seulement les frontières économiques et sociopolitiques iront en s’affaiblissant, mais aussi les barrières linguistiques.

 
Note 86

Donc, l’intertexte est nécessaire et même inéluctable dans l’Europe unifiée d’aujourd’hui. Il contribuera au dépassement non seulement de la pensée romanesque et de sa mythologie, mais aussi des barrières du nationalisme.

 
Note 87

Il faut que se désintègre et disparaisse l’autorité religieuse, politique et idéologique à laquelle la pensée romanesque est liée. Au cours de cette désagrégation mûrit la conscience linguistique décentralisée de la prose intertextuelle, appuyée sur le plurilinguisme social des langues nationales parlée et écrites. La résistance entêtée de l’autorité religieuse, politique et idéologique à laquelle la pensée romanesque est liée, explique la longue agonie du roman comme genre littéraire.

 

 

Les mots en couleur foncée font partie des paraphrases structurées autour du texte original de Bakhtine en clair (Esthétique et Théorie du roman), repris en intertextualité dans le "Dialogue intertextuel avec Bakhtine".

 


 

 


Note 48

 Le style de l’intertexte, c’est un assemblage de styles; le langage  de l’intertexte, c’est un système où les « langues » jouent un rôle novateur. Mais dans l’intertexte on ne fait pas l’amalgame entre « langue » et « langage ». Malheureusement, Maître, l’usage de ces deux termes en tant que synonymes ouvre la porte à des ambigüités très fâcheuses.

 
Note 49

 L’intertexte c’est la diversité sociale de langages et de langues, diversité littérairement organisée. Ses postulats indispensables exigent que les langues nationales se stratifient en dialectes sociaux.


Note 51

 Comme c’est le cas pour « langue » et « langage », nous n’avons pas de définitions précises pour des termes tels que « multilinguisme », « plurilinguisme », « polylinguisme », utilisés souvent comme synonymes.

 
Note 52

 Nous n’envisageons pas non plus la langue comme un système de catégories grammaticales abstraites, mais comme une langue idéologiquement saturée, comme une conception du monde, voire comme une opinion concrète, comme ce qui garantit un maximum de compréhension mutuelle dans toutes les sphères de la vie idéologique.
Heidegger voyait dans l’allemand moderne et le grec classique les langues par excellence de la philosophie. Le français a été considéré jusqu’au XXe siècle comme la langue de choix de la diplomatie. (Au XIIIe, Dante considérait la « langue d’oïl » comme la langue la plus appropriée à la prose). L’anglais est devenu la langue préférée des businessmen et, maintenant, la langue de référence du monde cybernétique. Etc.

 

Note 57

 Pour éclairer un monde étranger, le poète ne recourt jamais au langage d’autrui comme plus adéquat à ce monde. Nous verrons que le prosateur intertextuel, quant à lui, tente de dire dans le texte et même dans la langue d’autrui, ce qui le concerne personnellement.

 
Note 60

 Tous les langages et toutes les langues du plurilinguisme intertextuel sont des points de vue spécifiques sur le monde. Ils se rencontrent et coexistent dans la conscience créatrice de l’artiste intertextuel

 
Note 61

 Des relations dialogiques (particulières) sont possibles entre les « langues », quelles qu’elles soient, ce qui signifie quelles peuvent être perçues comme des points de vue sur le monde.

 
Note 63

 Le langage littéraire est un phénomène profondément original, comme aussi la conscience linguistique de l’homme doté de culture littéraire, qui lui est corrélatée. En lui, la diversité intentionnelle des textes devient diversité des langages et des langues. Il ne s’agit pas d’un langage, d’une langue, mais d’un dialogue des langages et des langues.

 
Note 64

 A tous les âges de la littérature historiquement connus, la conscience littérairement active découvre des langages et des langues et non pas un langage et une langue.

 
Note 69

 La plurivocalité et le plurilinguisme intertextuel entrent dans l’intertexte et s’y organisent en un système littéraire harmonieux.

 
Note 71

 C’est précisément la diversité des langues et non l’unité d’une langue commune normative, qui apparaît comme l’un des éléments décisifs du style intertextuel. Ici le plurilinguisme intertextuel ne dépasse pas les limites de l’unité linguistique du langage littéraire, il ne devient pas une véritable discordance.

 
Note 72

 Ce jeu avec les langues n’atténue en aucune façon l’intentionnalité générale profonde, autrement dit, la signification idéologique de l’intertexte, produit multiculturel par excellence.

 
Note 73

 Une autre forme d’introduction dans l’intertexte et d’organisation du plurilinguisme est utilisée dans chaque intertexte, sans exception : il s’agit des paroles des personnages, des paroles d’autrui dans une langue étrangère.

 
Note 75

 Mais précisément parce que l’idée d’une langue unique est étrangère à la prose intertextuelle, la conscience prosaïque doit orchestrer ses intentions sémantiques propres. C’est seulement dans une seule langue, au sein des langues nombreuses du plurilinguisme, que la conscience prosaïque se trouve à l’étroit ; une sonorité linguistique unique ne peut lui suffire.

 
Note 76

 Le plurilinguisme introduit dans l’intertexte, c’est le discours d’autrui dans le langage et même dans la langue d’autrui, servant à réfracter l’expression des intentions de l’auteur.

 
Note 78

 La prose de l’art littéraire intertextuel présuppose une sensibilité à la concrétion et à la relativité historiques et sociales de la parole vivante, de sa participation aux multiples langues, au devenir historique et à la lutte sociale.

 

Note 79

 C’est ce qui détermine la visée tout à fait spéciale, contestée, contestable et contestant, du discours intertextuel : il ne peut, ni naïvement, ni de manière convenue, oublier ou ignorer les langues multiples qui l’environnent… comme c’est, d’ordinaire, le cas du roman.

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